Les bijoux libanais de Yasmine Hamdan, Nairobi en capitale du funk et Brassens chanté en mongol, c’est le tour du monde musical proposé par Louis-Julien Nicolaou
Le calypso des rues de Kobo Town
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Kobo Town est le nom d’un quartier de Port-d’Espagne, la capitale de Tinidad. C’est là qu’est né le calypso, mélange d’influences africaines et européenne dont le rythme syncopé est proche du mento jamaïquain (matrice du ska et du reggae). S’il accompagne la danse, en particulier lors du fameux carnaval de l’île, le calypso occupe également une fonction sociale importante en se faisant le résonateur de tous les petits et grands maux du peuple trinidadien. Mais Kobo Town est aussi le nom d’un groupe mené par Drew Gonsalves, un natif de Trinidad parti pour le Canada à l’âge de 13 ans, qui réanime aujourd’hui ce genre festif, grand colporteur de ragots, à la fois lucide et moqueur. Pour Jumbie In The Jukebox, Drew a dégainé trompette, trombone et percussions et mis en avant l’accent antillais qu’il mâchouille à la perfection afin de débarrasser le calypso de ses plumes et paillettes et de le ramener au quartier, au pavé même qui l’ont vu naître. Un disque à écouter les fenêtres grandes ouvertes : le plus grincheux des voisinages ne saurait résister à tant de bonnes vibes.
Temenik Electric, la rage et l’Algérie
Ouesh Hada ? (« Qu’est-ce que c’est ? »), tel est le titre du premier album chaud bouillant de cinq Marseillais revenus tout chamboulés de leur voyage en Algérie en 2010, et qui pimentent désormais de harissa destructrice leur rock mâtiné d’électro. Elaborée au Nomad’ Café, lieu-clé de la vie musicale à Marseille, la musique abrasive de Temenik Electric n’a pourtant rien d’exotique : « arabian rock » d’accord, mais direct, immédiat, évident même pour les non arabophones. On se gardera donc d’apporter une réponse au titre de l’album puisque la question se suffit à elle-même : si elle sous-entend un certain nombre de constats peu réjouissants, elle prend aussi acte d’un multiculturalisme bien incarné, bien ancré, soit la mise à mort définitive de toutes les stupides « identités nationales ».
Brassens pour tous
Brassens sans le « pom popom » de la guitare, les « r » roulés sous la moustache et le français poético-libertaire ? C’était le pari tenu il y a deux ans par Brassens, échos du monde. Pour bien prouver l’universalité du Sétois le label Fanon récidive, cette fois avec Brassens, échos d’aujourd’hui. Seize artistes du monde entier reprennent Brassens, ici en hébreu (Yael Naïm), là en portugais (Rodrigo Amarante), ailleurs en espagnol (Grupo Canalon de Timbiqui) ou en mongol (Enkhjargal), quand ils ne se contentent pas d’un instrumental, histoire d’honorer une finesse musicale trop souvent négligée. En mode jazz, dub ou samba, tonton Georges, transfiguré mais jamais trahi, apparaît ainsi sous un jour neuf : ses inconditionnels ne pourront qu’être séduits ; ceux qu’il a toujours rasés risquent bien, cette fois, de capituler.
Le coffret à bijoux de Yasmine Hamdan
Sans vous être jamais intéressé de près à la musique libanaise, il se pourrait que la voix de Yasmine Hamdan vous soit familière. C’est elle qu’on entend sur Aräbology, fruit d’une collaboration avec Mirwais, qui a notamment fourni une chanson pour le générique du Grand Journal de Canal +. Pionnière de l’électro moyen-orientale, Yasmine s’appelait alors Y.A.S, un pseudonyme abandonné pour son premier disque solo, qui ressort aujourd’hui, remanié, sous le titre Ya Nass. Pop psychédélique, électro loukoum, folk gracile ou chanson populaire arabe, la belle joue avec élégance et malice de tous les styles et idiomes, gardant pour seul fil conducteur son inépuisable intelligence musicale. D’un coffret à bijoux comme celui-là, on ne fait pas le tour en une fois : mille et une écoutes sont à prévoir.
Dirtmusic, le temps des troubles
Dirtmusic est l’association de Chris Eckman (TheWalkabouts) et du chanteur, producteur et multi-instrumentiste australien Hugo Race. Quand les deux hommes débarquent à Bamako en septembre dernier, c’est d’abord pour capter une ambiance, laisser filtrer quelque chose de l’esprit de cette ville dans leurs ébauches de chansons. Mais ils découvrent vite que l’air y est lourd, et que chacun se prépare à vivre des temps difficiles. D’où le titre (Troubles) de cet album plein de menaces et d’urgence, mais aussi d’espoirs et de serments de paix. Epaulé par des musiciens aussi nécessaires que Samba Touré ou Zoumana Téréta, le duo y fait battre ses beats avec la foi des ancêtres, s’obstinant à vouloir conjurer le mauvais sort par l’alchimie sonore.
Le fado bizarro de Cristina Branco
Du fado, on peut dire que Christina Branco a toujours eu une approche essentialiste. C’est pour elle plus qu’un genre musical, une sorte d’écrin naturel mettant parfaitement en valeur les incomparables douceurs chuintantes du portugais, cette langue si belle qu’elle semble n’avoir été conçue que pour être chantée. Peu importe donc que les treize chansons qui composent Alegria s’inscrivent pleinement ou non dans les règles strictes du fado. Qu’elle reprenne Chico Buarque, Joni Mitchell ou nous emmène dans un « fado bizarro », Cristina ne dévie jamais de ce qui n’appartient qu’à elle : le fado Branco.
Nairobi, capitale du funk africain
Les rééditions de Soundway Records sont toutes marquées par la même volonté d’impeccabilité. Une musique sélectionnée avec soin, magnifiquement restaurée, décrite dans un livret informatif et contenant de belles photos : la maison ne connaît que ce menu quatre étoiles. Autant dire qu’on est client. Avec ses trente-deux titres enregistrés au Kenya dans les années 70 et 80, la compilation Kenya Special s’inscrit dans la perfection habituelle et témoigne de l’incroyable richesse musicale de l’Afrique de l’Est durant les années 70 et 80, quand le funk américain, l’afrobeat nigérian, la rumba congolaise et les airs tanzaniens se mariaient au benga kenyan et que Nairobi voyait chaque jour fleurir de nouveaux groupes aux noms plus farfelus les uns que les autres (The Mombasa Vikings, The Eagles Lupopo, Orchestre Baba National, Orchestre Super Volcano…). En se focalisant sur des titres rares et insolites, cette compilation ne montre pourtant que le sommet de l’iceberg kenyan et inocule le désir de partir soi-même en quête de tous les disques enregistrés à cette époque à Nairobi. Il paraît qu’ils se comptent par milliers…
4 concerts et un festival
Parce qu’elles sont liées à des traditions mais aussi à des rencontres, des voyages et des partages, c’est en concert qu’il faut écouter les musiques du mondes. Les quinze prochains jours, les parisiens vont à cet égard être gâtés : le 18, Tomatito investit la Grande Halle de la Villette, le 24, Cristina Branco joue au Café de la Danse, le 25, Djeli Moussa Condé et Vincent Lassalle sont au Canal 93 de Bobigny et le 29, Oum se produit au Petit Bain. Autre concert à ne manquer sous aucun prétexte, celui de Bassekou Kouyaté & N’Goni Ba, qui se déroulera le 24 à la Bellevilloise. Enfin, réservez vos places pour le Festival La Voix est Libre qui se tient aux Bouffes du Nord du 28 au 30 mai. Ces trois jours dédiés à la création artistique et aux rencontres les plus inattendues verront notamment se produire le poète et musicien chinois Liao Yiwu, le chanteur turc Ulaş Özdemir et le prêtre vaudou Erol Josué.
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