The Letting Go, le nouvel album de Will Oldham sous le pseudo de Bonnie « Prince » Billy, est une lettre d’Islande, de vieux prêcheur folk, un invitation au lâcher prise. Découvrez ses nouvelles aventures avec le clip Cursed Sleep.
Will Oldham a une tête de bernard-l’ermite qui ne serait pas sorti de sa maison depuis trop longtemps. A chaque fois qu’il balance un album sur le marché, c’est un peu comme si Robinson Crusoé avait trouvé un moyen de communiquer avec le monde extérieur. La réputation farouche et apathique qu’on entretient sur lui est surtout provoquée par une moue chagrine d’enfant privé de sieste. Sur The Letting Go, on a pourtant l’impression que Will Oldham s’est laissé aller, mais pas au fond d’un rocking chair. A des années lumières d’une indolente mollesse qui passerait pour de l’auto-satisfaction, Oldham s’autorise dans ses nouvelles chansons une luxuriance inédite (absente du magnifique Master & Everyone sorti en 2003, sous influence lourde de Cohen) dans les arrangements de cordes, les percussions élégantes et même parfois appuyées, les voix, et une quiétude de surface qui rend l’âme plus libre de se laisser emporter par tous les vents.
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Il y a en Islande un arrangeur répondant au nom de Valgeir Sigurðsson, qui est probablement le second sur la liste des producteurs les plus chers du milieu, juste après Nigel Godrich, et qui a sûrement fait du bien aux compositions de Will Oldham, qui étaient jusque là ? aussi magnifiques soient-elles ? comme des plantes déshydratées. Sigurðsson (fils de la victoire en islandais) collabore aux disques de voisins dont le studio est un refuge – comme Björk depuis 1998 ou plus récemment Mứm et Slowblow – mais aussi aux disques de gens plus insaisissables et moins pointilleux comme Coco Rosie. Il devait aussi mixer Monsters in Love de Dionysos à la place de John Parish. Il y a aussi en Islande des paysages nus et accidentés mais accueillants, des couleurs de pierres précieuses et des manières nordiques qui donnent envie de s’éterniser. Quoi de mieux que la pensée d’une telle île, à la fois bouillonnante et quasi déserte pour renforcer son écriture, lui redonner du relief et en préciser les contours ?
Sur The Letting Go, Oldham l’Américain (du Kentucky) a même trouvé une robinsonne, compagnon de route (ou de déroute) qui double son chant, comme l’écho d’une muse bienveillante ou d’une âme s’ur. Il s’agit de la chanteurse Dawn MacCarthy du groupe Faun Fables. Bonnie affectionne toujours autant les guitares accordées trop bas et les voix consanguines entrelacées. Un peu comme quand Rufus et Martha Wainwright font des concerts ensemble. Les prises de voix de Will Oldham sont aussi fragiles mais denses que celles de Chan Marshall (jeune femme ayant elle aussi choisi il y a longtemps de se doter d’un pseudo clinquant). Même s’ils ont du mal à l’admettre, Chan Marshall et Will Oldham se sont, avec leurs deux derniers albums respectifs, autorisés à rayonner en se donnant les moyens de bien faire, de faire les choses simplement, dans le cadre idéal. L’une à Memphis, l’autre en Islande. Passionnée par la voix de country ? le côté nasillard en moins ? de Will Oldham, Björk lui a même fait chanter Gratitude, le premier titre de son dernier album Drawing Restraint 9, où Oldham chante Björk mieux que Björk. De la même manière, ce sont les pionniers du post rock Tortoise, en manque de renouveau et de cross-over qui ont demandé à Will d’user de sa voix pour mieux hybrider les chansons du disque de reprises mutantes The Brave & The Bold sorti en début d’année.
Au début des années 90, Oldham a tué l’acteur, après quelques rôles pour le cinéma, et a joué sous une myriade de noms farfelus de Box of Chocolate, Sundowers, Rising Shotgun, Palace Brothers, Palace Music ou Palace tout court, à Will Oldham ou Bonnie ? Prince ? Billy depuis le ténébreux I See a Darkness (1999). Changer de nom, c’était un prétexte systématique pour commettre un meurtre sur un pseudonyme anonyme. C’était une manière, plus symbolique qu’esthétique, de faire peau neuve. Beck ou Tim Buckley, par exemple, ont toujours sautillé d’un genre à l’autre, par peur de tourner en rond, et par pure curiosité. Mais chez Oldham on diagnostique une nécessité identitaire qui tient à la distanciation obsessionnelle et à l’auto-dénigrement. Ce symptôme change néanmoins à partir de I See a Darkness où Bonnie « Prince » Billy prend de plus en plus la place de Will Oldham dans une schizophrénie toute symbolique et provoquée, comme une mise en situation. Oldham, repris par Johnny Cash trois ans avant sa mort, entrevoit la cohérence de son écriture, et use alors avec abnégation du pseudo de Bonnie d’album en album.
Avec l’aimable autorisation de PIAS
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