New York 67, la rue, Morrison… Patti Smith signe des mémoires en forme de récit initiatique et de souvenirs de son amour pour Mapplethorpe. Lecture trois mois avant sa sortie française.
C’était l’été où Coltrane est mort. A Monterey, Jimi Hendrix mettait le feu à sa guitare. C’était l’été de l’amour. En juillet 67, une sauvageonne aux abois débarque dans la touffeur de New York. Derrière elle, elle laisse un bébé, abandonné à la naissance, une famille qu’harcèlent les prêteurs sur gages et un sobriquet dont elle se serait bien passée – lors de son accouchement, les infirmières l’ont surnommée “la fille de Dracula”.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Dans sa valise, quelques bouquins – elle doit à son art du vol à l’étalage de posséder une édition bilingue de Rimbaud – et une tenue de serveuse d’un blanc immaculé, offerte par sa mère. L’uniforme finira à la poubelle : la seule cause que Patti Smith acceptera jamais de servir, c’est celle de l’art.
“Tu ne te shootes pas, tu n’es pas lesbienne, alors qu’est-ce que tu fous ici ?”:
à la question posée en 1973 par un habitué du Max’s Kansas City, Patti aurait pu répondre que, pour planer ou pour s’affranchir de la norme, un stylo, un pinceau ou un micro lui ont toujours suffi.
S’étant enfin fait une place entre les légendaires murs lie de vin de l’hôtel Chelsea, elle le compare à
“une maison de poupée dans la quatrième dimension, avec 100 chambres, dont chacune abrite un univers”.
Dans la garde-robe de Patti, le moindre colifichet renvoie, lui aussi, à un univers. Pour dénicher son premier boulot de vendeuse en librairie, elle enfile le pull sombre et la jupe à carreaux d’Anna Karina dans Bande à part – à cette panoplie initiale s’ajouteront un “foulard à la Baudelaire”, “une casquette à la Maïakowski”, la coupe de cheveux de Keith Richards, la démarche de Bob Dylan et, plus tard, les tics scéniques de Mick Jagger.
Mais si Patti aime trop les artistes pour n’être pas volage, son beau livre de souvenirs, Just Kids, s’articule autour d’une fidélité à toute épreuve – celle, réciproque, qui la lia au photographe Robert Mapplethorpe.
A Manhattan, la Patti de l’été 67 se fond dans une foule de fantômes faméliques, erre de parcs en squares, dort dans le métro ou dans les embrasures de porte. Puis rencontre un garçon aux boucles de pâtre grec, en tombe amoureuse, vit avec lui dans des gourbis insalubres ou des hôtels miteux, s’en échappe par l’escalier d’incendie et échafaude des myriades de plans sur la comète. Car, sous le regard de Mapplethorpe, qui a de l’ambition pour deux, elle se sent enfin exister.
Mais, avant de conquérir la ville de leurs rêves, les artistes fauchés prennent le temps d’y traîner jour et nuit, hantent les bas fonds de Times Square, les freak shows de Coney Island et les hauts lieux du rock. Mapplethorpe ayant dégoté un boulot d’ouvreur au Fillmore East, Patti voit les Doors, et se dit que la place de Jim Morrison, elle l’occupera un jour.
En attendant, elle publie ses premiers poèmes, signe des chroniques de disques pour le magazine CREEM et danse avec son compagnon sur de vieux singles ensoleillés quand elle choisit la musique, et sur Sympathy for the Devil quand il est aux commandes.
Car Mapplethorpe possède une fatale attirance pour les chaînes, les fouets et les enfers urbains : quand il entraîne Patti dans le “tourbillon de travelos, de barbus en tutu, d’anges et de saints en cuir…” de Christopher Street, elle flippe sérieusement – mais tirera de l’expérience les images de viol homosexuel de Land, le morceau de bravoure de son premier album, Horses.
Tandis que Mapplethorpe tapine puis, le succès venu, s’infiltre au coeur de la jet-set, Patti s’affranchit. Sur son matelas, elle accueille le cow-boy le plus sexy de New York (l’acteur et dramaturge Sam Shepard), le poète et musicien Jim Carroll, et Allen Lanier du Blue Oyster Cult.
Just Kids ne s’attarde ni sur ces liaisons, ni sur le panier de crabes dont jaillit le punk new-yorkais : fardé à la nostalgie et au flou artistique, le livre privilégie les instantanés touchants – Patti se faisant draguer par Ginsberg, qui la prend pour un joli garçon, Dalí la comparant à “un corbeau gothique”, Burroughs lui offrant des poissons enveloppés dans des journaux…
Avec ses cadences lyriques et sa structure cyclique – l’ouvrage s’ouvre et se ferme sur l’image d’un Mapplethorpe endormi, au seuil de la vie en juillet 67 et sur son lit de mort vingt-deux ans plus tard –, Just Kids nuance d’une tonalité élégiaque son évocation du New York des années sauvages, à la fois coupe-gorge toxique et royaume magique où, pour avoir cru en son étoile, une souris de bibliothèque pouvait rencontrer des fées en cuir noir et s’offrir les plus insensées métamorphoses.
Just Kids (Ecco), sortie française le 14/10 chez Denoël
{"type":"Banniere-Basse"}