La scène garage rock australienne ne semble jamais s’être aussi bien portée qu’aujourd’hui. A l’occasion de la sortie du livre « Noise In My Head: Voices from the Ugly Australian Underground », passage en revue de certains groupes ou labels caractéristiques de cette nouvelle donne.
Depuis quelques années, la scène rock et garage australienne semble produire de la bonne musique au kilomètre. Malheureusement, les artistes en question ne dépassent que très rarement les frontières de leur propre pays (si ce n’est de leur propre scène locale). Pourtant, certains groupes ou labels reviennent aux fondamentaux et au DIY qui a tant fait défaut à une grande partie du rock australien pendant des années. Aujourd’hui, la scène garage et rock australienne témoigne d’une vitalité resplendissante, et ce malgré sa très forte précarité et une absence criante de moyens financiers. Pour contribuer à réparer cette injustice, passage en revue de certains des artistes et labels incontournables de cette nouvelle scène.
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La matrice Eddy Current Suppression Ring
Si l’on devait dater (exercice périlleux s’il en est) ce renouveau de la scène rock australienne d’aujourd’hui, il serait assez judicieux de remonter jusqu’à Eddy Current Suppression Ring. Le groupe, formé à l’improviste en 2003 lors d’une fête de fin d’année de l’usine de trois de ses membres (ça ne s’invente pas), a rapidement signé sur le label Goner et a enregistré trois albums parfaitement recommandables de rock nerveux pendant sa courte existence : Eddy Current Suppression Ring (2006), Primary Colours (2008), puis Rush To Relax (2010). Aujourd’hui, le groupe est considéré comme une influence majeure, et fait figure de véritable catalyseur auprès de la jeune garde australienne, qui se réclame pour beaucoup de son héritage. Il y a plusieurs raisons à cela.
D’une part, c’est peut-être l’un des rares groupes garage australiens de mémoire récente à avoir véritablement percé internationalement, et chacun de leurs albums a été particulièrement plébiscité par la critique. Aujourd’hui, Rush to Relax figure dans le top 50 des plus grands albums australiens, dans le bien-nommé The 100 Best Australian Albums. Néanmoins, la validité de ce classement peut être discutée quand on voit que le premier est un album de Midnight Oil et que Nick Cave & The Bad Seeds ne compte qu’un seul album au classement (bon, il y a un aussi Junkyard de Birthday Party, mais quand même).
D’autre part, à l’arrêt de Eddy Current Suppression Ring, le guitariste Mikey Young a formé le « supergroupe » Total Control, avec Dan Stewart de The UV Race, autre éminent représentant de la scène garage australienne d’aujourd’hui (on y revient). En 2011, Total Control sortait l’excellent Henge Beat, disque aux influences post-punk qui témoignait de l’ouverture d’esprit musicale de ses auteurs. Il faut aussi signaler que depuis 2010, Mikey Young produit la crème de la scène locale. De The Ooga Boogas à UV Race en passant par The Frowning Clouds, le type semble avoir la main sur tout ce qui se fait de mieux en matière de rock’n’roll fiévreux dans la région de Melbourne.
Raideur et ouverture d’esprit musicales
Faisant suite à l’implosion de Eddy Current Suppression Ring, de nombreux groupes et labels ont commencé à pulluler, partageant l’esthétique et l’état d’esprit général du groupe de Mikey Young. Mais cette impulsion s’avéra hautement symbolique, l’Australie ayant toujours versé dans le DIY et dans l’émergence et le support de scènes locales. Seulement, le succès de Eddy Current Suppression Ring leur a peut-être apporté à ce moment-là un regain de visibilité. The UV Race existait déjà à la séparation du groupe de Mikey Young, par exemple, et naviguait plus ou moins dans les mêmes cercles. Les deux groupes ont d’ailleurs partagé un split-album, intitulé Live At Missing Link, enregistré en 2008 et publié en 2012.
Il faut dire un mot sur The UV Race. Depuis ses premières publications en 2009, le groupe s’est appliqué à livrer à un rythme régulier des disques de rock nerveux, tendu et fiévreux. Lorsque qu’on écoute ses compositions, on est frappé par leur sens de la raideur et de la rugosité, même sur les chansons les plus pop et mélodiques.
Ces caractéristiques semblent se retrouver dans une majeure partie de la scène australienne actuelle, y compris dans ses diverses formes musicales. On l’a dit, Mikey Young a produit une bonne dizaine de groupes locaux (au bas mot), et lorsqu’on écoute ses productions, on se rend compte que le spectre musical, tout en restant fermement ancré garage et lo-fi, est tout de même assez large. De la soul-pop de Royal Headache aux déflagrations hardcore de Useless Children en passant par le garage-rock 60’s revivaliste à tendance Nuggets de The Frowning Clouds, on ne peut pas dire que ces groupes s’enferment dans une sorte de purisme asphyxiant et contre-productif.
The Ooga Boogas est en cela particulièrement parlant. Auteur de deux albums jusqu’ici, Romance and Adventure (2009) et Ooga Boogas (2012), il est difficile de résumer leur son en une formule, tant le groupe s’amuse à jouer avec les genres et les registres. Il n’y a qu’à écouter Booga Box, paru l’année dernière et rassemblant la plupart de leurs enregistrements, pour s’en convaincre : tour à tour rock’n’roll, garage, punk, boogie sous acide ou pop 60’s hybride (la formidable FIY), le groupe semble mettre un point d’honneur à ne pas rester en place.
Et pour ce qui est de Total Control, leur prochain album Typical System, à paraître le 24 juin, n’a quasiment plus rien à voir avec du garage, et n’hésite pas à fouler les terres de la synthpop et de Human League (et bizarrement, ça passe).
Sens du fait-main et éthique DIY
Pourtant, si diverse et variée que soit cette scène et la palette sonore qu’elle peut offrir, certains traits distinctifs communs sont à prendre en compte. Au-delà de l’aspect décharné, lo-fi et DIY de ces groupes, c’est bien un sens aigu de l’urgence, de la rudesse et de l’âpreté qui prévaut, et qui semble encore plus prégnant sur ce continent qu’ailleurs. Produit d’une projection ou non (on peut penser que les groupes sont partout pareils, peu importe leur géolocalisation – de l’autre côté, le fait qu’une scène se trouve si loin de nous induit un certain exotisme, et nourrit donc des fantasmes un peu ridicules), ce prétendu « son » si caractéristique de l’Australie ne serait pas forcément anodin. Dans une interview pour le site Terminal Boredom, Owen Penglis, des excellents Straight Arrows (qui sortiront leur nouvel album Rising en juin), tente une explication :
« Cela a beaucoup à voir avec des stéréotypes culturels, j’imagine, mais je reconnais que la culture australienne a une faible tendance au « bullshit », et cela se traduit dans la musique. Ici, il n’y a pas vraiment de gens qui vont venir flatter ton égo comme ça peut être le cas ailleurs, tout du moins pas avec le type de musique que l’on joue. Personne ne vient te dire ‘ça y est, vous allez réussir’, ou ce type de conneries. Il n’y a qu’une radio qui joue du rock’n’roll, et elle passe vraiment des trucs de merde. Je pense que l’isolement joue un grand rôle là-dedans aussi, et que le fait de tourner soit très difficile – ça prend au moins dix heures pour rejoindre une grande ville. Si tu joues dans un groupe, il faut te préparer à ça et à être parfaitement ignoré par une grande partie du public, donc j’imagine que ces caractéristiques font partie de ‘l’éducation’ des groupes australiens. »
Peau dure et besoin viscéral
Ce sens du fait-main et de la peau dure est donc présent chez la majorité des groupes estampillés garage aujourd’hui. Finies les grandes heures où certaines formations qui grattaient trois accords pouvaient se retrouver signées sur des majors (et heureusement d’ailleurs, on n’a pas envie de revivre des horreurs du type The Vines ou Jet). Aujourd’hui, le maître-mot semble être l’auto-gérance, et ces dernières années ont vu de nombreux groupes ou labels se prendre en main eux-mêmes. Aaarght Records, Anti-Fade, Rice is Nice, Chapter Music : autant de noms qui témoignent d’un sens de la spontanéité et du fun revendiqué.
Lorsqu’on essaie de contacter Billy Gardner, membre de Ausmuteants et qui a fondé Anti-Fade Records fin 2011 (et dont les compilations New Centre of the Universe sont à tomber par terre), le garçon n’est pas des plus expansifs. Lorsqu’on l’interroge sur ce qui l’a poussé à fonder son propre label, voici ce qu’il nous dit : « C’était juste une manière de sortir ma musique et celle de mes potes ». Simple comme bonjour. Mais quand on lui demande quelle serait sa politique artistique, sa réponse se fait encore plus laconique : « Pas de 10’’ ». On se demande si le type ne se fout pas tout simplement de nous, mais qu’importe : son label est un des nombreux exemples qui montre que cette scène ne s’embarrasse de fioritures et ne souhaite au fond que prendre du plaisir et s’éclater en faisant de la musique.
Mais sous son apparente jovialité, le tableau n’est pas des plus idylliques. Dans son livre Noise In My Head: Voices from the Ugly Australian Underground qui vient de paraître, Jimi Kritzler, journaliste et lui-même membre du groupe White Hex, a recueilli des témoignages d’une cinquantaine de groupes issus de la scène rock underground australienne de ces quatre dernières années, de HTRK à Garbage & The Flowers en passant par les inévitables UV Race.
http://youtu.be/RlRZBvTU1OM
Et le constat est loin d’être joyeux. Entre séjours en hôpitaux psychiatriques, overdoses en tous genres ou même suicides, les groupes sont loin de mener la belle vie, et leur extrême précarité financière n’a rien de l’idée que certains se font du romantisme bohême. Dans une interview pour le site Mess & Noise, Jimi Kritzler s’exprime ainsi :
« Le ‘ugly’ du titre ne fait pas référence à la musique ou au son mais plus aux personnes impliquées. Je veux dire, certains sont esthétiquement super à regarder, mais les histoires qu’ils racontent et qu’ils trimballent sont pour la plupart très moches »
Ce livre, très dur par endroits (on pense notamment à l’entretien avec Bobby Bot de The Wonderfuls), n’en représente pas moins un témoignage édifiant et frappant d’honnêteté. La plupart des groupes mentionnés ne semblent avoir rien d’autre que la musique dans leur vie. Jimi Kritzler : « Les témoignages vont de ‘C’est tout ce que j’ai’ à ‘Je serais mort si je n’avais pas mon groupe’ « . Viscérale, spontanée, rugueuse, hérissée et parfois même désespérée : la scène australienne actuelle est tout cela à la fois. Et malgré ou grâce à cela, elle témoigne d’une vigueur et d’une énergie exceptionnelles.
Livre Noise In My Head: Voices from the Ugly Australian Underground, par Jimi Gritzler (Melbourne Books), publié le 1er mai
Album Ausmuteants Amusements (Goner Records), sortie le 1er avril
Album Total Control Typical System (Iron Lung), sortie le 24 juin
Album Straight Arrows Rising (Rice is Nice), sortie le 24 juin
EP The UV Race Queens Of Punk (XVIII Records), sortie le 1er juin
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