Après s’être revendiquée du féminisme de Chimamanda Ngozi Adichie, Beyoncé convoque les Black Panthers et Michael Jackson au Super Bowl, 24h après avoir lâché un clip sur l’afro-américanisme post-Katrina. Pure récupération ou véritable militantisme ?
On peut d’ores et déjà le certifier : la seule image que l’on retiendra de l’édition 2016 du Super Bowl sera celle de Beyoncé et de son armée de danseuses débarquant d’un pas martial sur la pelouse vert pétard du Levi’s Stadium de Santa Clara (Californie). La raison n’est pas tant à chercher du côté de leur chorégraphie, ni de leurs mini-shorts en cuir qui fileraient une crise cardiaque au plus serein des spectateurs/trices, mais dans ces bérets noirs délicatement posés sur leurs afros. Refusant de se fondre dans la masse de ses soldates, Beyoncé la Reine débarque en crinière blonde et perfecto semblable à celui qu’arborait Michael Jackson au SuperBowl de 1993. Un détail qui a, bien entendu, son importance. L’hommage est à la fois double et unique : en se référant aux Black Panthers et à Jackson, la chanteuse revendique un même afro-américanisme, d’une part militant, d’autre part triomphant.
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Mais pour comprendre ce que viennent faire les Black Panthers dans la grande foire patriotique qu’est le SuperBowl – la finale du championnat de foot américain –, il faut se pencher sur le single de Queen B. Balancé la veille du match sans crier gare (un effet de surprise dont elle a fait sa signature depuis son album éponyme lâché sur le Web sans prévenir personne en plein mois de décembre 2013), Formation est le premier morceau politique de la chanteuse, qui y revendique son afro-américanisme (« I like my negro nose with Jackson Five nostrils » ou encore « I just might be a black Bill Gates in the making »).
Réalisé par Melina Matsoukas (qui a déjà collaboré avec Beyoncé sur Pretty Hurts), le clip enchaîne les images fortes dans une Nouvelle-Orléans post-Katrina : Beyoncé sur le capot d’une voiture de police en train de sombrer, Beyoncé faisant des fuck à la caméra, un enfant dansant devant des flics non loin d’un tag « Stop shooting us », un culte célébré dans une église évangélique…
Alors que le mouvement Black Lives Matter, qui dénonce les violences policières à l’encontre des Noirs, secoue les Etats-Unis depuis 2013, Formation tombe à pic… Un peu trop ? Quel est le degré de sincérité d’une star de la stature de Beyoncé, qui ne donne plus aucune interview, semble parfois vivre dans un monde parallèle où les dollars pleuvent et le pouvoir suit, et accepte de secouer sa crinière – qu’elle a pour le coup pris soin de laisser au naturel – aux côtés des affreux Chris Martin et Bruno Mars ? Quelle est la part d’engagement et la part de récupération ?
Une icône du féminisme pop
Les mêmes questions se posaient il y a trois ans, lorsque la chanteuse se réinventait en chantre d’un « féminisme pop », sexy et guerrier, construit sur des images et peu de discours. Mais reprocher à Beyoncé de transformer des luttes politiques et sociétales en objets marketing serait oublier le fonctionnement vampirique de la pop, qui n’aime rien tant qu’absorber les marges pour les régurgiter un brin policées dans la sphère mainstream. Si la pop n’aime pas tellement les discours (qui pourrait ennuyer le public), elle raffole des images, de ces symboles gorgés d’émotions, faciles à décrypter et à reproduire.
Beyoncé produit des images mais peu de contenus, donne de l’argent à Black Lives Matter mais ne parle pas, revendique sa filiation avec les Black Panthers mais en plein SuperBowl… Et pourtant, peu importe. C’est le fait même de s’emparer de sujets abrasifs/underground pour les ramener dans le doux milieu de la pop qui relève ici de la plus haute importance. Car, au lieu de baver de bêtise devant Katy Perry et ses requins gonflables, le public international a cette fois-ci sous les yeux l’image d’une femme noire, puissante, talentueuse et indépendante. Imaginer que cette image n’ait aucune valeur du fait de sa production dans un contexte pop et mainstream serait oublier son potentiel de démultiplication : c’est au travers de la production de nouveaux référents et de nouveaux modèles que l’on fait évoluer une société.
Et l’image que produit ici Beyoncé est celle du féminisme noir, celui porté par la 3e voire la 4e vague féministe, celle qui prit conscience qu’il n’existait pas un féminisme mais des féminismes, comme il existe des femmes et non une Femme avec un F majuscule. Dans Formation, la chanteuse reprend des punchlines clichées du hip hop pour mieux inverser les rôles :
« When he fuck me good I take his ass to Red Lobster » (« Quand il me baise bien j’emmène son cul au Red Lobster »); « If he hit it right, I might take him on a flight on my chopper, cause I slay/Drop him off at the mall, let him buy some J’s, let him shop up, cause I slay » (« S’il me baise bien, je pourrais l’emmener faire un tour dans mon hélico, parce que je déchire/ Je pourrais le déposer au centre commercial, le laisser acheter quelques Air Jordan, le laisser faire du shopping, parce que je déchire »).
En renversant le rapport dominant-dominé, Beyoncé assied sa toute puissance et rappelle que les femmes ne sont pas destinées à servir de tapisserie pour ne pas dire de plantes vertes dans l’industrie musicale.
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