Pour ses dix ans, le label Brainfeeder réunit dans une compile les cosmic kids et weirdos qu’il a abrités sous son aile libératrice. Monumentale et indispensable.
L’enregistrement crépite un peu. La voix de Steven Ellison se teinte parfois de reflets métalliques, puis disparaît complètement dans une sorte de brouillard électrique épais avant de refaire surface. Quelques bribes de conversations perdues à jamais, comme c’est souvent le cas lors des rencontres qui comptent. Des types vivent nuit et jour dans une station spatiale au-dessus de nos têtes, mais les dictaphones grésillent toujours autant quand ils s’approchent trop près du combiné téléphonique.
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Dans une interview vidéo datant de 2008, Steven aka Flying Lotus, embarque une petite équipe télé dans une salle de jeux d’arcade vintage à San Francisco : “Je suis de la génération Nintendo, j’adore quand ça fait ‘bleep-bleep’.” Puis le rappeur suggère, hilare, de ressortir ses albums en 8-bit,façon chiptune. Dix ans plus tard, FlyLo célèbre la première décennie de Brainfeeder, le label qu’il a créé de toutes pièces dans le but de, nous dit-il, “défendre et documenter les élans de création des ‘crazy kids’ et des ‘weirdos’”.
Une enfance bercée par la musique
Comme un écho à sa propre enfance, bercée par l’image d’un Super Mario pixélisé et les langueurs g-funk du Doggystyle de Snoop Dogg :“A l’époque tout le monde samplait des trucs et tout ce qui est cool. Mais quand Snoop a sorti cet album, j’écoutais pour la première fois un disque de hip-hop avec des instrumentations, de cordes et tout. Je ne pensais pas que le hip-hop pouvait être aussi musical.” Snoop aura peut-être suscité une vocation, à moins que le fait de grandir dans une famille de musiciens(sa mère signait des chansons pour la Motown, sa tante n’est autre qu’Alice Coltrane) ait contribué à faire de lui un esthète attentif aux motifs des musiques contemporaines, ceux-là même qui se dispersent, se juxtaposent, se combinent et se chevauchent comme dans une mosaïque complexe, sur la belle compilation Brainfeeder X, recueil nécessaire et document inestimable, témoin de l’extraordinaire profusion d’idées d’un label aventurier.
Une compilation qui regarde vers le futur
Deux disques, trente-six morceaux, dont vingt-deux inédits : “Nous voulions réunir sur cette compilation les artistes avec lesquels nous travaillons depuis toujours et les plus jeunes, récemment signés sur le label, et que nous aimons”, nous explique-t-il. FlyLo aurait pu regarder dans le rétroviseur, mais il ne voulait pas d’une compilation qui aurait eu les yeux rivés sur les archives du label. Brainfeeder regarde devant, dans l’optique de dessiner les contours de la musique du futur, celle que les pionniers du jazz électronique, de Sun Ra à Miles Davis, auraient aimé pouvoir écouter confortablement installés dans le wagon d’un aérotrain posé sur un monorail interstellaire.
Cette éthique, il l’a forgée au contact de mecs comme le DJ et producteur Peanut Butter Wolf et surtout Egon, boss du label Now-Again, que Steven avait l’habitude de côtoyer quand, au mitan des années 2000, il bossait chez Stones Throw (dont Now-Again fait partie), cultissime maison de disques made in Los Angeles : “Egon m’a énormément appris. D’un point de vue business, comment gérer un label, je le considère comme un mentor. C’est quelqu’un qui a un véritable sens du leadership, très concentré et qui attend beaucoup des gens avec qui il travaille.”
Un casting furieux
Sur cette compile se côtoient donc, le temps d’une collision intergénérationnelle cosmique, Mr. Oizo, dont on avait oublié le bref épisode Brainfeeder, le vétéran Teebs, le cool kid de Bristol Iglooghost (qui aurait pu faire son échange Erasmus chez Ed Banger), Thundercat avec les Canadiens de BadBadNotGood et le boss himself, mais aussi Busdriver et sa voix à mi-chemin entre celles de Slim Gaillard et Gil Scott-Heron, sur un track signé FlyLo, Louis Cole ou ce génie de Daedelus,qui exalte ici un onirisme à la Broadcast.
« Je déteste le fait que les affaires se mettent en travers de certaines choses«
Kamasi Washington, qui avait sorti The Epic chez Brainfeeder, probablement l’un des albums les plus iconiques du label, manque à l’appel. Il est maintenant signé chez les Anglais de Young Turks. La conversation prend alors une tournure plus solennelle : “Je déteste le fait que les affaires se mettent en travers de certaines choses, parfois. Mon amitié avec Kamasi est plus importante que tout. J’ai une profonde et sincère connexion avec sa musique, je me sens si proche d’elle. C’est son moment et il mérite ce qui lui arrive.”
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