Depuis presque dix ans, Diplo rythme les clubs du monde entier. A l’occasion de la sortie du second album de son projet Major Lazer, rencontre avec cet aventurier du son à la curiosité maladive.
La scène se passe dans une salle moite à une heure avancée de la nuit. Alors que les dix premiers rangs ont déjà fait voltiger leurs T-shirts et dansent à moitié nus, des filles très court vêtues se ruent sur scène pour s’approcher au plus près du DJ blondinet. Dans une chaleur électrique, elles jouent des coudes pour s’appuyer sur les platines et entamer ensemble un bubble butt, danse consistant à remuer ses fesses, jambes en l’air, tête à l’envers et mains au sol. Bande-annonce de Spring Breakers ? Non, show on ne peut plus classique de Major Lazer, trio formé des DJ et producteurs Jillionaire, Walshy Fire et Diplo, tête pensante du projet et tombeur de ces dames dont la réputation de charmeur n’est plus à faire – pas un article sur le garçon ne commence sans quelques lignes sur son sex-appeal et on ne dérogera pas à la règle.
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Diplo – Thomas Wesley Pentz pour l’état civil – sort donc d’une nuit plutôt agitée lorsqu’on le rencontre un lendemain de concert à Paris. En plus de Major Lazer, l’Américain a enchaîné sa soirée avec un DJ set solo et un after qui s’est terminé tôt ce matin. Affublé d’un sweat rouge informe et de lunettes de soleil vissées sur des yeux qu’on soupçonne cernés, accent du sud des Etats-Unis, franc-parler et sourire de gamin qui prépare un mauvais coup, le producteur ressemble plus à un Black Lips post-cuite qu’à l’image lisse et bling-bling qu’on avait eu de lui dans la campagne de pub Blackberry qu’il incarnait il y a quelques années.
Comme ses compatriotes et potes, il pourrait pourtant facilement illustrer la rubrique “workaholic” de n’importe quel dictionnaire franco-anglais. En tournée 300 jours par an, le trentenaire enchaîne les productions, les remixes, les ep et les albums, gère son label Mad Decent, et passe le plus clair de son temps en studio et sur les routes pour enflammer les clubs du monde entier. On ne s’étonnera donc pas qu’il reste perplexe quand on ose lui parler de repos, chose qu’il semble, par habitude sûrement, confondre avec quelques heures de sommeil entre deux avions et un day off entre deux tournées.
Diplo, machine de guerre ? On parlera plutôt de machine à sons et à succès. Paper Planes de M.I.A., c’est lui. Climax de Usher, Look at Me Now de Chris Brown, Unstoppable de Drake, lui encore. Run the World (Girls) de Beyoncé ? Un sample du titre Pon de Floor de Major Lazer. Harlem Shake, qui a donné son nom au phénomène internet et provoqué la vague de vidéos loufoques qu’on connaît ? Un titre de l’un de ses protégés, Baauer, sorti via Mad Decent. On pourrait donc d’office ranger Diplo dans la catégorie pierre philosophale de l’industrie de la musique. Mais celui qui dit avoir rêvé depuis tout petit de devenir “un Indiana Jones de la culture actuelle” en a voulu autrement, la faute à une curiosité maladive née très tôt. “Ado, je passais mon temps à explorer les moindres recoins de ma petite ville. Mes parents n’avaient pas de voiture, alors je prenais le bus avec mon surf sous le bras et j’allais me promener, découvrir tout ce que je pouvais. Je voulais tout connaître”, explique-t-il.
La ville en question, c’est Fort Lauderdale, en Floride, où il a déménagé après sa naissance dans le Mississippi et plusieurs années passées à Daytona Beach, haut lieu du spring break américain justement. “Fort Lauderdale est une des villes les plus incroyables que j’aie vue de ma vie, maintenant que j’y repense. C’est un tel mélange de gamins white trash, de fans de heavy metal, d’émigrés cubains, d’Asiatiques, de gosses des Caraïbes, de Juifs… Tout le monde vit dans le même quartier, et je ne crois pas avoir revu ça en grandissant ensuite. Je suis allé à tellement de Bar Mitzvah, ado, tellement de fêtes asiatiques ou dance hall…”
Naît alors dans le cerveau bouillonnant de l’Américain une obsession des sons d’ailleurs, un besoin de s’échapper, dont l’épiphanie sera un voyage au Brésil. Il en revient avec le baile funk, musique des favelas de Rio qu’il contribue à populariser et auquel il consacre même un documentaire en 2008, Favela on Blast. Plus tard, il fera de même avec le moombahton, fusion de house music et de reggaeton, et avec des musiques venues des Caraïbes, de Jamaïque notamment, qu’il fait découvrir au grand public.
Naît aussi chez Diplo un refus du respect des règles, ou plutôt un déni de leur existence, qui le suivra tout au long de sa carrière. Si, ado, Pentz passe par la case maison de redressement, adulte, il joue aux apprentis sorciers avec des substances pas franchement légales et, surtout, avec les sons qu’il découvre un peu partout dans le monde grâce à son dieu absolu : internet. La véritable naissance de Diplo (en hommage à son amour, enfant, des dinosaures) se fait grâce à la chanteuse londonienne d’origine sri lankaise M.I.A. avec laquelle il partage un goût démesuré des associations improbables et qui devient, à leur rencontre, à la fois sa muse et sa petite amie. “M.I.A. a été la première personne à me payer pour faire de la musique. A l’époque, je ne savais même pas que les labels donnaient de l’argent à des gens pour produire la musique des autres ! Elle a ouvert une brèche, surtout en Angleterre. Elle savait ce qui était populaire et elle voyait une autre voie, un chemin que personne n’avait encore pris. C’était renversant. Ma façon de faire de la musique aujourd’hui vient directement d’elle, de ce qu’elle m’a apporté et montré”, explique-t-il, malgré leur relation maintenant houleuse.
Ensemble, ils feront un bout de chemin, et surtout Arular, premier album de la Londonienne, et son successeur, Kala dont Paper Planes est extrait. Curieux mélange de rap, de folk, de world-music et de dance construit sur un sample de Straight to Hell de Clash, le single se vend à plus de trois millions d’exemplaires et lance Diplo dans la cour des grands. Par volonté de ne pas se conformer au diktat qui veut qu’entre mainstream et underground, on doit choisir son camp, cet enfant du sample ne se refuse alors aucune association.
On le croise chez Die Antwoord comme chez Beyoncé, chez Santigold, Amanda Blank et Das Racist comme chez Azealia Banks, Lil Wayne et No Doubt dont il a produit le dernier album. L’Américain va même jusqu’à traîner ses baskets chez Justin Bieber et PSY, dont il remixe le Gangnam Style sans états d’âme. “Je déteste la règle absurde qui veut que l’on soit mainstream ou underground, pas les deux. Ceux qui ont le plus cassé cette barrière, ce sont les Neptunes et Timbaland. En tant que fan de hip-hop, ce que j’aimais le plus avant, c’était le hip-hop underground. Quand j’ai découvert leur musique, j’ai oublié cette obsession, parce que leurs productions étaient tout simplement les meilleurs titres que j’avais entendus de toute ma vie, même s’ils étaient jugés plus commerciaux. C’est à ce moment-là que j’ai abandonné l’idée que la musique doit représenter quelque chose, avoir une appartenance.”
En découle un mantra primordial : le monde de la musique est un gigantesque parc d’attraction mondialisé que Diplo et son crew de Mad Decent comptent bien mettre sens dessus dessous. Pour l’Américain, rien n’est impossible : ni de convier un sample de Nantes de Beirut sur le titre No Guns Allowed qu’il a récemment produit pour Snoop Lion, ni de faire chanter du reggae à Ezra Koenig de Vampire Weekend sur un des morceaux du dernier Major Lazer.
Mieux : les fans le suivent, peu importe la direction qu’il prend. Diplo est une marque en laquelle ils ont confiance et qui lance, presque par accident, des phénomènes qui le dépassent, comme en témoignent Express Yourself, nom de son dernier ep et hashtag devenu viral sur Twitter, ou Harlem Shake, dont tous les gains ont été réinjectés dans son label. Un joli pied de nez de ce punk des platines aux plans marketing bien huilés des majors qu’il hait, notamment depuis qu’Interscope a laissé tomber Major Lazer au moment de la sortie de leur premier album. “Quand Harlem Shake s’est mis à cartonner, j’ai reçu un coup de fil du magazine Billboard, qui voulait savoir comment on avait planifié le succès de ce titre. La vérité, c’est qu’on n’avait pas l’once d’un plan !”, rigole-t-il entre deux insultes dirigées contre le boss de la filiale d’Universal.
La quête du neuf et du succès serait-elle alors moins importante pour le DJ que celle de l’amusement ? Diplo répond par l’affirmative. Car si Free the Universe pêche parfois par sa production-rouleau compresseur un peu datée, ses infrabasses lourdingues et quelques featurings ringards (Shaggy et surtout Wyclef Jean qui signe le pire morceau de l’album), on comprend vite que le but ici est avant tout de provoquer une vague générale de déboitement de menisques portée par une envie tenace de populariser l’inconnu.
Et Diplo de conclure : “Je ne crois pas être obsessionnel du nouveau, ni du défrichage. Je suis simplement fasciné par la façon dont la musique évolue, c’est là qu’est ma curiosité. J’adore aller en Colombie et rencontrer des mecs qui font de la cumbia sur des jouets. Voir comment ils détournent la technologie pour créer quelque chose de nouveau. C’est pour ça que le funk brésilien a été aussi important. Pas parce que c’était super brésilien mais parce que c’était le futur pour moi. Aujourd’hui, la musique change très vite, la technologie et les idées des gamins aussi, et leur accès à la technologie évolue tous les jours. Les trois prochaines années vont être dingues, je le sens. On va vivre en dehors des labels, en dehors des modes. Ça va être un retour violent à la créativité. Je crois que le monde qui m’a toujours excité est en train de se mettre en place, c’est génial.”
Album : Free the Universe de Major Lazer (Mad Decent/Because)
Concerts : le 4 juillet à Belfort (Eurockéennes), le 22 août à Charleville-Mézières (Cabaret Vert), le 25 août à Saint-Cloud (Rock en Seine)
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