En s’inspirant de la migration de ses grands-parents, l’Anglais oublie la house de ses débuts pour bâtir une suite ultra ambitieuse.
Dans le parcours sinueux d’un artiste peut arriver le moment – s’il est touché par la grâce ou la chance – où sa musique acquiert une nouvelle dimension, presque mystique, en tout cas mémorable. Pour représenter ce passage à un niveau supérieur, le folklore blues a imaginé un pacte avec le diable. On n’inventera aucune histoire à dormir debout au sujet du producteur electro Leon Vynehall. S’il franchit un cap avec Nothing Is Still, il le doit à son regard, sa sensibilité et sa vision.
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Avec Music for the Uninvited, il y a quatre ans, l’Anglais avait rappelé combien la house était une musique spirituelle. Inspirée par ses souvenirs d’enfant, le jeu Zelda et les cassettes de soul ou de hip-hop que sa mère lui faisait écouter en l’amenant à l’école, ce bouquet de morceaux extatiques possédait un supplément d’âme qui le distinguait des autres machines à groover. En 2016, avec ses samples de passereaux, Rojus scellait un mariage inattendu entre ornithologie et clubbing. Manipulant avec finesse ses machines, Vynehall avançait l’idée que son horizon ne se limitait pas au dance-floor. Nothing Is Still le confirme sur la longueur, échangeant même la house des débuts pour une hybridation qui tient davantage de Philip Glass ou de Cinematic Orchestra. Sans doute parce qu’il a donné à cet album (le premier pour l’historique maison Ninja Tune) une forme narrative.
Si elles n’occupent pas le premier plan et sont à découvrir au fil de l’immersion, l’Anglais a en effet un besoin viscéral d’histoires, voire de concepts à explorer. Ici, il retranscrit en dix morceaux le voyage de ses grands-parents, partis en bateau d’Angleterre dans les années 1960 pour gagner New York et vivre le rêve américain. D’où, sur la pochette, cette image du pont George-Washington littéralement décalée signé du peintre abstrait belge Pol Bury (1922-2005).
Malgré un séquençage littéraire, cette suite en dix chapitres et quelques notes de pages se passe de mots (un roman sort en parallèle) et quasiment de voix, préférant l’évocation à des compositions simplement documentaires. Ce voyage sonore où s’entremêlent nappes synthétiques, cordes, saxophone ou contrebasse n’a rien d’une BO orpheline de son support. Autosuffisant, Nothing Is Still s’épanouit dans des atmosphères subtiles, tissant ses motifs entre electro-jazz et musique répétitive. Mais il prend parfois par surprise en durcissant le ton. L’irruption d’infrabasses dans Trouble ou la métamorphose inattendue d’English Oak en house luxuriante montre que Vynehall suit sa trame. Son entreprise ambitieuse et hypnotique, il la mène jusqu’au bout avec éclat au point qu’appuyer sur repeat est notre désir le plus cher.
Nothing Is Still (Ninja Tune)
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