Cette année, marquée par l’absence de la scène des musicien·nes en pleine pandémie mondiale, aura confirmé le rôle primordial du graphisme des disques, autant dans une prise de parole esthétique voire politique, que dans des stratégies de communication de plus en plus affûtées.
Les pochettes de disques ont-elles encore une importance à l’heure de la toute puissance des plateformes de streaming et de leurs playlists gérées par des algorithmes de recommandation? Fin juin, le designer star Virgil Abloh (actuel directeur artistique Homme chez Louis Vuitton) créait le scandale en diffusant une pochette pour le jeune rappeur défunt Pop Smoke. Visiblement composée à la va-vite à l’aide de Google Images et de quelques barbelés piqués sur Paint, l’image était loin des attentes d’une communauté de fans endeuillée. C’est sous la pression de celle-ci que le projet sera retiré et remplacé par une nouvelle proposition en adéquation avec l’émotion entourant cette disparition prématurée.
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2020, une année caractérisée entre autres par une drôle de particularité : la domination dans les classements de jeunes artistes morts, Pop Smoke, Juice Wrld, Mac Miller, pour ne citer qu’eux. L’occasion de rappeler que même s’ils sont démantelés par les GAFA, les disques ont encore, dans leur ensemble, une forte valeur affective auprès du public. Retour en 15 propositions sur les pochettes les plus marquantes de 2020.
15 Lous and the Yakuza Gore
Révélation indiscutable de l’année, qui séduit désormais des deux côtés de l’Atlantique, Lous & The Yakuza présente avec la pochette de Gore une image fidèle à sa musique, toute en clair-obscur, intemporelle dans ses intentions et annonciatrice d’un futur plus radieux qu’elle contribue à définir par son engagement esthétique.
14 Pure X Pure X
Qu’est-ce qui permet à un groupe de la scène néo-psyché rock américaine de sortir du lot ? Peut-être son emballage tout simplement, à l’image du nouvel album des Texans de Pure X dont la pochette glane tout l’imaginaire ensoleillé, mystique et mortuaire défini il y a bientôt 70 ans par The Doors, The Flying Burrito Brothers et autres The Band.
13 Metz Atlas Vending
Prise par le père du chanteur guitariste du groupe noise-punk, la photographie qui orne la pochette de ce quatrième album de Metz évoque la survie dans un monde en ruines. Une image d’après l’effondrement qui offre une lointaine résonance avec le travail de Dorothea Lange pendant la Grande Dépression, période à laquelle l’année qui vient de s’écouler fait irrémédiablement penser.
12 Tame Impala The Slow Rush
Avec cette image d’architecture abandonnée prise dans les sables, Tame Impala confirme qu’il n’est plus vraiment de ce monde. Kevin Parker, peut-être l’artiste pop le plus important depuis Daft Punk, invente une science-fiction radieuse, lissée jusqu’à l’obsession.
11 Fontaines D.C. A Hero’s Death
Ne nous méprenons pas sur le cas de Fontaines D.C. Si le groupe joue avec les symboles (ici la statue de Cúchulainn, figure de la mythologie celtique qui commémore l’insurrection de Pâques 1916 contre les Britanniques), ce n’est en aucun cas pour endosser le costume de porte-parole ou leader d’opinion. Ce Hero’s Death parvient à toucher du doigt l’intemporalité des plus grands (et laisser de côté les wagons de suiveurs du revival post-punk actuel).
10 The Strokes The New Abnormal
Près de vingt ans après ses débuts dans une Amérique blessée (Is This It est sorti, rappelons-le, quelques semaines avant le 11 septembre 2001, avant d’être édité avec une autre pochette), le plus grand groupe de rock actuel revient avec un disque au titre visionnaire. La pochette, qui fait référence au Birds on Money de Jean Michel Basquiat, fait d’une pierre deux coups : elle revendique les racines new-yorkaises des Strokes et un certain droit à la mélancolie (l’œuvre du peintre d’origine haïtienne a été réalisée en hommage au défunt Charlie Parker).
9 Westside Gunn Pray For Paris
Composé à Paris pendant la fashion week et défendu alors qu’il souffrait du Covid-19, ce nouvel album du fondateur de Griselda est habillé d’une pochette réalisée également par Virgil Abloh, avec cette fois plus de bonheur. Une réappropriation du tableau David avec la tête de Goliath attribué au peintre baroque Caravage, dont le message vis-à-vis du music-business se passe d’explications.
8 Bon Voyage Organisation La Course
Formation phare de la musique trip d’ici, Bon Voyage Organisation, mené par Adrien Durand (homonyme de l’auteur de cet article, on vous rassure), inscrit son nouveau périple sonore dans un paysage aux contours infinis et aux lignes minimalistes (à l’image de sa pochette). Là où on va, on n’a pas besoin de route.
7 Taylor Swift Folklore & Charli XCX How I’m Feeling Now
Taylor Swift et Charli XCX incarnent deux facettes de la figure de la pop star en temps de pandémie mondiale. La première a sorti avec Folklore un disque plus introspectif et sobre, baigné d’influences indie et de grands espaces, quand la seconde s’est présentée sans fard comme une évidente figure d’identification de la “bedroom culture”. De quoi leur éviter la guillotine symbolique des réseaux sociaux qui avait soif de célébrités hors-sol cette année et leur permettre de resserrer les liens avec leurs communautés respectives de fans.
6 Salem Fires In Heaven
Chef de file du mouvement witch house, Salem semblait être tombé au champ d’honneur de la hype des années 2000. Fires In Heaven, nouvelle collection de morceaux sombres et apocalyptiques, est illustrée par une peinture de l’archange Michel accompagné d’un démon, comme les deux faces d’un groupe et d’une époque trouble.
5 Kalash Criminel Sélection naturelle
Alors qu’il reconnaît volontiers le raté de la pochette de La Fosse aux lions, Kalash Criminel offre avec Sélection naturelle un objet visuel et sonore aussi fort que réaliste. Derrière son image de rappeur hardcore et sa quête du “turn up” (titre d’un morceau marquant partagé avec Nekfeu), l’artiste affronte avec détermination des sujets politiques et sociaux sans détourner le regard.
4 Moodymann Taken Away
Le Stevie Wonder de la house music a sorti avec Taken Away un des meilleurs albums de 2020, marqué par le racisme et la violence policière dont sa condition de légende vivante n’a pu le protéger et illustré par un portrait au réalisme fier, loin de ses apparitions masquées passées.
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3 Georgia Seeking Thrills
Avec cette photographie de liesse enfantine sur le dancefloor, il y a peu de chances que Georgia imaginait, à la sortie de son album en janvier 2020, offrir un artefact du monde d’avant. Les disques comme ce Seeking Thrills auront fait office de méthadone efficace avant de retrouver les clubs et la sueur.
2 TheMIND Don’t Let It Go To Your Head
Avec sa musique à la confluence d’un rap conscient new school à la Kendrick Lamar et d’un r’n’b suave à la D’Angelo, le Chicagoan TheMIND offre une pochette impressionnante, entre colère et résistance, pop art et agit prop. Esthétique et implacable.
1 Oneohtrix Point Never Magic Oneohtrix Point Never
Après une BO presque parfaite pour le boulet de canon scorsesien Uncut Gems des frères Safdie, Daniel Lopatin ne semblait plus loin de l’Olympe de la pop music contemporaine. Son Magic Oneohtrix Point Never, œuvre digérant autant ses expérimentations passées que son appétence évidente pour la radio FM, n’aura pas adopté ce titre par hasard. C’est un album qui aura, dans tous les sens du terme, rendu notre existence plus belle, tout simplement.
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