Adoubée par Madonna et le “Time Magazine”, elle a acquis une renommée internationale avec deux albums pop, “Chaleur humaine” (2014) et “Chris” (2018), qui infusent du trouble dans le genre.
En quoi les années 2010 t’ont-elles changée ?
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Ma première chanson, je l’ai écrite en 2010, et ensuite les choses se sont plus ou moins enchaînées pour qu’aujourd’hui j’en fasse encore mon métier. C’est une décennie qui a été celle d’une révélation, d’une accélération des possibles, d’une confirmation aussi. Mon trajet s’est précisé, je suis devenue chanteuse, j’ai eu la chance de pouvoir faire ce parcours. Je me souviens donc des débuts, de l’apprentissage du métier, de rencontres fondamentales, d’espérances dépassées de loin.
C’est assez lumineux d’un point de vue artistique. En avançant dans un geste d’artiste, j’ai aussi construit ce que je voulais être en tant qu’individu – ce que j’ai essayé de raconter, la fluidité, le désir profond d’écrire et de réinventer, les contradictions et les vieux démons, cela m’a donné aussi une liberté que je n’avais pas auparavant.
C’est un processus constant de va-et-vient entre ce que je crée et ensuite ce que je m’autorise. Mais la grande découverte, ça a été de pouvoir m’émanciper par mon écriture, et qu’on me laisse le faire…
Que retiens-tu des années 2010 ?
Le début d’un basculement des conversations autour du sexisme, du genre, qui continue de prendre de l’ampleur avec de plus en plus de témoignages, de prises de conscience et de positionnement. Entre 2013 et 2019, la première déflagration MeToo a amorcé quelque chose que j’espère irrémédiable, c’est-à-dire la fin d’un aveuglement quant aux violences systémiques et systématiques du patriarcat.
En 2014, féministe était encore un gros mot, ou un mot difficile à sortir sans prendre le risque d’être identifiée comme une enragée, surtout dans les métiers de représentation. Maintenant, digéré ou non par le capitalisme, je vois quand même que le terme est repris plus fièrement, et c’est important. La verbalisation est une première étape, même si nous sommes loin d’être dans une égalité effective entre hommes et femmes, ou dans une réelle déconstruction qui permet aussi à toutes les personnes queer d’exister sereinement.
J’ai pu moi-même constater à la sortie de mon deuxième album qu’il y avait encore énormément de travail à faire autour de la sexualité des femmes, d’un vocabulaire de puissance associé au genre féminin, et qu’il allait falloir faire encore pas mal de pédagogie sur des féminités moins douces, plus conquérantes. Mais je ressens quand même la fin d’une certaine impunité. Il y a moins de honte à parler. Il y a l’arrivée d’autres paroles, d’autres solidarités.
Les hommes aussi, certains, écoutent plus attentivement, regardent leurs comportements passés à la lumière de ce qui est dit. C’est la fin aussi, j’espère, du mythe très misogyne des femmes en concurrence : même dans le métier que je fais, on sent l’essor d’une sororité plus pleine, plus assumée et triomphante. Ce n’est que le début, je le redis. Mais ce changement de paradigme, ce début-là, il m’a fait du bien.
Comment envisages-tu les années 2020 ?
Ce que j’espère, c’est que les solidarités avancent, qu’elles se croisent, que nous puissions faire société en réfléchissant aux égalités fondamentales, à une certaine justice sociale aussi. Ce que j’espère encore, c’est que la prise de conscience écologique ne soit pas juste constituée de cris d’alarme et de vœux pieux, mais de vraies actions, pas seulement individuelles – j’ai plusieurs décennies pour ma part, mais je pense beaucoup à ceux qui sont nés en 2000 ou bien après, et qui héritent d’urgences qui ne sont pas les leurs.
Il y a beaucoup moins d’idéalisme de leur part. Leur conscience est plus aiguisée sur toutes ces problématiques. De mon côté, j’envisage aussi la décennie qui suit comme celle d’une arborescence ; de la musique peut venir le cinéma, du cinéma le théâtre, et puis pourquoi pas l’écriture – se cantonner à une discipline ne m’a jamais vraiment parlé de toute façon, mais j’aimerais encore plus appuyer ce fonctionnement-là qui est le mien.
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