Avec un premier album de chansons tendues et soignées, LES SHADES débarquent comme la plus belle anomalie du rock parisien contemporain.
A trop regarder leurs jeans slim, leurs guitares et leurs coupes de cheveux, et à force d’avoir entendu de nouveaux groupes de petits rockeurs, on avait presque fantasmé l’histoire des Shades avant qu’ils ne nous la racontent en vrai, un samedi de février, en pleine tournée, à Toulouse. On les imaginait ainsi parisiens, élevés dans des familles bien bourgeoises et gentiment artistes, jouant de la musique depuis l’âge de 4 ans, car initiés au rock par des papas passionnés du Velvet Underground. On les voyait comme ça, The Shades, et on avait tout faux.
D’abord parce qu’on ne dit pas The Shades, mais Les Shades, ensuite parce que Les Shades ont grandi en grande banlieue de Paris, se sont connus (pour la plupart) via une pratique assidue du roller à l’adolescence, ont étudié le jazz manouche et n’ont découvert le rock qu’il y a quelques années, avec le premier album des Strokes, Is This It. “Avant ça, on achetait aussi pas mal de vidéos de roller, et il y avait souvent la musique des White Stripes ou des Hives pour accompagner les figures. Mais ces découvertes ont été tardives.” Il aura pourtant suffi de trois ou quatre années pour que les cinq garçons se rattrapent et apprennent tout – du rock et du reste.
Car ce qui frappe, quand on rencontre le groupe des deux frères Etienne et Benjamin, c’est son immense culture et ses références éclectiques à vous faire passer le boss de Wikipédia pour un inculte. Véritables représentants en ce sens de leur génération, Les Shades connaissent tout : biberonnés à MySpace et MTV 2, ils ont accumulé en quelques mois une considérable somme de connaissances et développé un savoir sur la musique, de Sonic Youth à Beyoncé et de Bowie à Vampire Weekend, que leurs aînés avaient mis des années à construire.
Pas surprenant donc que le groupe, qui sort ce printemps son premier album, Le Meurtre de Vénus, se soit entouré d’une équipe d’adultes chevronnés (il en a confié la production à Bertrand Burgalat) et affiche une esthétique étonnamment travaillée : sur scène, les cinq membres ressemblent à de petits anges, entièrement vêtus de blanc – référence à l’album Blank Generation de Richard Hell. “J’aimais la théorie de Lester Bangs selon laquelle en donnant une page blanche aux gens, tu leur permets d’écrire ce qu’ils veulent dessus. C’est un peu ce qu’on leur propose à notre manière. Et c’est une façon de sacraliser le moment du concert, de ne pas donner l’impression au public que l’on vient de sortir de chez nous pour monter sur scène. Sans parler du fait qu’aujourd’hui, tous les groupes de rock s’habillent en noir.”
Même sans leurs costumes, Les Shades ne ressemblent d’ailleurs en rien aux autres groupes rock de leur âge. Ils chantent dans un français savant qu’on a davantage l’habitude de croiser dans le hip-hop, et soignent leurs arrangements. De Machination à Vénus, de Au crépuscule à De marbre, c’est un songwriting rock minutieux, un vrai souci des mélodies et un effort dans la production que l’on découvre sur ce premier album – un disque à la fois léger et explosif qui les pose loin, très loin des codes contemporains du rock parisien (grosses distos et guitares mal – voire pas – accordées). Sur Orage mécanique, le groupe va jusqu’à avouer : “Je ne suis pas la solution, plutôt le problème”. Nous on est très heureux d’avoir ce genre d’énigmes à résoudre aujourd’hui.
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