En ces temps de néo-soul, il faut rendre au label Daptone, qui fête ses 10 ans, ce qui lui appartient : la crème du genre.
Dix ans pile que Daptone Records rappelle les plus belles heures de la soul-music, en compagnie de Charles Bradley et de Sharon Jones. Une machine à remonter le temps de moins en moins anachronique ? “Ne prononcez surtout pas le mot revival”, prévient Neal Sugarman, musicien et cofondateur de ce label de Brooklyn, véritable référence du genre.
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Une décennie passée, un seul enseignement à tirer. Quel serait-il ?
Neal Sugarman – Il est tout bête, les gens aiment se sentir en vie, écouter une musique qui les ébranle. Qui apprécie vraiment ces conneries de marketing ? Beaucoup pleurnichent sur la crise du disque, mais seul le business model des majors est remis en cause. Manier les millions de dollars, vendre autant en disques, bastonner ses artistes à la radio, etc. : ces recettes ne fonctionnent plus. Ou presque, parce qu’en attendant, des chanteuses comme Adele, Duffy ou Joss Stone marchent bien mieux que nous (rires)… Je ne dis pas qu’elles ne méritent pas d’avoir du succès, mais comparées à Sharon Jones, franchement…
Daptone, c’est un son, une esthétique précise mais aussi une façon d’enregistrer des disques…
L’aspect technique joue incontestablement un rôle. Enregistrer sur bandes te pousse à faire toujours le bon choix, puisque tu ne peux pas revenir en arrière sans arrêt. L’acte créatif est brut, palpable, il prend forme sous tes yeux et pas des jours après grâce à un ordinateur. Quand on travaille une chanson, je n’ai pas droit à trente solos de saxo mais à un ou deux bien sentis. Ça change tout. Je ne veux pas te faire le coup du “c’était mieux avant”, mais je ne vais pas te dire non plus qu’on a entendu les meilleurs enregistrements de l’histoire ces dix dernières années.
Dès lors, pourquoi se méfier autant du terme rétro ?
Parce qu’il entraîne une certaine confusion, ce truc à la mode sur lequel surfent toutes les marques dites vintage. Nos morceaux sont sous influence, nous revendiquons cette parenté avec nos vieux vinyles. Mais de là à ne nous résumer qu’à ça… Le problème est qu’aux Etats-Unis la soul est perçue comme le folk : un répertoire traditionnel, ancré dans l’imaginaire populaire. Tu peux en donner une lecture originale, on te ramène toujours au passé. La seule chose que je revendique, c’est la qualité des chansons, le fait qu’on prenne le temps de bien les faire.
La musique actuelle est-elle trop produite, selon toi ?
Souvent, oui. Ce qui me touche, c’est ce qui se passe dans cette partie du studio où le musicien est confronté à un micro. Qu’est-ce qui va jaillir de ce moment forcément imparfait ? Si on triche avec ça, si on veut absolument tout maîtriser, la musique perd son âme. Je suis peut-être trop romantique, mais prends un disque des Isley Brothers, écoute leur section de cuivres et notamment le trompettiste, la façon dont le jeu de ce mec est unique. Voilà le genre de chose qui a du sens à mes yeux.
Le son n’a donc rien à gagner à être trop parfait ?
Clairement, non. A l’image du flamenco, de l’afrobeat, du blues, du gospel, il faut que ça transpire, que ça puisse jouer sans avoir le pied sur le frein. Cette émotion-là, si tu ne l’as pas au départ, comment l’obtenir à l’arrivée ? On doit pouvoir foncer et se foutre du reste, car au bout du compte, la musique est moins une question de notes que de rythme.
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