De Terence Blanchard à Dino Rubino, les 10 albums de jazz de la rentrée.
Terence Blanchard
Breathless
Ancien membre des Jazz Messengers, auteur de nombreux albums et compositeur d’une cinquantaine de musiques de film, Terence Blanchard a assez vécu pour savoir aller droit à l’essentiel : “Pour cet album, il n’y avait qu’une priorité et une seule : le groove.” Une dynamique centrale que le trompettiste pare de l’avant-gardisme chic des albums enregistrés par Herbie Hancock et Weather Report dans les années 70. Mais Breathless (titre qui rend hommage à Eric Garner, mort de suffocation en 2014 suite à une interpellation policière) contient aussi une peinture saisissante d’une Amérique toujours rongée par la discrimination et la paranoïa, ce qui achève d’en faire un disque majeur de cette rentrée.
https://www.youtube.com/watch?v=KsNgD6BROFc
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Hugh Coltman
Shadows. Songs of Nat King Cole
Pour un chanteur pop, un album de reprises de jazz est souvent le signe d’une carrière à bout de souffle. Rien de cela dans la visite inspirée que Hugh Coltman rend à Nat King Cole. Au crooner ultime, Coltman emprunte bien un peu de charme, mais il se garde de verser dans la guimauve. Au contraire, son répertoire se trouve ici frotté d’une rugosité blues opportune et revigorante. Derrière l’optimisme radieux de cette musique au sourire perpétuel se dévoilent ainsi des abîmes de tristesse. Courageux et passionnant, ce disque sera interprété le 5 septembre, sur la scène du festival Jazz à la Villette.
Sylvain Rifflet
Mechanics
Avec un musicien aussi libéré que le saxophoniste et clarinettiste Sylvain Rifflet, il convient de prêter attention aux indicateurs visuels autant qu’aux sons. Ici le titre, mais aussi la pochette (un superbe dessin de François Schuiten), nous mettent sur la voie d’une mécanique fuyante aux dimensions gigantesques. L’écoute le confirme : mélodies roulant comme des courroies de moteurs emballés, tours d’aiguilles qui s’affolent, bruits sténographiés en cadences d’enfer, soufflets de forge, cliquetis des clés que l’on actionne, des cordes que l’on tend, c’est toute une industrie organique que les sons mettent ici en branle, sans que jamais l’âme ne s’évade. Une œuvre impressionnante, à arpenter infiniment.
Tigran Hamasyan
Luys i Luso
On avait beau connaître son intérêt pour les traditions vocales de son pays, rien ne nous préparait à cet album de Tigran Hamasyan, son premier pour le label ECM. Bain de félicité dans les voix sacrées d’Arménie, il est d’une spiritualité si élevée que, pour peu d’en accepter le dépouillement lumineux, il remplit d’émerveillement. La finesse ornementale du pianiste, l’ingénieux respect avec lequel ses harmonies recueillent ces nuées de vocalises comme tombées d’un ciel omniscient imposent un ravissement solennel. Quelques mois à peine après la sortie de l’exaltant Mockroot, c’est un nouveau coup de maître.
Iiro Rantala
My Working Class Hero
Ce n’est pas faire insulte au génie de John Lennon que de le juger plus mélodique qu’harmonique : ses suites d’accords étaient simples. D’où la surprise de voir le pianiste Iiro Rantala reprendre douze de ses compositions (dont quatre cosignées par Paul McCartney) et en dévoiler, dans un contexte harmonique plus complexe, des richesses insoupçonnées, nuances neuves de sensualité et profondeurs de sentiment qui demeuraient encore tapies dans l’ombre des notes. Entamé avec beaucoup d’amour, ce dialogue permet finalement de redécouvrir un compositeur instinctif, décidément visionnaire.
https://soundcloud.com/actmusic-1/iiro-rantala-all-you-need-is-love-1
Cécile McLorin Salvant
For One to Love
A 26 ans, Cécile McLorin Salvant a déjà su attirer l’attention par sa présence, son humour et sa musicalité très assurée. Pour son deuxième album, elle mise sur un accompagnement des plus classiques (le trio avec piano) dont la retenue met en valeur son extravagance naturelle. Sa technique est bien sûr impeccable, mais Cécile semble surtout aspirer à la justesse de ses interprétations, justesse qu’elle atteint sans mal quand elle reprend Burt Bacharach (Wives and Lovers), se rêve en Judy Garland (The Trolley Song) ou enjoue un blues popularisé par Bessie Smith (What’s The Matter Now). A retrouver en concert le 5 septembre dans le cadre du festival Jazz à la Villette.
Matthieu Boré
Naked Songs
Chanter Over The Rainbow, Police On My Back ou le Ring Of Fire de Johnny Cash avec l’élégance impeccable d’un dandy américain d’autrefois, l’exercice est périlleux. Grâce à sa voix d’un moelleux auquel on ne peut que succomber, à sa gaieté et à la finesse, toute simple en apparence, de ses arrangements, Matthieu Boré relève le défi dans Naked Songs. On a misé ici sur une légèreté qui n’exclut pas la profondeur mais la laisse deviner derrière la décontraction des manières. Le résultat est un album absolument charmant, à paraître le 22 septembre.
Yaron Herman
Everyday
Regardé comme un phénomène pour son apprentissage du piano aussi tardif que peu orthodoxe, Yaron Herman continue à ne rien faire comme tout le monde en développant ses idées de composition instantanée dans une formule en duo avec le batteur Ziv Ravitz. Sa musique procède par humeurs, combinaisons ludiques et touches de couleurs, comme chez Scriabine dont il réinvente le Prélude n°4 Op. 74 peu avant de reprendre le Retrograde de James Blake. Une audace qui fascine et donne envie de se précipiter au concert programmé le 10 septembre à Jazz à la Villette, d’autant plus que c’est Orioxy qui en assure la première partie.
John Scofield
Past Present
Dans ce premier enregistrement de John Scofield pour le label Impulse!, à paraître le 25 septembre, on retrouve évidemment ce swing qui devance toujours d’une courte foulée le tempo, cette sonorité légèrement saturée, des phrasés blues à chaque détour et les bouffées d’air régulières pour maintenir la synchronisation jusqu’au bout. Mais ce qui touche surtout ici, c’est la beauté simple des thèmes (Hangover, Museum ou Mr Puffy) et le dialogue renoué ente le guitariste et son vieux complice, l’excellent saxophoniste Joe Lovano.
Dino Rubino
Roaming Heart
A l’écart des défis de technicité, des transes post-free et des démonstrations de force, Dino Rubino ose la déambulation en tête à tête avec son piano dans un disque hors du temps, limpide et profond comme une eau calme abandonnée à la nuit. Tout de modestie romantique et de solitude souriante, ce Roaming Heart paraît avoir été composé pour faire la paix avec soi, intention qui ne peut inspirer qu’un sentiment de gratitude et d’admiration.
https://www.youtube.com/watch?v=VUNfQ9RccHI
{"type":"Banniere-Basse"}