La sortie récente de “Wall Of Eyes”, le deuxième album de The Smile, rappelle à quel point il y a toujours eu une vie en parallèle à Radiohead pour les cinq gars d’Oxford. Dans le fond, cela fait près de vingt ans que ça dure : deux décennies de projets parallèles, de bandes-son et d’aventures solitaires résumées en dix titres tournés vers l’émotion.
10. Thom Yorke Black Swan
Dire que The Eraser est un chef-d’œuvre serait un mensonge. Dire que le premier album solo de Thom Yorke, sorti en 2006, ne contient pas quelques moments de grâce, cultivés en apesanteur, le serait tout autant. On tient pour preuve Black Swan qui, malgré ses faux-airs de I Might Be Wrong (extrait d’Amnesiac, 2001), coche toutes les cases d’un morceau de Radiohead (le chant traînant, la rythmique cabossée, les textures électroniques) tout en refusant le copier-coller, la répétition d’une formule. Inutile de préciser que cette musique soulage les cœurs brisés.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
9. Jonny Greenwood Future Markets
Incarnées par un déluge de cordes menaçantes, les premières secondes de Future Markets instaurent d’emblée un climat pesant, une ambiance digne des films d’horreur, une atmosphère qui laisse présager du pire – sentiment logique tant la rythmique sonne comme une variation du thème des Dents de la mer. Il faut donc attendre la cinquantième seconde pour que cette composition, extraite de la BO de There Will Be Blood (2007), prenne toute son ampleur, déploie de jolies orchestrations et rappelle tout ce que Jonny Greenwood doit au compositeur polonais Krzysztof Penderecki dès lors qu’il s’agit de mettre en son des séquences filmées.
8. Phil Selway Waiting for a Sign
En 2010, Phil Selway prouvait avec Familial qu’il était bien plus que “le batteur de Radiohead”, un de ces musiciens condamnés pour l’éternité à l’arrière-plan. Quatre ans plus tard, l’Anglais renouvèle l’expérience avec Weatherhouse, un disque rempli à ras bord de ballades mélancoliques, d’arrangements gracieux et de refrains vaporeux. À l’image de ce Waiting for a Sign en forme d’épopée dramatique, qui l’impose en véritable songwriter et jette un pont majestueux entre deux beaux noms du spleen britannique : Mark Hollis et Elbow.
7. The Venus in Furs Bitter-Sweet
Si Thom Yorke est considéré à juste titre comme un maître de la mélancolie, lui dont les chansons sonnent comme des petites revanches sur les déceptions de la vie, il paraît plus difficile de l’imaginer fan de glam rock. Un stéréotype ? Oui, sans doute. L’histoire le prouve : en 1998, alors que OK Computer fête son premier anniversaire, l’Anglais s’associe à quatre autres complices (Jonny Greenwood, Clune, Andy Mackay de Roxy Music et Bernard Butler de Suede) au sein de The Venus in Furs, formation éphémère créée pour les besoins du Velvet Goldmine de Todd Haynes avec, en tête, l’envie de reprendre les chansons de Roxy Music. Dont ce Bitter-Sweet, aussi théâtral que dramatique.
6. Thom Yorke Suspirium
Jonny Greenwood n’est pas le seul membre de Radiohead à s’être tourné vers le cinéma en solo. Thom Yorke également : il y a d’abord eu Subterranea (2015), sorte de mélange entre field recording et ambient, puis Suspiria (2018), le remake de Luca Guadagnino pour lequel il ose investir la musique de film d’horreur aux côtés du London Contemporary Orchestra and Choir. En résulte Suspirium, une ballade hantée enregistrée en direct de l’outre-monde, soutenue de bout en bout par un piano tout droit sorti de la BO de Black Swan imaginée par Clint Mansell. Malin, Thom Yorke se débarrasse toutefois de toute influence trop encombrante et s’aventure ici plus frontalement vers la pop, la complainte troublée.
5. Atoms for Peace Before Your Very Eyes…
“Un album à danser dans la tête.” Voilà comment Thom Yorke nous parlait du premier et unique long format d’Atoms for Peace, formation pensée aux côtés du fidèle Nigel Godrich, de Flea des Red Hot, ou encore de Joey Waronker et Mauro Refosco à la batterie et aux percussions. Il y a effectivement de cette idée à l’écoute de ce Before Your Very Eyes… placé en ouverture d’Amok, porté par une structure mélodique qui orchestre un subtil dialogue entre les rythmiques saccadées de l’afrobeat des années 1970 et l’oscillation des synthétiseur, modernes et pourtant conscients de l’héritage dans lequel ils s’inscrivent : celui de Radiohead, évidemment.
4. Jonny Greenwood House of Woodcock
Il aura donc fallu quatre films à Jonny Greenwood et Paul Thomas Anderson pour atteindre ce qui constitue jusqu’à présent le climax de leur collaboration – désolé pour les fans de Licorice Pizza. En un sens, la BO de Phantom Thread est peut-être la plus ambitieuse du multi-instrumentiste britannique, toujours aussi touchant et impressionnant de talent lorsqu’il s’aventure ainsi vers la musique classique (Bach, notamment) et les grandes orchestrations romantiques, aptes à rappeler la puissance fantasmagorique du vieil Hollywood.
3. Jonny Greenwood Crucifix
Il y a possiblement deux façons de considérer la bande originale de Spencer, le film de Pablo Larraín sorti en 2021. On peut tout à fait l’entendre comme une manière pour Jonny Greenwood d’assumer son attrait pour le jazz, déjà maintes fois exploré, notamment sur la BO de The Master (2012). Il est également possible de l’envisager comme une réponse à ce que Hans Zimmer a imaginé pour The Crown.
Aux orchestrations majestueuses, parfois clinquantes, le Britannique préfère ici une partition baroque, angoissante, hautement redevable au travail de Georg Friedrich Haendel, et donc absolument parfaite pour souligner le climat chaotique autour de la princesse Diana. Tout en tension, Crucifix ne déroge pas à cette intention première.
2. Ed O’Brien Sail On
A priori, impossible de ne pas mentionner Brasil, cette cavalcade électronique étirée sur plus de huit minutes par un Ed O’Brien visiblement obsédé à l’idée de traduire en son ses péripéties brésiliennes – déjà perceptibles sur The Present Tense, extrait de A Moon Shaped Pool (2016). C’est pourtant Sail On, sa grammaire folk, sa noirceur réconfortante, son chant magnétique, qui emporte la mise.
Quatre ans après Earth, on se demande toutefois pourquoi le guitariste de la bande d’Oxford a enregistré ce premier album solo sous ses initiales. Par pudeur ? À l’écoute de Sail On, c’est pourtant tout un savoir-faire qui s’exprime, une science de la mise en son, un sens de l’interprétation qui, bien que réduite à quelques invocations, prend les atours d’une confession à la puissance réparatrice.
1. The Smile Bending Hectic
C’est sans doute parce qu’il vient de paraître. C’est peut-être parce que ses huit minutes paraissent finalement assez courtes par rapport à la manière dont elles ont imprégné notre esprit, perturbé nos écoutes, mais Bending Hectic, joué en avant-première lors du Montreux Jazz Festival 2022, témoigne d’une formation épanouie, totalement maîtresse de ses émotions, de son propos.
Présenté comme un des singles de Wall Of Eyes, Bending Hectic n’a rien d’un tube : c’est un titre qui encourage le temps long, dont la mélodie trouve sa pleine mesure au gré des minutes, passant avec talent de la retenue à un déluge d’instruments intelligemment agencés par le London Contemporary Orchestra. Essayez de retenir vos larmes après ça !
{"type":"Banniere-Basse"}