A l’occasion du 50ème anniversaire de la Tamla Motown, Francis Dordor goûte pour vous le miel sauvage de la ruche de Detroit, avec 15 disques, platinés ou discrets, qui ont fait la légende du label. Cette semaine : Rick James avec Come Get It .
[attachment id=298]Rick James & Stone City Band Come Get It (1978)
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Longtemps différées au point de devenir une arlésienne, le premier volet des Archives de Neil Young sera officiellement mis en vente le 2 Juin prochain. Les inconditionnels peuvent donc se frotter les pognes et mettre des sous de côtés. Cette petite affaire va quand même coûter dans les 300 $ (en édition Blu Ray) et à ce prix, franchement, on peut déjà pester contre l’absence de la moindre trace sonore d’un des premiers groupes, The Mynah Birds que Young a formé à son arrivée à Toronto en 1963 . Bien qu’éphémère, l’orchestre ne cesse d’intriguer par sa composition.Y figuraient le futur Buffalo Springfield, Bruce Palmer, Goldie Mc John, plus tard organiste de Steppenwolf , mais aussi un jeune noir, Ricky James Matthews, James Johnson de son vrai nom, qui 15 ans plus tard se rendra célèbre sous l’identité de Rick James, revendiquant le titre de Super Freak du Punk Funk . Un cas unique, pour ne pas dire d’espèce, dans l’histoire de la Motown, qui en compte beaucoup pourtant.
The Mynah Birds signèrent avec Tamla Motown à la fin de 1963 et, selon Young, ce fut sans doute le seul groupe de l’histoire du label qui n’ait jamais joué de la guitare 12 cordes dans ses studios. Pendant une semaine, enfermés dans le QG de Detroit, ils enregistrèrent plusieurs titres dont It’s My Time qui devait être leur premier single. Sauf que Rick James fut arrêté pour désertion et incorporé de force dans la Navy la veille de son lancement. Craignant la mauvaise publicité, Motown préférera annuler sine die la sortie de It’s My Time, qui ne vit jamais le jour. Toujours selon Neil Young, le groupe ne reçut aucun dédommagement pour ce qui s’apparentait à une rupture de contrat. Quant à l’avance qu’il devait toucher à sa signature, leur manager, propriétaire d’un magasin d’oiseaux exotiques- d’où le nom du groupe, les Mainates- préféra s’acheter de l’héroïne et faire une overdose avec. Très vite James se débrouilla pour quitter l’armée et partit tenter sa chance à Londres où il fonda un combo de blues, Mainline. Mais en fait tout ce qu’il réussit à y faire « c’est crever la dalle », comme il le confiera à Sharon Davis en 1988. Il revint aux Etats Unis, enregistra un album avec un groupe de série B, White Cane, dont il était le bassiste, puis se résolu à se lancer dans une carrière en solo.
En 1978, deux ans avant que Prince ne commence vraiment à affoler les têtes avec son porn-funk et ses slips de cuir échancrés, on vit débarquer ce drôle d’oiseau qui depuis sa période mainate s’était sérieusement étoffé le plumage et l’ego, au point de faire la roue comme un paon. Vêtu d’une sorte de gilet de soie se terminant par une collerette en plexiglas, chaussé de cuissardes à ailerons argentés, la moue orgueilleuse d’un rookie chassé de l’Olympe pour avoir osé tirer la langue à Zeus en personne, Rick James sortit Come Get It qui, plus qu’un premier album , était une célébration et un manifeste. Sur la pochette, on le voit tendre une main presque charitable vers une Venus à demie nue, couchée à ses pieds et jouissant littéralement d’un tel honneur. Heureusement, l’album ne valait pas que pour le seul enrobage. Ceux que le disco commençait à sérieusement déprimer, trop calibré musicalement et trop correct politiquement, ne s’y trompèrent pas, trouvant dans ce nouveau démiurge chamarré un sauveur inespéré. James reprend et décline sur cet album tous les fondamentaux de la philosophie P.funk (psychédélique funk), résumé dans l’axiome « Free your mind and your ass will follow ! ». Accompagné par le Stone City Band , groupe faisant le lien entre Funkadelic et Earth Wind & Fire, il réussit le pari de mettre la frénésie en chanson, un peu comme certains construisent des voiliers dans une bouteille. You & I reste ainsi l’un des meilleurs party records des années 70, huit minutes à se frotter le dos sur l’arête des guitares et à bistourner du bassin sur un groove orgiaque. Rick appela ça le Punk Funk, et l’on sut assez vite qu’il ne s’agissait pas uniquement d’un genre musical mais aussi d’un mode de vie. Qu’il allait du reste se faire un devoir de suivre scrupulseusement.
Come Get It fut un énorme succès et sauva pour ainsi dire la baraque Motown qui prenait l’eau de toutes parts en 78. Berry Gordy n’était pas exactement heureux d’avoir sur son catalogue un olibrius faisant l’apologie de la fumette (Mary Jane), ou incrustant ici et là des gémissements de plaisir ( Sexy Lady), mais les hommes affaires, on le sait, se font toujours moins regardant quand ça rapporte. Et James fut un bon money maker pour la Motown, notamment grâce à son tube Super Feak de 81. Sauf qu’entre temps, de l’apologie de la marijuana il était passé à celle de la coke et du crack ( Cop’n’Blow, South American Sneeze) dont il s’était mis à faire un usage assez immodéré, et peu discret, pour devoir séjourner à la prison de Folsom pendant deux ans. L’oiseau sera aussi condamné pour sévices sexuels sur une de ses conquêtes. A sa sortie de taule, Rick, qu’on appelait désormais « le Marquis de Sade du Funk »,était lessivé. Il eut pourtant droit à une passagère rédemption lorsque MC Hammer cartonna avec U Can’t Touch This à partir d’un sample de Super Freak, remboursant ainsi tout ce que la génération du gangsta rap avait pu lui piquer. Fidèle à son mépris des limites, quand il mourut d’une crise cardiaque le 6 Août 2004, à l’âge de 56 ans, le coroner trouva sept substances interdites dans son sang parmi lesquelles de la cocaïne et des amphétamines. Comme l’écrira J.D. Considine dans Rolling Stones, « James s’habillait comme un rocker, chantait comme un soul man et se pavanait comme un mac. » L’intéressé aurait sans doute trouvé cette épitaphe un peu trop fleurie, lui préférant quelque chose qui dise combien son nom, finalement, se suffisait à lui-même. Un peu dans l’esprit de ce qui l’avait rendu célèbre au David Chappelle Show, lorsque face à la camera il s’était présenté par un définitif« I’m Rick James, bitch ! ».
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