Le roi Christie. Fondateur inspiré il y a vingt ans de l’ensemble baroque Les Arts Florissants, William Christie s’aventure désormais dans Mozart avec le même succès que lorsqu’il dirige Monteverdi ou Rameau. Se faire appeler “sir” lorsqu’on entre dans un bar est d’un chic absolu. “Sir” William Christie n’a pourtant rien d’un lord fraîchement anobli […]
Le roi Christie. Fondateur inspiré il y a vingt ans de l’ensemble baroque Les Arts Florissants, William Christie s’aventure désormais dans Mozart avec le même succès que lorsqu’il dirige Monteverdi ou Rameau.
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Se faire appeler « sir » lorsqu’on entre dans un bar est d’un chic absolu. « Sir » William Christie n’a pourtant rien d’un lord fraîchement anobli par la reine mère. Nous ne sommes pas non plus dans un polar des années 60, style Les Tontons flingueurs, où Robert Dalban interpellait Lino Ventura… C’est ainsi, pourtant, que « sir » William est affectueusement nommé par la serveuse du bar-restaurant situé face à la sortie des artistes de l’Opéra-Comique, là où, après une bonne journée de répétitions, le chef d’orchestre se repose en buvant du thé avec, en fond sonore, caché derrière un rideau, le babil d’une quelconque radio diffusée par un haut-parleur. Son allure élégante est toujours assortie de cette voix un brin posée, devenue un signe de reconnaissance.
Il y a vingt ans, « sir » William, qui n’a rien de british puisqu’il est né à Buffalo aux Etats-Unis, en 1944, fondait à Paris son ensemble de musique baroque, Les Arts Florissants, avec le même esprit qui avait préludé, dès les années 60, à la création de formations anglaises, belges et néerlandaises spécialisées dans ce répertoire. Comme beaucoup d’Américains, William Christie « Bill » pour les intimes s’est expatrié très tôt en Europe. Formé aux Etats-Unis (orgue et clavecin) par Ralph Kirkpatrick, il suit les traces de ce pionnier de la musique ancienne et fréquente lui aussi les salles de concerts, les salons parisiens et les bibliothèques afin d’y découvrir quelque trésor du passé attendant patiemment sur une étagère qu’on veuille bien lui rendre la vie : « J’avais cette même nécessité de bouger, de me produire un peu partout dans le monde. »
Partageant sa vocation entre l’ancien et le nouveau, il trouve au sein de l’ensemble britannique Five Centuries le moyen de confronter de manière originale les répertoires du passé à ceux du xxème siècle, mêlant ainsi des créations de Morton Feldman ou Luciano Berio à des oeuvres écrites deux cents ans plus tôt. L’une des premières fois que William Christie fait parler de lui, c’est en tant qu’accompagnateur, au clavecin, du contre-ténor Alfred Deller, dans un récital Purcell enregistré à la fin des années 70 : « Je garde un souvenir très vif d’Alfred Deller. Il a beaucoup compté pour moi. Je me suis retrouvé devant un défricheur qui, à l’instar de Wanda Landowska pour le clavecin ou Andres Segovia pour la guitare, a permis à cette musique d’atteindre un large public. D’abord, parce qu’au début sa voix si curieuse, qui faisait frémir les uns et se pâmer les autres, est devenue peu à peu une légende, une icône. Lorsque je l’ai rencontré, c’était déjà un homme d’un certain âge, d’une soixantaine d’années, mais ses ressources musicales demeuraient intactes. Il était touché par la grâce. Il avait eu des problèmes de santé, mais sa voix était de nouveau miraculeusement épanouie. » William Christie se distingue ensuite en soliste au clavecin par des concerts et des enregistrements consacrés à Fischer et Bach, et surtout aux compositeurs français desXVIIème et XVIIIème siècles, Rameau, François et Armand-Louis Couperin, Royer et Mondonville, redécouverts en partie grâce à lui. Fondant son propre ensemble de musique ancienne en 1979, Les Arts Florissants (qui tire son nom d’un petit opéra de Marc-Antoine Charpentier), entouré de fidèles interprètes (solistes, choeur et orchestre), il part à la redécouverte d’un patrimoine musical d’une richesse immense : « Certains se contentent de rester au sein d’ensembles dirigés par d’autres, mais pas moi. J’ai pensé que j’étais prêt et qu’il était temps que je sois mon propre maître. C’était logique et naturel, étant claveciniste de formation. Il me suffisait d’être à l’instrument pour catalyser et diriger, car c’est le rôle du clavecin, historiquement. Et puis j’étais avec de jeunes collègues qui ne demandaient qu’à travailler et à être portés vers de nouveaux territoires, encore à peine explorés. »
Dès lors, William Christie prend la décision d’abandonner le répertoire d’avant-garde pour lequel il n’éprouve pas assez d’intérêt, et se tourne vers Monteverdi et plusieurs petits maîtres français, dont Moulinié et Lambert, spécialisés dans le madrigal et la polyphonie. La sensibilité de l’ensemble constitué de jeunes voix se porte naturellement vers la musique de Marc-Antoine Charpentier, où excellent des chanteurs comme Dominique Visse, Michel Laplénie, Philippe Cantor qui, quelques années plus tard, créeront leurs propres ensembles.
Jusque-là peu exploitée en France, la musique duXVIIème siècle est méconnue par une majorité d’interprètes et d’auditeurs. Grâce aux Arts Florissants, les Français redécouvrent Charpentier et Rameau. « Contrairement à ce qui se passe en Allemagne ou en Angleterre, les Français ont encore tendance à occulter leur passé musical, qu’ils associent peut-être à une forme de conservatisme, de protestantisme ou de musique d’avant la Révolution… Voyez comme Britten est proche de son passé musical qu’il adorait ; il pouvait parler pendant des heures de Purcell, de Blow ou Gibbons. Posez la même question à M. Boulez et vous verrez ! Il a beaucoup de problèmes avec son passé, et même en ce qui concerne le XVIIIème siècle. »
Dans les ouvrages lyriques de Charpentier et Rameau, Bill n’a pas son égal pour insuffler un sens théâtral : « Après tout, c’est peut-être une vision fantasmée que j’ai de cette musique. » Sa passion pour l’opéra se traduit dans ces musiques du XVIIème et duXVIIIème siècles par un geste ample et un art de la rhétorique, de la communication, qui passent par une dynamique convaincante du mouvement, de la danse. La recherche du détail chez lui prend sens dans une conception globale du style de la partition. Ainsi, dans le langage à la fois savant et populaire de Rameau, le chef d’orchestre est d’une éloquence superbe : « On imagine assez bien qu’à cette époque on chantait, mais il ne faut pas oublier qu’on dansait tout autant. »
Attaché à renouveler l’interprétation de la musique ancienne depuis plusieurs années, il limite sa direction contrairement à d’autres chefs issus du milieu baroque à un répertoire de prédilection qui va de Monteverdi à Mozart, ce qui représente deux siècles d’une grande diversité stylistique dans toute l’Europe, de la musique religieuse à la musique galante, du baroque au classique. Il apprécie néanmoins la figure romantique de Beethoven : « Ce n’est pas un phénomène soudain qui arrive sur la scène musicale comme un météore. Il a reçu la même éducation classique du XVIIIème siècle que Bach, Haydn et Mozart, dont la source se situe à l’époque baroque. Beethoven est un enfant du XVIIIème siècle. »
Convaincu de la nécessité d’une spécialisation chez l’interprète, il a conscience qu’en abordant une partition de Beethoven il lui faudra beaucoup de préparation et de répétitions pour obtenir un résultat à la hauteur de ses aspirations : « Mes collègues qui font Bruckner jeudi, Stravinsky vendredi et Sweelinck mardi, je n’y crois pas trop ; je doute que ça marche tous les soirs. » Ses Mozart, longuement peaufinés en concert et sur scène (Requiem, L’Enlèvement au sérail, Les Noces de Figaro et La Flûte enchantée), sont d’une fraîcheur revigorante, portés et habités par un exceptionnel travail d’équipe.
Mozart, L’Enlèvement au sérail, avec les chanteurs Christine Schäfer, Patricia Petibon, Ian Bostridge, Iain Paton, Alan Ewing et Jürg Löw (2 CD Erato-Warner)
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