Du dernier Wilco aux cavalcades post-rock des Montréalais de Yoo Doo Right, en passant par Joey Bada$$, les apartés pop du leader des Nancéiens d’Orwell et de la grande Isobel Campbell sous l’étrange sobriquet Son Parapluie, ou encore Neil Young, retour sur les disques essentiels de 2022 que les “Inrocks” n’avaient pas encore chroniqués. Partie 1 sur 2.
Arrêt aux stands et séance de rattrapage. Les Inrocks profitent de la pause estivale pour mettre en lumière une poignée d’albums et EP sortis cette année qui, bien qu’ayant tourné sur nos platines, n’ont pas eu la place qu’ils méritent dans nos pages. Au programme, une poignée de références essentielles à écouter sans modération. Aujourd’hui : la pop ouvragée de Son Parapluie (duo formé par l’Orwellien Jérôme Didelot et Isobel Campbell) ; le rap old school de Joey Bada$$ ; l’indie-pop des Tallies ; le retour de Wilco ; les comptines de Marie Klock ; le pote Neil Young ; le post-rock de Yoo Doo Right, et les embardées library et instrumentales de Cosmic Analog Ensemble.
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Son Parapluie Paris n’existe pas
Paris n’est plus une fête : Taxi Girl l’avait prophétisé et Bruit Noir l’a entériné. Depuis toujours, la déconstruction du mythe parisien constitue dans les milieux pop ce chic un peu désinvolte, un peu surjoué, sur fond de paradis perdu. Ce qui n’empêche pas la beauté, comme en témoigne Paris n’existe pas, dernière collaboration entre le Nancéien Jérôme Didelot (Orwell) et la chanteuse et violoncelliste Isobel Campbell (Belle and Sebastian, Mark Lanegan), réuni·es sous l’étrange et nuageux sobriquet Son Parapluie.
Fidèle à son approche ouvragée de l’écriture (dans un pack incluant clef en main mélodies et arrangements), Didelot construit pour l’Écossaise un écrin classieux qui sent bon la vieille banquette en cuir de bistrot, où force d’évocation des thèmes (Un thème), côtoie quelques incursions post-yéyé (À l’assaut du ciel), pop song imparable (Je ne finis rien), groove et errances cosmiques. Comme une variation de l’expression “trop beau pour être vrai”.
Album : Paris n’existe pas (80 Proff Records/Europop 2000)
Joey Bada$$ 2000
Dans la grande tradition des albums flanqués d’une année en guise de titre, le 2001 (1999) de Dr. Dre s’est imposé en mètre étalon. Quand, treize ans plus tard, Joey Bada$$ débarque de New York avec sa très remarquée première mixtape 1999 (2012), le geste ressemble plus à une volonté de remettre les compteurs à zéro, qu’à un clin d’œil appuyé à ses aîné·es. Taxé de revivaliste du son East Coast 90’s (on croise MF Doom, J Dilla ou encore Lord Finesse dans les crédits), le kid de Brooklyn voit plus loin : il réécrit l’histoire, comme si la trap d’Atlanta n’avait pas fait main basse sur le business et que Roc-A-Fella Records dominait encore la planète rap. Une décennie plus tard, Joey Bada$$ livre 2000, présenté comme la suite de sa mixtape fondatrice. Prods luxuriantes, entre tradition boom bap et modernité, ce troisième album studio convoque Westside Gunn, la Californien Larry June (One of Us est l’un des sommets du disque), Diddy en ouverture et même les Montréalais de Men I Trust, samplés sur Show Me How. Comme un retour à la case départ.
Album : 2000 (Pro Era/Columbia)
Tallies Pattina
Tube instantané, No Dreams Of Fayres, dévoilé fin 2021 dans la torpeur d’une année qu’on avait hâte de laisser derrière nous, a eu l’effet d’un choc mémoriel : on s’est rappelé les premières percées solo de Cullen Omori (ex-The Smith Westerns) au mitan des années 2010, on s’est souvenu des Sundays, Cocteau Twins et consorts, comme si plus de trente ans ne nous séparaient pas des exploits discographiques de ces sommités. Le trio made in Toronto, porté par la voix indatable de Sarah Cogan, annonçait la sortie de Pattina, un deuxième album court (neuf titres au compteur, avec une pochette que l’on croirait tout droit sorti d’un brainstorming chez 4AD) publié en juillet et venu confirmer tout le bien que l’on pense de cette formation au savoir-faire pop ancestral. Entre jangle et dream pop, les Tallies ne ressassent pas, iels dynamitent le genre sans aucun complexe, et avec grâce. L’un des grands disques de l’été.
Album : Pattina (Bella Union/PIAS)
Wilco Cruel Country
Wilco par-ci, Wilco par-là. Tandis que Nonesuch Records s’apprête à fêter en fanfare les 20 ans du grand Yankee Hotel Foxtrot (2002) avec une “Super Deluxe Edition” attendue le 16 septembre (et déjà déflorée par l’entremise d’une poignée d’extraits live inédits), la bande de Jeff Tweedy a dévoilé fin juin Cruel Country, chez dBpm Records. Mis en boîte dans des conditions live, les 21 titres qui constituent ce douzième album studio cartographient l’Amérique contemporaine ou fantasmée d’un groupe qui, à l’instar d’un Sufjan Stevens, s’est mis en tête de retracer l’histoire de ce pays rongé par la violence et les mythes. Pour mieux conjurer le sort ? Si l’écoute distraite de ce disque peut susciter un sentiment d’ennui, une oreille attentive s’émerveillera de cette capacité à produire autant de bonnes chansons au microsillon. Country-rock dans l’âme, le dernier album des kids de Chicago aurait pu s’appeler Une histoire populaire des États-Unis.
Album : Cruel Country (dBpm Records)
Marie Klock Crotte Séchée en Gilet d’Apparat
Quand elle ne parle pas contrepoint et “chant monodique dorien à la con” avec John Maus et qu’elle n’écrit pas pour Libération, Marie Klock fait de la poésie scato-punk sur synthétiseurs et autres orgues électroniques. Porté par l’imparable single Boule de Seum, dans lequel elle se met en scène en train de caler des doigts dans l’urètre de “bandeurs mous” qui se prennent pour Bukowski, son premier album, La Face Cachée, mis en boîte en ermite quelque part dans les montagnes des Cévennes, sort en mai 2020. Deux ans plus tard, elle retire de ce long-format DIY la quintessence, soit quatre titres, et la passe à la moulinette d’un studio professionnel. Tadam, Crotte Séchée en Gilet d’Apparat, son nouvel EP, voit ainsi le jour et Marie Klock met enfin les pendules à l’heure.
À part l’inédit Pipo le iench, reprise de Patrick Sébastien, qui sonne comme une reprise de Philippe Katerine, si Philippe Katerine était un pastiche d’Alan Vega (bienvenue dans le métavers), les morceaux qui figurent sur cet objet discographique ne sont donc pas des inédits. Mais leur interprétation nouvelle précise le sujet. À noter, le morceau Inutile, co-écrit avec Daine Schultz, crieur public décédé en avril cette année. Une avalanche de déjections humaines qui fait du bien à la pop française (qui n’est pas toujours en reste de ce côté-là).
EP : Crotte Séchée en Gilet d’Apparat (Les disques du cloaque)
Neil Young & Promise of the Real Noise and Flowers
Prolifique, sans bouger les fesses du porche de son ranch, Neil Young. En deux mois, celui qui estime que la situation sanitaire ne lui permet pas de remettre les pieds sur une scène, a déterré trois albums live inédits mis en boîte au début des années 1970 (Royce Hall, I’m happy that y’all came down et Citizen Kane Jr. Blues) et sorti de ses archives un long format, Toast, enregistré avec Crazy Horse en 2001. Attendu cette semaine, un cinquième album viendra documenter les récents excès scéniques du vieux Neil : Noise And Flowers est ainsi constitué de titres captés lors de la tournée 2019, qui avait soigneusement évité la France, lorsque l’artiste était sur la route avec Promise of the Real, un backing band cinq étoiles, monté par Lukas Nelson, fils de Willie. 14 titres électriques et acoustiques, passant en revue la longue carrière de l’Américano-Canadien, de Everybody Knows This Is Nowhere, à Fuckin’ Up. De quoi raviver les souvenirs d’un concert inoubliable à Québec en 2018.
Album : Noise and Flowers (Warner)
Yoo Doo Right A Murmur, Boundless to the East
Yoo Doo Right, comme la Face B du premier album des Allemands de CAN, Monster Movie (1969). À une lettre près. Le trio montréalais, flingué au kraut et aux digressions dissonantes du post-rock, a sorti mi-juin un deuxième album concentré en cinq titres longs et progressifs, balayant un large spectre de la musique estampillée à tort ou à raison “cosmique”. Des tensions larvées du très doom et métallique Feet Together, Face Up, On the Front Lawn, aux errances éthyliques de The Failure of Stiff, Tired Friends et ses accointances dream-pop, les protégés de l’écurie Mothland Records offrent une B.O au voyage interstellaire de James-Webb en même temps qu’ils donnent à penser l’immensité de l’univers.
Album : A Murmur, Boundless to the East (Mothland Records)
Cosmic Analog Ensemble Expo Botanica
“Je voudrais qu’on arrête de dire de moi que je suis un type prolifique”, nous confiait récemment Ty Segall. Le kid de Laguna Beach a beau sortir beaucoup de disques, il n’arrive pas à la cheville du multi-instrumentiste qui se cache derrière le pseudonyme Cosmic Analog Ensemble (et d’autres encore), Charif Megarbane. L’homme-orchestre, qui se rêvait en François de Roubaix (toute ressemblance avec la bande originale du film avec Louis de Funès, composé par le musicien-plongeur, est fortuite), a publié depuis plus de quinze ans une grosse centaine d’albums, dans ce qui ressemble fort à la quête d’un monde englouti : jerk électroniques, breakbeat, funk oriental, pop psychédélique, les miniatures de Megarbane ratissent un large pan des musiques d’illustration seventies et suscitent à coup sûr l’émoi de l’auditeur·trice.
Dernier volet d’une trilogie débutée avec l’album Les sourdes oreilles (2017) et poursuivi avec Une vie sans détour (2018) l’année d’après, Expo Botanica, sorti cette année, est ce genre de cabinet des curiosités plus foutraque que ces deux susmentionnés, où le giallo se fait comédie burlesque et où la légèreté apparente des thèmes, qui semblent se tisser en direct (merveilleuse errance balearic que cette Ohms & Watts), peut faire basculer un esprit saint dans une coriace torpeur mélancolique. Plus qu’une musique de carte postale, une musique de jet-lag, à l’usage de celleux qui s’envoient seul·es des old-fashioned au bar de l’hôtel. Et il y a bien plus à découvrir.
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