Tu as la réputation d’un artiste qui s’implique totalement dans son travail, qui ne vit que pour sa musique. Quelle place reste-t-il dans ta vie pour le travail des autres ? Une place très confortable, en fait. Je suis, c’est vrai, quelqu’un qui ne compte pas sa peine lorsqu’il s’agit d’écrire une petite chanson bien […]
Tu as la réputation d’un artiste qui s’implique totalement dans son travail, qui ne vit que pour sa musique. Quelle place reste-t-il dans ta vie pour le travail des autres ?
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Une place très confortable, en fait. Je suis, c’est vrai, quelqu’un qui ne compte pas sa peine lorsqu’il s’agit d’écrire une petite chanson bien misérable (sourire)… Mais je suis aussi un vrai passionné de littérature, de musique, de cinéma, de culture en général. J’ai besoin d’être un consommateur d’art au quotidien, ça me donne du recul sur ce que je fais, sur ma vie. J’aime avoir des repères à l’esprit, savoir à peu près où j’en suis même si les constats que je suis amené à faire sont durs à accepter… Je me sens souvent seul dans ce que je fais. En musique, en tout cas, parce que dans le cinéma d’auteur américain ou la littérature, j’arrive à ressentir des affinités, des idées et des envies que je partage, des émotions qui s’expriment chez les uns et les autres. C’est dans le rock dit alternatif que j’ai le plus de mal à me trouver des amis. La plupart de ceux qu’on me prête me sortent par les yeux, avec leurs tics insupportables, leurs poses misérabilistes. J’ai horreur de lire mon nom comme une sorte de référence pour ces gens-là, je ne veux pas être le parrain du rock triste. Si les gens savaient ce que j’écoute chez moi… J’ai l’esprit bien plus large que la majeure partie des gens qui jouent du rock. Je peux écouter les Spice Girls et y trouver mon compte, m’amuser un moment avec leurs chansons. Ce qui me touche, c’est le talent et la sincérité, et j’en vois énormément chez les Spice Girls, plus en tout cas que chez nombre de mes compatriotes à guitare. Même chose au cinéma : j’ai adoré Men in black, même si je peux aussi, comme tous les gens bien comme il faut, ressentir des choses fortes en regardant Breaking the waves. Maintenant, si je ne devais retenir qu’un film, ce serait sans doute Les Parapluies de Cherbourg, que je peux regarder trois fois de suite sans m’ennuyer une seule seconde.
Lorsque je fume de l’herbe ce qui m’arrive assez souvent , je regarde toujours des comédies musicales. Je ne connais pas de meilleur mariage que celui qui unit le parfum de l’herbe et la voix si douce et naturelle à la fois de Catherine Deneuve dans Les Parapluies de Cherbourg. Ce film est si parfait qu’il a fait naître en moi le désir d’écrire ma propre comédie musicale. J’y travaille actuellement, à partir d’un livre de Peter Handke, avec quelques amis acteurs et un producteur et puis sans doute aussi Van Dyke Parks, à qui j’ai proposé de participer. L’idée est de faire le contraire exact du film de Woody Allen, que j’ai trouvé extrêmement embarrassant pour un type de sa carrure.
A quand remonte ta passion pour le cinéma ?
J’ai toujours été un fou de cinéma, depuis l’enfance j’ai été marqué à vie par Mary Poppins , mais je vis ma passion de manière plutôt originale, c’est-à-dire sans jamais mettre les pieds dans les salles de cinéma. D’abord parce que je n’aime pas ces endroits il y a beaucoup trop de monde pour moi et ensuite parce que je trouve le rapport au film beaucoup plus direct et intime lorsqu’on le loue sous forme de cassette vidéo. Mes amis et ma soeur se foutent régulièrement de moi, mais je m’en moque : j’ai mis un an avant de voir Trainspotting, dont tout le monde me parlait, mais au moins, j’ai vu ce film à ma manière, peinard, chez moi, avec une bière à la main. C’est un film que j’ai trouvé très drôle, qui m’a également plu parce que j’ai moi-même grandi en Angleterre. Les Anglais sont toujours étonnés de voir un Américain se mêler aussi facilement à leur culture, à leur mode de vie. Moi, je considère ça comme une vraie chance : je lis un roman de Martin Amis et je me sens anglais. Puis je rentre à San Francisco et je me sens à nouveau américain, de manière plus ou moins assumée. Des films, j’en ai loué deux par jour pendant trois ans, lorsque j’habitais avec des copains, au début, à San Francisco. C’était à la fois un plaisir rituel et une forme d’éducation : on louait de tout, des nouveautés, des classiques, des grosses productions hollywoodiennes, des petits trucs indépendants. C’était une époque formidable pour moi, avec des découvertes décisives, comme ce film, L’Atalante de Jean Vigo, qui m’a énormément marqué. Je ne comprends pas que l’histoire officielle du cinéma n’ait pas davantage retenu Michel Simon. Pour moi, c’est un comédien exemplaire, absolument fabuleux.
Quel est l’album, ancien ou récent, que tu as le plus écouté au cours des derniers mois ?
L’album de Belle And Sebastian, que je connais à la note près j’ai dû l’écouter trois mille fois dans l’année, et j’ai vu le groupe en concert à New York. Voilà enfin des gens qui n’ont pas peur d’écrire de véritables chansons, des choses structurées, intelligemment construites, un groupe qui ne baisse pas son froc devant la modernité. Leur chanteur est aussi un type qui écrit des paroles très fines, corrosives sans jamais tomber dans le cynisme, des histoires et des situations mises en scène avec énormément d’intelligence ce qui est devenu très rare en Angleterre dernièrement. J’ai aussi beaucoup écouté les Monkees, qui ont produit des disques très sous-estimés. Je suis très jaloux de ce sens inné de la mélodie qu’ont les gens de Belle And Sebastian ou qu’avaient les Monkees, cette manière phénoménale d’enchaîner les notes de telle façon que l’on ne pourra plus jamais les dissocier. Etrangement, j’ai aussi beaucoup écouté l’album Black rider de Tom Waits, les derniers disques de Laika et de Palace ainsi que ceux de Jimmy Scott.
Tu disais te sentir assez proche de certains auteurs de romans américains.
Deux noms à retenir d’urgence : Steve Ericson qui est un jeune type qui vit à Los Angeles et écrit des trucs étranges et comiques et Denis Johnson dont il faut absolument lire Angels. Est-ce que je me sens moi-même capable d’écrire ? Je ne sais pas, je crois que je manque de rigueur, même si j’aime surtout les auteurs mon préféré est Bukowski qui écrivent assez librement. Je sens que ma carrière de musicien approche de sa fin, que je ne vais nulle part, alors il va bien falloir trouver quelque chose à faire. Ecrire de la poésie, peut-être. Ou bien enseigner le songwriting. Mais qui voudra apprendre à écrire des chansons avec un type comme moi ?
Emmanuel Tellier
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