Suite de notre série de chroniques estivales, avec l’Australien Oren Ambarchi, Lydia Képinski from Montréal, le mystérieux Hikarï, le duo angelino Pearl & the Oysters feat. Biche, Tim Heidecker, le regretté Raymond Byron, et la patine vintage du premier album de l’Anglo-Américaine Fonteyn.
Le premier volet de nos chroniques de l’été est a retrouver ici.
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Oren Ambarchi, Johan Berthling et Andreas Werliin Ghosted
Suivre l’actualité du prolifique Oren Ambarchi nécessite une veille constante. Dernièrement, on l’a croisé au Cafe OTO, haut lieu de la musique improvisée à Londres, où il livrait une performance solo équipé d’une guitare et d’une myriade de pédales d’effets : le musicien, collaborateur, entre autres, de Jim O’Rourke, faisait ainsi étalage de sa maîtrise de l’électricité, tel un dompteur de fauves à la force tranquille. Un show aux antipodes de sa dernière échappée discographique chez Drag City, aux côtés des Suédois Johan Berthling (à la basse) et Andreas Werliin (aux percussions). Ghosted, disque à l’éthique free jazz, se découpe ainsi en quatre parties et pose les bases d’une quête de groove dissonant à dominante acoustique. Très percussif dans ses premiers temps, cet énième album de l’Australien, enregistré live dans une pièce, semble peu à peu s’évaporer à mesure qu’il s’écoule, jusqu’à cette Apothéose engourdie (IV, son dernier segment) aux allures de dérive post-rock crépusculaire.
Album : Ghosted (Drag city Records)
Lydia Képinski Depuis
Quatre ans après Premier juin (2018), l’album qui la révéla, Lydia Képinski dévoilait cette année Depuis, un deuxième format long éclaté et plein à craquer de trouvailles formelles et textuelles. Prenez ce titre, La saison des huîtres, sorte de valse synthétique au ralenti, flanqué de paroles surréalistes (on demandera à Bonnie Banane si elle apprécie, on parie que oui), ou le lugubre aquatique de Chlorine et ses nappes gothiques, ou bien encore la disco décharnée de Vaslaw et le clinquant MTL me déteste (parodie punk, sans le vouloir, du Bruxelles je t’aime d’Angèle), pour vous faire une idée. La confession d’une enfant du siècle, dans un Montréal à la dérive.
Album : Depuis (Chivi Chivi)
Hikarï Wandering Memories
Croisé chez Bon Voyage Organisation, Forever Pavot et au comptoir du bar du Motel, à Paris, le Français Arnaud Sèche s’offre une escapade pastel au Japon, avec cette collection de sketchs mise en boîte avec le guitariste Pierre Antoine-Piezanowski et Maxime Daoud (Ojard). Minimalistes, les neufs pièces qui constituent ce très bien nommé Wandering Memories, convoquent field recordings (les lignes de métro nippones), flûtes, piano et nappes synthétiques, et suscitent chez l’auditeur⸱trice un état de conscience altéré, à la manière d’un film signé Hou Hsiao-hsien (au pif, Café Lumière, sorti en 2003). D’autant plus salutaire que les disques blockbusters ont tourné en boucle depuis le début de l’année, au point de nous rendre marteau. Et si l’esquisse, en ces temps disloqués, était la forme refuge dont nous avions tous besoin ?
Album : Wandering Memories (The Hours Publishing/HRCLS Rec)
Pearl & the Oysters et Biche Coordonnées
Un an après la parution de Flowerland, un troisième album pop et généreux, Juliette et Joachim rempilent avec une nouvelle sortie, sous la forme d’un quatre titres mis en boîte avec Alexis Fugain, de Biche. Coordonnées donne notamment à entendre Sonhando Com Nosso Amor, sorte de bossa synthétique ébauchée il y a plus de dix ans, le scintillant et ventilé Lovebirds, qui trahit les tendances romantiques hors-cadre et taciturnes de Biche, ou encore En plein cœur de la nuit ou Les brins de lavande. Le tout est chanté en français, mais semble vouloir jouer la carte du brouillage de piste, like a rolling stone. No direction home, pour Coordonnées, donc, qui montre que la pop made in France aux USA peut aussi faire quelques pas de côté judicieux.
EP : Coordonnées (Feeltrip Records)
Tim Heidecker High School
Coucou, le revoilou. Tim Heidecker, comédien et humoriste, songwriter de talent que l’on imagine écouter Silver Jews en jouant à la pétanque avec Stephen Malkmus, vient de sortir son album d’apprentissage : High School. Album d’apprentissage à rebours, faudrait-il préciser, puisque les dix titres de ce sixième long format revisitent l’adolescence de l’intéressé, avec le rapport bancal au tragique qui caractérise le type (on se souvient de ses comptines folk-rock sur Donald Trump : Too Dumb For Suicide: Tim Heidecker’s Trump Songs, reprises par Father John Misty, notamment). Outre le duo soft-rock qu’il forme le temps d’une chanson avec Kurt Vile (Sirens of Titan) sur ce disque produit par Mac DeMarco, on retiendra l’ouverture du morceau Future Is Uncertain, introduit par le brouhaha d’une cour de récréation : “Future is uncertain / The past is fading away / Future is uncertain / The past is fading away / I remember laughing, I can’t remember what I was laughing about / And I remember crying, I can’t forget what I was crying about / That won’t fade away”. Une autre histoire du monde libre.
Album : High School (Spacebomb)
Raymond Byron Bond Wire Cur (ESP-Disk)
Comment ne pas y voir le testament d’un musicien ayant fait sauter les dernières digues qui le séparaient du monde sensible ? Raymond Raposa, aka Castanets aka Raymond Byron, compagnon de route de Sufjan Stevens (il était l’une des signatures du label de Suf, Asthmatic Kitty Records), est mort le 29 juillet dernier, à l’âge de 41 ans, en laissant derrière lui ce Bond Wire Cur décharné jusqu’à l’os et austère, d’où percent par endroits les lueurs blafardes d’une bougie en fin de vie et quelques saillies bruitistes, façon Sonic Youth. Constituée de 20 titres courts, cette ultime livraison sonne comme du Palace Brothers en pleine errance et grouille de faux messages d’espoir, à l’usage des vivant⸱es, plus vivants pour longtemps. Il est glaçant de voir à quel point les rejetons de l’americana puissent être aussi clairvoyants sur la mort et aussi peu enclins à la tenir suffisamment à distance pour en apprendre au moins autant sur l’ici et maintenant.
Album : Bond Wire Cur (ESP-Disk)
Fonteyn Trip the Light Fantastic
Il y a quelques années, pas si longtemps, c’était en 2019, le label Mexican Summer sortait une compile intitulée Sad About the Times, faite de vieilleries 70’s soft rock et pop psychédélique, inconnues et oubliées. Le genre que votre papa, s’il roulait dans une Chevrolet sur les routes californiennes au temps des chocs pétroliers, a peut-être entendu à la radio. Cette musique ouvragée, joyeuse, légère, à l’empreinte mélodique indélébile, continue d’exister aujourd’hui par l’entremise de quelques esthètes, dont le plus fameux d’entre tous, Michael Collins aka Drugdealer. Plus confidentielle, l’Anglo-Américaine Fonteyn, établie à Salt Lake City, Utah, vient de dévoiler le miraculeux Trip the Light Fantastic (comme l’album de la pop star Sophie Ellis-Bextor), collection de huit titres à la patine vintage, écrits et arrangés avec un savoir-faire ancestral. À rebours de tout ce que l’industrie et l’époque peuvent produire d’anxiogène, ce mini-disque est un mirage, avec ses harmonies, son enchevêtrement de claviers et cette voix indatable, donc éternelle. Dans un monde qui tournerait rond, Fonteyn, dont les influences, nous dit-on, vont de Todd Rundgren à Paul Mccartney en passant par Carole King, serait déjà en rotation sur toutes les ondes.
Album : Trip the Light Fantastic (Born Losers Records)
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