Stephen Malkmus, musicien (Pavement)
Quand as-tu commencé à te passionner pour la musique ?
Il y a eu deux périodes : la première, où j’achetais tout ce qui me plaisait à la radio, y compris des morceaux de disco comme Boogie fever des Sylvers et tous ces trucs faciles à chanter et à retenir quand on est gosse. Ensuite, un peu plus tard, le premier groupe dont j’ai été vraiment dingue a été Kiss, au moment de leur deuxième album le meilleur , Hotter than hell. A partir de là, je n’ai jamais cessé de découvrir de nouvelles choses, dont Creedence Clearwater Revival j’ai longtemps admiré leurs chansons très directes, dénudées, basiques. Au début, je trouvais le jeu de guitare de John Fogerty très compliqué, et plus tard, je me suis aperçu qu’il n’en était rien en découvrant Purple haze de Jimi Hendrix. Tous ces disques ont certainement eu une influence sur ma musique aujourd’hui, de même que ceux des Beach Boys
et des Beatles que possédaient mes parents, ou bien les groupes que j’écoutais durant ma période punk-rock les Ramones, Clash, Television… Aujourd’hui, je ne me tiens pas trop au courant de l’actualité musicale. J’achète beaucoup de disques mais tout ce qui me passionne a au moins 30 ans d’âge : Trout mask replica de Captain Beefheart doit être le disque le plus récent dans mes derniers achats. Tout le reste date d’avant le milieu des années 60 : surtout du blues et du jazz, enregistrés en prise directe, quasiment sans arrangements, très bruts. Quelquefois, j’aurais envie de voler des trucs dans ces disques, mais j’aurais l’impression de profaner : il y a dans ces oeuvres une vérité et une force que les productions actuelles n’atteindront jamais, parce que ce n’est pas avec la technologie que l’on peut approcher le « vrai ». Quand tu entends le groupe d’Ornette Coleman ou n’importe quelle formation de ce type, tu t’aperçois que ces musiciens savent tous jouer d’instinct, les yeux fermés, ils se connaissent à la perfection. Les impératifs liés au métier de musicien aujourd’hui, y compris au sein de Pavement, ne nous laissent pas le temps de réaliser ce genre d’osmose essentielle à la survie créative d’un groupe. C’est le drame de la musique actuelle, sauf peut-être chez les grands du rap : Grandmaster Flash et Public Enemy, qui ont réussi à capter une énergie et une vitalité similaires à celles des bluesmen.
As-tu un intérêt pour la peinture, les arts plastiques ?
Pendant un temps, je m’occupais avec des petits jobs, et un été, je pointais tous les jours comme gardien de salle dans un grand musée de San Francisco. C’est la seule fois où j’ai été en contact avec l’art. Je me rappelle surtout les oeuvres de Marcel Duchamp, l’artiste le plus décalé et original que je connaisse.
Tu devais avoir beaucoup de temps pour lire.
Bien que ce soit formellement interdit, on s’accordait quelques pauses lecture dans un coin de la salle le seul moyen d’échapper à l’ennui mortel… La littérature est ma nourriture spirituelle préférée. Je suis très fan de Denis Johnson, un écrivain californien qui a sorti l’essentiel de ses bouquins dans les années 80, notamment Angels
une histoire de crime alambiquée racontée dans une prose très poétique. Il est assez représentatif des auteurs qui me tiennent à coeur : James Ellroy, JimThompson…
Quelle place le cinéma occupe-t-il dans ta vie ?
J’y vais régulièrement mais jamais au hasard. J’ai des préférences assez marquées : Stanley Kubrick, par exemple. En tant que fan, j’ai été un peu déçu par Eyes wide shut, que j’ai trouvé picturalement beaucoup moins fort que Barry Lyndon et 2001, l’odyssée de l’espace, et bien moins abouti que Les Chemins de la gloire ou Dr Folamour dans la dimension psychologique des personnages. Son dernier film est séduisant mais n’explore pas le danger aussi loin que Kubrick savait habituellement le faire. Pour la première fois, Kubrick a fait un film pour l’industrie du cinéma avec deux grands acteurs d’Hollywood. A ma connaissance, John Boorman n’a jamais fait ce genre de concession. Je suis un inconditionnel de Boorman, notamment de deux films, Delivrance et Le Point de non-retour avec Lee Marvin et Angie Dickinson : une conspiration incroyable en plein Los Angeles, inspirée d’un livre de Donald Westlake, où Lee Marvin doit élucider un crime et récupérer son pognon, un film noir qui capte vraiment l’esprit américain de la fin des années 60 : toute l’ironie de sa situation politique après les assassinats des Kennedy, le rôle trouble joué par la CIA et l’incompréhension face à la guerre du Vietnam. Lee Marvin y est incroyable de droiture, d’obstination. Il n’a peur de rien et sait parfaitement quand il doit utiliser son flingue. Exactement le type que j’aimerais être.
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