Le Brésilien Lenine surprend et enchante avec un album qui sample des bouilloires, une cigale, un lave-linge et même une tronçonneuse. Critique et écoute.
Non, ce n’est pas Manu Chao qui, pris d’une soudaine piété bolchévique, aurait intitulé son nouvel album “Lenine” en hommage au père de la révolution russe. C’est Lenine qui a baptisé le sien Chão. On sait par avance qu’en termes de précommandes, le barbare cool de Recife n’est pas près de s’aligner sur le Tintin altermondialiste qui a vendu trois millions d’exemplaires de Clandestino. Lenine, qui jongle depuis toujours avec les rythmes ensorcelants de la samba et du maracatu, s’est mis au défi de n’utiliser sur ce neuvième album ni batterie ni instrument de percussion. Allez donc demander à un boulanger de faire du pain sans farine ni levure.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
S’inspirant du pionnier de la musique concrète Pierre Schaeffer, l’ingénieux Brésilien a convoqué à la place les bruits qui peuplent son quotidien pour rythmer ses chansons. C’est le chant d’un canari sur Amor é pra quem ama, celui d’une bouilloire qui chuchote sur la gazinière dans Uma canção é so, d’une tronçonneuse pour Envergo mas não quebro, d’une machine à laver à l’essorage sur Seres estranho…
Un parti pris radical, mais qui ne relève d’aucune forfanterie. Lenine ne cherche pas à faire le malin avec un concept sonore mais, plus ambitieux, à faire acte de foi dans la vie et ses mystérieuses occurrences. Il se plie à la magie des hasards comme on s’offre au soleil ou à la pluie, avec la quiétude du bienheureux et cette gourmandise qu’on lui connaît. “Un jour où l’on répétait dans le salon, un canari s’est mis à siffler dans la même tonalité. On l’a enregistré tel quel.”
Le disque s’appelle donc Chão, en portugais “le sol” et par extension tout ce qui nous soutient : le travail, l’espérance, l’amour, la famille… La pochette donne dans le symbolisme le plus lisible : Lenine allongé dans la pénombre, son petit-fils couché sur son ventre. “C’est mon disque le plus intime”, reconnaît l’heureux papy rock’n’roll dont les trois fils sont musiciens, João, membre du groupe de samba moderniste Casuarina, Bernardo, rappeur, et Bruno, fan de Radiohead, désormais à ses côtés. “Il jouait avec moi sur scène mais c’est la première fois que nous enregistrons ensemble.”
Si Lenine évoque de tumultueuses réunions familiales où chacun entend faire valoir ses goûts, il insiste sur le rôle essentiel que joue Anna Barroso, son épouse depuis trente-deux ans, celle dont il dit joliment qu’à l’instar de la lune “elle négocie le mouvement des marées”. Dans ce monde indigne de confiance, où la condition de l’homme moderne est la dissonance – dans Seres estranhos, c’est une rafale de portraits antagonistes –, l’amour fidèle revêt une importance particulière, comme un rempart contre la dissolution.
Dans les disques de Lenine, il y a toujours la femme lune et l’amour soleil. Il y a des chansons qui ondulent, d’autres qui percutent ; certaines ont le goût du miel, d’autres de la ciguë. Il y a surtout une forme d’optimisme dont on ne peut plus dire qu’il soit une fausse espérance : “Si le Brésil a souvent été présenté comme le pays du futur, il est désormais celui du présent. Nous n’avons jamais connu une telle situation de stabilité et de progrès social.” Pour sa tournée en France, Lenine viendra sans la machine à laver et sans le canari qui, d’après lui, “demande trop cher”.
Concerts : le 14 juin à Toulouse (festival ¡Río loco!), le 15 à Paris (Cigale), le 24 à Vienne (festival Fiesta Latina)
{"type":"Banniere-Basse"}