Le festival parisien s’est achevé ce dimanche matin. Une huitième édition éclairée par la nouvelle garde du rock indé. Bilan des concerts incontournables de ces trois soirées.
Cola Boyy, jeudi 1er novembre à 18h05
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Le festival n’a pas débuté depuis une heure qu’une masse importante se presse déjà pour ne rien rater de la dernière hype weirdo-disco venue de Californie. Pantalon trop large, Cola Boyy débarque sur scène en compagnie d’un bassiste, d’un batteur et surtout d’un playback orchestre omniprésent. Ses tubes, plus malins et pervertis qu’ils n’y paraissent, n’ont aucun mal à faire onduler les premiers arrivés sous la Grande Halle de la Villette.
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Si la voix de Matthew Urango est très imparfaite et manque à certains moments de panache, son personnage reste bienveillant et attachant. Avec sa gueule sans âge, il pourrait très bien être une version 2018 des Jackson 5 à lui tout seul. Les cordes arrivent parfois de nulle part et donnent au tout un côté très Eurovision. De même, les bruitages cheap qui ponctuent les morceaux font de Cola Boyy le disco-boy de la génération Stranger Things.
The Voidz, Jeudi 1er novembre, 22h15
L’idée que vous vous faites de lui, Julian Casablancas semble s’en soucier comme de sa toute première paire de Converse. Cela fait d’ailleurs bien longtemps que le chanteur et tête pensante des Strokes a remisé au placard l’iconique chaussure, symbole du retour du rock au début des années 2000. Looké comme un white-trash tout excité d’arriver en avance à une convention de moto-cross, Julian semble ne plus chercher qu’une esthétique du laid et du mauvais goût.
Arrivé sur scène juste après Etienne Daho et son show de dandy en clair obscur, le désormais leader des Voidz ne s’embarrasse pas d’essayer de se faire aimer. Il toise à peine le public, sa voix est sous mixée dans des balances que l’on qualifiera poliment de chelou. Pourtant, le concert de son gang d’affreux, sur la brèche et complètement illogique, s’affirme comme l’une des belles réussites du festival. Ça joue fort, dur, cru. Surtout, Julian Casablancas reste l’un des plus fascinants chanteurs de l’époque. Chaque petite poussée, n’importe quelle cassure, a le pouvoir de vous éparpiller le coeur. Petit bémol : le groupe a terminé son concert dix minutes plus tôt. Et c’est dommage, parce que c’est exactement la durée du morceau Human Sadness, inexcusable oubli.
Mac DeMarco, Jeudi 1er Novembre, 23h20
Il existe plusieurs stratagèmes pour occuper l’espace d’une grande scène quand on est habitué à de plus petits espaces. Ce jeudi, Mac DeMarco en inventait un tout nouveau : dresser une table, y poser une caisse de bières et inviter des gens pour un apéro festif. Une solution simple, drôle et à la cool, bien à l’image du Canadien.
Moins dans la démonstration de force que dans l’écriture d’un beau moment de communion avec un public déjà conquis, Mac DeMarco et ses potes – inhabituelle tête d’affiche pour un festival – ont déroulé avec la plus grande bienveillance du monde leurs petits tubes incontournables (de l’Ode to Viceroy à This Old Dog). On a déjà vu Mac perdre le fil de ses concerts à force de blagues potaches à rallonge. Aucun risque ce soir. Les contraintes d’un set ramassé ne font que servir le propos du sosie drolatique de notre chef de l’Etat.
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Mais la folie n’y est pas pour autant absente, loin de là. La fin du concert tournera au gros bordel, forcément. Mac fait monter un jeune fan sur ses épaules, son guitariste enlève son t-shirt et prend le micro pour quelques reprises de rock FM. L’hilarité est totale.
Boy Pablo, Vendredi 2 Novembre, 17h30
Un concert que l’on attendait avec une curiosité toute particulière. Et pour cause, depuis plusieurs mois il bruissait que Boy Pablo était le next big thing. Sorti un peu de nulle part à la force de quelques pop-songs publiées sur YouTube, le Norvégien avait un défi, celui d’éviter l’écueil du projet sorti trop vite d’une chambre à coucher d’ado – et il s’en est très bien sorti.
Accompagné de quatre types pas plus âgés que lui, Boy Pablo n’a eu aucun mal a faire chanter une audience encore clairsemée. Dès la première chanson, les garçons n’hésitent pas à venir chercher le public pour qu’il les accompagne sur les choeurs de chansons à l’évidence désarmante. Derrière sa bouille à dévorer des Chocapic devant KD2A, Pablo possède déjà une assurance et, surtout, les chansons qui vont avec, alternant les emprunts à Mac DeMarco et Orange Juice. On n’avait que rarement vu un groupe émerger avec autant de force, de folie et de certitudes. D’ailleurs, un artiste qui percera se reconnaît à la petite poignée de fans qui connaissent par coeur ses paroles, comme c’était le cas ce vendredi, malgré l’horaire précoce. Gageons que le kid de Bergen ira très loin.
Dream Wife, Vendredi 2 Novembre, 18h30
Une heure plus tard, le deuxième coup de force d’une soirée décidément crescendo est asséné par les trois furies de Brighton. Sur scène, les bombes, entre Riot grrrl et Spice Girls, de leur premier album paru plus tôt cette année prennent toute leur force. Ça tabasse du riff, ça crie du « bad bitches » dans tous les sens.
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Encore plus que ses comparses déchaînées, la blonde chanteuse Rakel Mjöll, sorte d’Alice au Pays des Merveilles gabber chic, a une énergie et une présence au-delà du captivant. Elle vous attrape pour ne plus vous lâcher qu’une fois le concert terminé. On en sort le sourire aux lèvres, prêt à péter la gueule du patriarcat, en survet Adidas mais avec des paillettes autour des yeux.
Car Seat Headrest, Vendredi 2 Novembre, 19h35
Si on était flemmard, on pourrait se contenter d’écrire que les fans des Strokes déçus du retour à Paris de Julian Casablancas ont dû être comblés par ce concert, tant Will Toledo partage avec l’illustre chanteur des Voidz un timbre saoulé et un vrai talent pour les grandes chansons de rock indé. Peut-être que cela suffirait à faire comprendre la portée du concert de Car Seat Headrest mais ça ne serait pas rendre justice au groupe, qui n’a pas simplement livré la meilleure performance du festival mais tout simplement l’un des meilleurs concerts de ces derniers mois voire de ces dernières années.
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« Donne-moi la voix de Franck Ocean et la présence sur scène de James Brown. Je serai ton dieu du rock », assène Will Toledo dès Cute Thing la deuxième chanson du concert. Mais le McLovin du rock indé n’a pas besoin de tout ça pour occuper cette place pour une partie du public qui beuglera les bras en l’air ses paroles d’un bout à l’autre du concert. Connu grâce à plusieurs albums enregistrés chez lui (et notamment dans la voiture de ses parents, d’où le nom de son groupe) et publiés sur Bandcamp, Car Seat Headrest s’est fait remarquer grâce à des hymnes doux-amers pour une jeunesse qui lose un peu, entre drogue récréative, porno honteux et gueule de bois.
Au Primavera, il y a quelques mois, on l’avait vu se perdre un peu dans d’inutiles gesticulations. Ce vendredi, l’éternel juvénile de 26 ans trouve un équilibre dément pour jouer quelques-unes des chansons les plus remarquables que l’on entendra lors du festival – jusqu’à Beach Life-In-Death en conclusion, terrible morceau bi-polaire qui déploie son attraction sur une douzaine de minutes, donnant l’impression que les Strokes, encore eux, ont ré-enregistré Siberian Breaks. De ce concert, on sort euphorique, hagard et bouleversé. Le futur appartient à Car Seat Headrest.
Blood Orange, Vendredi 2 Novembre, 23h10
Devonté Hynes n’est pas un grand chanteur. Du moins n’a-t-il pas la voix pour interpréter les chansons qui naissent de son imagination. Du temps où il figurait parmi les plus belles promesses du rock fluo avec les Test Icicles, ou de celui où il commençait à tourner seul pour défendre ses premiers albums solo avec Lightspeed Champion puis Blood Orange, ce n’était pas très grave. Encore moins quand il était pygmalion pop pour Solange ou Sky Ferreira. Maintenant qu’il s’est réinventé en valeur sûre de la soul, ça pourrait être un poil plus embêtant. Sauf que l’Anglais exilé à New-York est trop intelligent pour que cela pose problème.
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Sur scène, ce vendredi, il apparaît accompagné de deux choristes avec des timbres bien plus conformes à ses ambitions de mélodiste. Pendant presque l’intégralité du concert, ils doubleront les lignes de chant. Preuve d’une modestie certaine pour un garçon souvent qualifié de génie. D’autant que Dev, tout sourire, ne cherche pas à être la star de son concert. A plusieurs moments, il s’assiéra reculé pour laisser la lumière à ses musiciens. Puisant surtout dans Negro Swan, son quatrième album publié à la rentrée, le concert de Blood Orange est une franche réussite – le meilleur que l’on ait vu du groupe. Un beau moment de communion entre un chanteur rare sur scène et un public admiratif et dévoué.
Snail Mail, Samedi 3 Novembre, 18h45
Lindsay Jordan, tête pensante de Snail Mail, est embarquée dans une entreprise qui semble la dépasser. La jeune américaine de 19 ans, est depuis plusieurs mois sur la route pour sa première tournée mondiale afin de présenter et défendre Lush, son très beau premier album paru au printemps. Après un premier passage convaincant à Villette Sonique en mai dernier, on la retrouve ce samedi au bout du rouleau sur la scène du Pitchfork. Et pourtant, malgré une voix aussi fatiguée que le reste de son corps, le charme de ses balades quelque part entre les Feelies et Avril Lavigne opère.
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Au fil d’un concert où le son s’améliorera petit à petit (au départ la basse couvrait entièrement les guitares) Lindsay Jordan retrouvera l’assurance entraperçue au printemps. Il faut dire que la gosse de Baltimore possède de sacrés arguments. Elle a à peine 16 ans quand elle publie Thinning, le genre de tube instantané que certains songwriters chercheront en vain toute leur vie. Depuis, les chansons de Snail Mail n’ont eu de cesse de prendre en ampleur – jusqu’à la doublette Pristine et Anytime qui viendra conclure le set et nous laisser certain qu’il faudra compter sur elle à l’avenir. D’ici là, on lui souhaite une bonne nuit de sommeil, une tisane au miel – et un ingé son.
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