L’afrobeat militant de Seun Kuti, le féminisme arabe de Sawtuha et les divines sambas de Riachão, c’est le tour du monde musical proposé par Louis-Julien Nicolaou.
Seun Kuti, guérillero de l’afrobeat
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Mèche courte ou mèche longue,Seun Kuti s’en fiche : avec lui la bombe explose dès la première seconde. A Long way to Beginning s’ouvre ainsi sur une violente décharge qui coupe le souffle et met les jambes en mouvement sans que le cerveau y puisse rien. Le titre s’appelle IMF (pour “International Mother Fucker”) et, quel que soit le bout par lequel on le prend, il est d’une radicalité sans faille, dénonciation du FMI et manifeste d’afrobeat ultra-funky et d’afro-power délivré dans un argot dévastateur. Toujours accompagné par l’orchestre de Fela, Egypt 80, soutenu à l’occasion par des activistes hip hop comme M-1 de Dead Prez ou le MC ghanéen Blitz the Ambassador, Seun entretient la rébellion pyromane des “real tough guys” dans un brasier permanent de cuivres, percussions et slogans incendiaires. Comme celui de son frère aîné Femi, sorti l’année dernière, cet album féroce aux allures de manuel de guérilla urbaine dresse un constat alarmant pour le Nigeria comme pour l’ensemble de l’Afrique, plus que jamais en proie aux guerres civiles, au chaos social et aux manipulations barbares de la néo-colonisation.
Sidi Bemol entre folk berbère et chant indien
Fondé à Paris il y a une vingtaine d’années, le groupe Cheikh Sidi Bemol est devenu une institution en Algérie grâce à ses textes mordants alliant humour et nostalgie et portés par un habile mélange de traditions maghrébines et de rock. Aujourd’hui, le chanteur Hocine Boukella revient sous le seul nom de Sidi Bemol avec Âfya, disque pour lequel il s’est entouré de musiciens français et de Dhoad, formation de Gitans du Rajasthan. Tel un barde un brin désabusé, un stoïcien amusé qui aurait enfin pu jeter à la mer ces cartes, fiches et tampons qui déterminent ici-bas la condition de l’exilé (“Etranger où que j’aille, / Mes drapeaux, mes médailles / Ne sont que des chansons / Juste un détail”, chante-t-il dans Apatride), Sidi Bemol y poursuit sa navigation entre folk berbère, chaâbi algérois et chant indien, s’offrant même une interprétation personnelle d’un titre du génie du qawwali Nusrat Fateh Ali Khan pour délivrer son ultime sagesse : “L’amour est mon juge / Quoi qu’il advienne”. Il se produira les 3 et 4 avril au Studio de l’Ermitage.
Riachão, une vie de sambas
A 92 ans, Riachão chante avec une vigueur inentamée ces sambas populaires dont il entonnait les premiers refrains il y a 80 ans, alors qu’il n’était qu’un petit artisan déambulant dans les rues de Salvador de Bahia. Auteur de plus de 500 chansons, selon lui reçues directement du Christ, Riachão est toujours resté proche du petit peuple, des enfants de la rue et des travailleurs des champs. Dans Moundão de Ouro, c’est avec sa simplicité et sa bonne humeur de toujours qu’il entonne dix chansons inédites et réinterprète deux de ses plus grands succès, Vá Morar Com o Diabo et Chô Chuá (Cada Macaco no seu Galho), autrefois reprise par Gilberto Gil et Caetano Veloso lors de leur retour d’exil politique. Vu son exceptionnelle vitalité, on imagine sans mal Jésus lui commander de nous enchanter encore longtemps de ses sambas merveilleusement mélancoliques et graciles.
http://vimeo.com/80814242
HK, plat pays et chaâbi
Durant l’enfance, Kaddour Haddadi (HK) a passé plus d’un dimanche à franchir la frontière pour arpenter le plat pays au son du chaâbi (musique populaire algérienne) que son père passait dans la voiture familiale. Naturellement, ce natif de Roubaix a ainsi fixé dans une même image-son ce lieu et cette musique pourtant si éloignés. Aujourd’hui, il la restitue dans un projet intitulé HK présente les Déserteurs. Evitant le piège de l’imitation pas à pas, modeste mais pas timide, HK y reprend avec une jolie sincérité Brel, Piaf, Brassens, Vian ou Nougaro accompagné des mandole, violon et derbouka composant un orchestre typique de chaâbi. Passé la surprise, on adhère aisément à cette relecture de standards quelque peu usés, tant est communicatif le bonheur de HK à célébrer une franco-algérianité sereine, en paix avec elle-même. A découvrir le 2 avril sur la scène du Cabaret Sauvage.
Afrosoul #2, nouvelle leçon de groove africain
Un an après la parution d’un premier opus de grande qualité, le label Buda Musique, toujours aux petits soins avec ses auditeurs, leur adresse une nouvelle injection d’Afrosoul pour assurer le caractère définitif de leur addiction au groove africain. Regroupant des titres inédits ou sortis entre 2012 et 2013, cette compilation met en avant des artistes soucieux de modernité, jeunes rénovant la tradition (Erik Aliana), tentés par le rap (Tchopdye) ou le dance hall (Tiwony), et forbans un peu plus âgés du rock (Rachid Taha) et de la soul (Cheick Tidiane Seck). Elle met également à l’honneur quelques-uns de ces projets transversaux qui se multiplient désormais, notamment grâce à la généralisation d’internet, et qui poussent de plus en plus de musiciens européens vers l’Afrique (les projets Midnight Ravers ou Cape Town Effects). Cette compilation habile démontre ainsi que l' »âme africaine » s’exprime aujourd’hui à travers un immense arc esthétique allant des traditions les plus immémoriales jusqu’aux jaillissements les plus futuristes.
Sawtuha, la révolution par les femmes
Le label allemand Jakarta Records vient d’éditer une précieuse compilation intitulée Sawtuha, terme qui, en arabe, signifie “sa voix”. Plusieurs chanteuses et musiciennes originaires de Tunisie, Egypte, Libye et Syrie y évoquent le courage et la détermination des femmes arabes au cours des récentes révolutions, pointant également tout ce qu’il leur reste à gagner dans des sociétés patriarcales en pleine ébullition. Ce propos militant, elles ont souhaité le porter à l’aide d’une musique actuelle arrangée notamment par le rappeur Oddisee et la moitié de The Knife, Olof Dreijer. Frondeuses (Maryam Saleh et la rappeuse Medusa), satiriques (Youssra El Hawary), contestataires (Badiâa Bouhrizi, reine de la scène alternative tunisienne qui fut censurée par le régime de Ben Ali), réconfortantes (la star syrienne Rasha Rizk), s’accaparant fièrement la tradition (Donia Massoud) ou témoignant de l’angoisse totalitaire (Nawel Ben Kraiem), toutes décrivent un Orient féminin insoumis, responsable et déterminé. Prêt pour la liberté.
Jacques Schwarz-Bart à la source du vaudou
Enfant des écrivains André et Simone Schwarz-Bart bercé aux sonorités de la musique haïtienne, très tôt initié aux rythmes du gwoka guadeloupéen, plus tard fervent lecteur de Carlos Castaneda, Jacques Schwarz-Bart ne pouvait pas ne pas relier sa quête musicale à son cheminement spirituel. Après deux albums consacrés à définir un gwoka-jazz, son saxophone au phrasé souvent coltranien entre en connexion, dans Jazz Racine Haïti, avec les forces à l’origine du vaudou afro-caribéen. A travers de beaux dialogues avec le chanteur et prêtre vaudou Erol Josué et les tambours racines de Jean-Baptiste Bonga, Schwarz-Bart explore les finesses d’une tradition haïtienne toute frémissante de la mystique naturelle qui lui est chère. A écouter sur la scène du New Morning le 7 mars.
La Bretagne orientale de Charkha
Formation récemment apparue en terre bretonne, Charkha a sorti à l’automne un premier album d’une grande intégrité musicale et poétique intitulé La Couleur de l’orage. Autour de poèmes chantés en breton par une Faustine Audebert à la voix limpide, les musiciens, pour la plupart membres du groupe Bayati, se livrent à une exploration vigoureuse des modes et combinaisons asymétriques orientaux sans se départir d’une manière d’improviser propre au jazz. Les sonorités mates du oud, du zarb et de la contrebasse se mêlent ainsi à la suavité du saxophone et de la flûte dans une suite de danses entêtantes, qui traquent la transe dans l’incessante répétition de motifs.mélodico-rythmiques. A condition d’en accepter les aridités passagères, l’expérience a du charme.
Juju, rock mandingue en fusion
Juju est né de la rencontre entre le guitariste anglais Justin Adams, compagnon de route de Robert Plant et par deux fois producteur de Tinariwen, et le griot guinéen Juldeh Camara. Sorti en 2011, leur troisième album, In Trance, avait séduit la critique par son mélange réussi de blues-rock et de tradition mandingue. Captation d’un concert donné lors du festival Les Escales de Saint-Nazaire, Live In Trance, le DVD qui paraîtra le 15 avril, témoigne de l’incroyable complicité qui unit les deux comparses. Aux riffs rugueux lancé par un Adams rayonnant, Camara répond par les ornementations qu’il chante ou tire de son riti (vièle à une corde) au fil d’improvisations tumultueuses et inspirées. Cette fusion impeccable enfante ainsi de beaux instants de magie parfaitement captés par le DVD.
L’agenda des concerts
A Châtenay-Malabry, les Concerts du Pédiluve se distinguent par leur belle programmation et leurs tarifs très abordables (10 euros la place et, pour les moins de 26 ans, le même prix pour deux places). Aucune raison donc de se priver des concerts du jeune soulman québecois Karim Ouellet (le 20 février), du pianiste martiniquais Grégory Privat (le 27), de la chanteuse de soul-jazz Laetitia Dana (le 6 mars), de la jeune songwriter australienne Emilie Gassin (le 20 mars) et de l’excellent trio mongol Altaï Khangaï (le 27 mars).
Parmi les autres concerts à retenir, on signalera ceux du chanteur capverdien Zé Luis au New Morning le 21 février, de Yom, qui jouera son spectacle Le Silence de l’Exode au Cercle Bernard Lazare de Paris les 24 et 25 février, d’Akale Wube, le 28 au Studio de l’Ermitage et de Seun Kuti, le 13 mars à l’Aéronef de Lille et le 15 à Aubervilliers. Enfin, pour écouter Ibrahim Maalouf, qui a reçu vendredi dernier une Victoire de la musique pour son très beau Illusions, il faudra patienter jusqu’au 28 mars et se rendre à Puteaux, car l’Olympia du 24 mars est déjà complet.
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