Entre la beauté irréelle « Titanic Rising » de Weyes Blood, l’aspect hypnotique du premier album de W.H. Lung, le retour fracassant des Drums, la pop nostalgique de The Proper Ornaments, le sombre et tranchant premier projet de Kompromat et la dream-pop anesthésiante de Miel de Montagne, voici les albums à écouter cette semaine.
Weyes Blood – Titanic Rising [Sub Pop]
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sur la pochette de son nouvel et quatrième album, Titanic Rising, l’eau a tout envahi. Son regard braqué sur nous, Natalie flotte en jean et tee-shirt blanc dans sa chambre d’ado reconstituée. La beauté surréaliste de l’image contraste avec son message : Weyes Blood poursuit sa dénonciation du dérèglement climatique en s’appuyant sur Titanic, un film qui l’a profondément marquée. Dans notre esprit, la référence supra pop à l’un des plus gros blockbusters de l’histoire du cinéma ne fait pas vraiment tilt avec la crise climatique. C’est pourtant dans cette improbable corrélation entre deux mondes que se niche le substrat de Weyes Blood, fille de son temps à l’éternité irréelle.
Weyes Blood a la capacité d’annuler tous les repères spatio-temporels, convoquant autant les madrigaux médiévaux (qu’elle affectionne), les chants lyriques, les arrangements de cordes classiques, le songwriting folk, la rondeur pop, les aigus bouleversants et les graves insolents. Inédit, l’ensemble baigne dans une mélancolie aquatique, celle qui enserre le cœur de l’artiste depuis l’enfance. Un génie torturé, perfectionniste, au bord de la noyade parfois, comme on le comprend avec cet album submergé, qui évoque aussi bien la chaleur du ventre maternel que l’effroyable angoisse de notre finitude.
L’intégralité de la rencontre avec Weyes Blood est à lire ici.
Titanic Rising est à écouter sur Apple Music.
W.H. Lung – Incidental Music [Melodic]
Un crépuscule glacé se lève sur un plancher de lames métalliques. Petit à petit, la lumière se fait sur un univers spatial peuplé de mille mondes. Difficile de ne pas s’imaginer dans un jeu vidéo futuriste, découvrant de nouveaux astres au détour d’une galaxie lointaine, en écoutant l’épopée monumentale introductive Simpatico People de W. H. Lung. Derrière cette improbable collusion verbale entre un entrepôt de vente en gros de Manchester et le poète britannique W. H. Auden, se cachent trois ouvriers sonores de l’ombre. Loin de l’accident collectif, leur premier album, Incidental Music, fait l’effet d’un pavé de titane jeté avec préméditation dans la mare. Brut et dense, il révèle vite de multiples éclats hypnotiques qui font bouillir les sangs, entre nappes synthétiques brumeuses, grilles de basse en flux tendu, guitares kaléidoscopiques, beats métronomiques et voix nerveuse à la désinvolture britannique. Lancé comme un groupe de studio uniquement, W.H Lung daigne à présent se produire lors de rares concerts – les spectateurs du dernier Festival des Inrocks s’en souviennent encore. On suivra ses prochains plans de vols de ce côté-ci de la Manche.
Amandine Jean
Incidental Music est à écouter sur Apple Music.
The Drums – Brutalism [Anti-]
Plus ramassé, intime et direct que ses prédécesseurs, cet album se singularise de la recette The Drums. Quand ils commençaient, Jonny et Jacob racontaient que leur formation n’aurait sans doute pas existé s’ils n’avaient pas découvert la réverb’. Cette époque est terminée. Le chanteur n’a plus besoin de cacher sa voix sous les effets. Cette dernière décennie, Pierce l’a passée à fuir – sa morosité, son passé, son homosexualité. Quand on le rencontre, il vient de rester un mois au même endroit pour la première fois en dix ans. Une épreuve imposée par son psy. “J’essayais de m’échapper de moi-même”, explique-t-il. Il s’assume presque désormais, utilise des mots qu’on n’aurait jamais imaginés dans sa bouche. Des mots enfin adultes. “Je sais qu’avec une bonne baise et un verre de vin, tu seras à moi”, chante-t-il sur Body Chemistry. “Pourtant, sur ce titre, je me demande si la dépression est dans mon ADN, si je suis né avec”, explique-t-il. Brutalism ouvre une nouvelle ère pour le leader des Drums – reste à savoir comment il continuera son chemin, maintenant qu’il s’est délesté de ses plus grosses douleurs.
Cyril Camu
Brutalism est à écouter sur Apple Music.
The Proper Ornaments – Six Lenins [Tapete Records]
Deux ans après Foxhole, les Proper Ornaments ont su surmonter les épreuves. Max Oscarnold s’est remis d’une sale hépatite, les rivalités internes entre les deux leaders ont été calmées et le groupe a réussi à s’enfermer dans le studio de James Hoare, à Finsbury Park, dans le nord de Londres, pour y élaborer sereinement son nouveau disque. En seulement deux semaines, Six Lenins était enregistré.
Dans cette urgence, le savoir-faire des Londoniens est resté intact. Le léger trémolo des guitares n’a pas bougé. Les mélodies sont toujours aussi soignées et la nonchalance apparente des titres perpétue l’impression qu’ils ont été composés avec une facilité affolante. Si le duo de songwriters est resté fidèle à son classicisme pop, véritable marque de fabrique du groupe, de rares incursions électroniques se font néanmoins entendre à quelques reprises (Song For John Lennon, Bullet from a Gun). Six Lenins conserve la dose de nostalgie et de mélancolie inhérente à Foxhole, mais il laisse surtout entrevoir un nouveau chapitre, beaucoup plus lumineux et apaisé, pour ses auteurs – le solaire Please Release Me ou le très velvetien In The Garden peuvent en témoigner.
Valentin Gény
Six Lenins est à écouter sur Apple Music.
Miel de Montagne – Miel de Montagne [Délicieuse Records & Pain Surprise]
L’année dernière, Miel de Montagne débarquait dans le paysage pop made in France avec Pourquoi pas, rengaine débraillée et synthétique – véritable ode au nudisme et aux soirs d’été qui s’éternisent. À peine un an plus tard, celui qui se cache derrière Miel de Montagne, Milan, dévoile un premier long format, sobrement baptisé Miel de Montagne. Long de dix morceaux, ce projet aux (très) doux reflets sucrés promet une immersion dans le monde léger, naïf et mélancolique du jeune français.
À l’image d’une ballade sous-marine, on se sent un peu ralenti et en suspension à l’écoute de l’album. C’est que Milan imprègne son électro d’une anesthésiante dream-pop, dont la douceur des synthés et de la batterie crée une ambiguïté certaine. Sur certaines musiques, comme Ces rêves ou Plus le Même, le musicien n’hésite à plonger l’audimat dans sa nostalgie et dans ses mondes perdus. Et à l’opposé, Milan apaise et fait délicatement briller certains morceaux, comme Le Soleil Danse, Permis B bébé, Pourquoi Pas ou encore Cette Fille. Bref, l’album se repose sur cet équilibre fragile, mais parfaitement maîtrisé, preuve de tout le chemin parcouru par le talentueux français jusqu’ici.
Salomé Grouard
Miel de Montagne est à écouter sur Apple Music.
Kompromat – Traum und Existenz [Clivage]
Kompromat, c’est l’improbable duo français formé par Pascal Arbez‐Nicolas (Vitalic, Dima) et Julia Lanoë, alias Rebeka Warrior (Sexy Sushi, Mansfield.TYA). Réunis sous un nom russe pour un album en allemand en hommage aux débuts de la techno berlinoise, il va sans dire que miser sur ce projet, c’était quitte ou double. Leur premier album, Traum und Existenz, a prouvé avec audace qu’il fallait (vraiment) miser double. Loin de la techno berlinoise, Kompromat offre un projet magistral placé sous le signe de l’électro tranchante et sombre, qui appelle autant “au cri de guerre qu’à la prière”, comme le décrivent si bien les deux artistes.
Il est, tout de fois clair que Kompromat s’est lancé dans un vrai voyage dans le temps, avec des chansons à l’instar de Niemand, Die tausende Herbste ou encore Herztod qui possèdent de réelles consonances des 1980s. Et utiliser l’allemand, langue que Rebeka Warrior ne maîtrisait pas jusqu’à lors, n’est certainement pas étranger à ce résultat unique. C’est donc avec génie que Kompromat a réussi à ressusciter un esprit qu’on avait oublié jusqu’à maintenant. À écouter sans relâche.
Salomé Grouard
Traum und Existenz est à écouter sur Apple Music.
{"type":"Banniere-Basse"}