Tes chansons ont toujours une évidente qualité littéraire. As-tu beaucoup lu ? Enormément, et souvent avec une passion excessive. Au point par exemple d’avoir lu Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë plusieurs fois de suite sans être capable de m’en détacher. Je devais avoir 16 ou 17 ans et j’étais subjuguée par ce livre. J’ai […]
Tes chansons ont toujours une évidente qualité littéraire. As-tu beaucoup lu ?
Enormément, et souvent avec une passion excessive. Au point par exemple d’avoir lu Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë plusieurs fois de suite sans être capable de m’en détacher. Je devais avoir 16 ou 17 ans et j’étais subjuguée par ce livre. J’ai mis du temps à bien le comprendre, mais comme on m’avait dit d’insister, j’ai finalement réussi à trouver les bonnes portes. Or, ce qui se trouve dans ce livre est incroyablement riche et dense. Il y a bien sûr une dimension mystique, ainsi qu’une évidente violence, mais je garde surtout le souvenir d’un récit plein de contrastes, à la fois passionné et drôle. Beaucoup de gens passent à côté de la dimension tragicomique des Hauts de Hurlevent, alors que pour moi Emily Brontë était une femme très futée, étonnamment drôle. Ce qui ne m’empêche pas d’être fascinée et touchée par cette image de la femme qui vit seule avec ses chiens et passe son temps à écrire. Pour être parfaitement honnête, je me suis souvent sentie extrêmement proche d’Emily Brontë, de son combat pour faire partie du monde… Ma mère me disait l’autre jour que j’avais commencé à lire à 3 ans, ce qui, venant d’une petite fille qui ne parlait pas, paraissait ahurissant. A 7 ans, je lisais Tom Sawyer en version intégrale et à 10 ans, tout ce que je savais, je l’avais appris dans les livres. Il y avait des centaines de bouquins chez nous, mon père étant auteur de nouvelles et de romans. Je vais d’ailleurs reprendre le flambeau, puisque mon premier livre va paraître au printemps prochain. Il s’appelle The Passionate eye, une collection de textes autobiographiques et fictionnels, de poèmes et de nouvelles.
Quel est l’auteur qui a le plus marqué ta vie ?
Ce fut longtemps John Steinbeck, à cause de son écriture si fluide, lumineuse. Maintenant, je dirais Simone de Beauvoir, dont l’écriture est à la fois très personnelle et intime sans jamais être larmoyante ou autocomplaisante. Ses livres et ses journaux ont un souffle incroyable, mais en même temps, ça reste sobre, retenu. J’ai toujours été attirée par les auteurs de la première moitié du siècle, D. H. Lawrence, James Joyce, ou encore Sartre et Camus.
Ecoutes-tu toujours beaucoup de musique ?
Pas une semaine ne se passe sans que j’écoute Leonard Cohen, Lou Reed ou Bob Dylan. Je sais que ce sont des goûts très sages, mais j’ai besoin de ces repères, ils font partie de ma vie. Dylan, je l’écoute surtout quand j’ai envie de cogiter, de jouer avec mon cerveau. Avec Lou Reed, c’est un rapport plus physique de la musique parfaite pour vaquer à ses petites occupations quotidiennes. Quant à Cohen, le grand amour de ma vie, j’y reviens sans cesse de la même manière que ces scientifiques qui se penchent toute leur vie sur un problème irrésolu. Cohen sera toujours une énigme. Je l’ai rencontré plusieurs fois et, à chaque fois, c’est une expérience comique : ses mots sont comme ses chansons, on ne sait pas très bien de quoi il parle, et puis deux jours plus tard on comprend… Il y a quelques mois, je devais déjeuner avec lui à Los Angeles, mais une heure avant notre rendez-vous, il me téléphone et me dit qu’il ne peut pas me voir. Pour toute explication, il me dit « Le monde est trop avec moi pour que je puisse te voir. » Je lui dis « Comment ça ? Le monde est trop avec toi ? » Et là, il me dit « Je veux dire par là qu’on doit me livrer des meubles et que je ne peux pas sortir aujourd’hui. »
Tu as ouvert la voie à une nouvelle génération de chanteuses. Les apprécies-tu ?
Je suis très sensible aux chansons de Fiona Apple, de Liz Phair. C’est assez jouissif d’entendre ces filles exprimer leurs sentiments de manière brute, sans tenir compte une seule seconde de ce que l’on attend d’elles, c’est-à-dire d’être jolies, souriantes, épanouies. Lorsque j’ai commencé, il était très difficile pour une femme de mettre en musique tout ce qu’elle avait dans le ventre. Maintenant, c’est possible… Mais de toutes, celle qui m’impressionne le plus est anglaise : j’ai découvert PJ Harvey lors de son premier concert à New York et j’avais été sidérée par la simplicité de son jeu de scène, par cette sécheresse des formes. Elle avait l’air si sûre d’elle, gonflée à bloc.
Deux mots de cinéma pour finir ?
Je peux vous citer quelques films que j’adore : Easy rider, Le Lauréat, Little big man. Et puis Répulsion, de Polanski, un film que je connais par coeur et qui me hante depuis des années. Récemment, j’ai beaucoup aimé Jackie Brown de Tarantino, surtout pour Pam Grier : j’ai adoré ce personnage de femme chahutée mais déterminée. Quelqu’un à qui je peux m’identifier.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Emmanuel Tellier
{"type":"Banniere-Basse"}