Ce week-end, deux groupes se croisaient sur les scènes de Brighton : les jeunots d’Electric Soft Parade et les vieillots de James, entraînés par un Tim Booth hagard, qui annonçait là sa mise en retraite anticipée, à découvrir dans la suite du reportage demain.
Ce vendredi après-midi, les bureaux de l’industrie du spectacle londonien ont dû se vider, ici et là, assez tôt. Comment expliquer autrement qu’à 20 h, après des repas pris dans les meilleurs restaurants de la ville (dont la réputée Blanche House, les salopards), tout ce beau linge froissé soit déjà au Pavilion, une salle idéale du centre-ville de Brighton, pour acclamer The Electric Soft Parade ? La perspective d’un week-end dans cette ville de débauche aux frais de la princesse ? Sans doute un peu. Mais pas seulement : cette traditionnelle caravane d’attachées de presses, de journalistes, de cadres débonnaires et de suiveurs envieux est aussi là pour vérifier sur pied une rumeur de plus en plus insistante : il y aurait à Brighton, dans cette ville entièrement annexée par l’électronique, un groupe de pop-rock fulgurant, cultivé et euphorisant, fondé par deux frères. Pas étonnant qu’on évoque, alors, la possible succession d’Oasis. Sauf que les frangins White n’ont rien, sinon une vaste discothèque, en commun avec les Gallagher. On s’étonne forcément, en rencontrant leurs parents en coulisses, de la jeunesse de papa et maman White : comment un couple aussi jeune peut-il avoir deux enfants dans un groupe de rock. La réponse est simple : malgré leurs airs de vétérans et leur déjà riche discographie sous le nom de The Feltro Media, les frangins n’ont pas 35 ans à eux deux.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sur scène, devenus un quartet avec des musiciens visiblement encore plus jeunes qu’eux (on cherche, sur scène, leur baby-sitter), ils jouent grave, psychédélique, incroyablement physique. Trente ans après la dernière invasion mod à Brighton, les Who sont de retour en ville ? plusieurs fois, on jurerait entendre Won’t get fooled again joué par Supergrass. Car ici et là, un clavier illuminé bombarde des blips et des crachats de Moog, déchire la sagesse des mélodies que Tom, le plus jeune des frères White, se charge de violenter derrière sa batterie possédée. Ce type d’une culture musicale insensée pour son âge connaît forcément les Who et leur batteur Keith Moon : il en est le plus impressionnant héritier, frappant avec autant de rage, de démesure que de précision. Le plus incroyable de cette histoire de famille restant que ce minot aux faux airs de Brian Wilson juvénile soit le compositeur et auteur de ce groupe. Et qu’il possède, comme s’il n’était pas suffisant d’être un batteur inouï et un songwriter rare, d’autres projets solo, notamment du côté de l’electronica. Car c’est la grande affaire de cette power-pop instruite mais débraillée : son refus de s’inscrire dans une britpop réglementaire, notamment en recevant en ami intime les influences répétitives du krautrock. Car Electric Soft Parade a beau jouer de la bubblegum-pop, son chewing-gum est truffé aux acides, au poivre, au piment. Grande musique pour surboums, auto-radios et matins ronchons. De la pop au prozac : popzac ? Une fois, Tom descend de sa batterie pour, à la guitare, prouver que la ressemblance n’est pas que physique avec Brian Wilson. Laisser une telle voix, plaintive et caressante, derrière une batterie serait un crime si ce type n’était pas, par ailleurs, le plus fascinant batteur qu’on ait eu l’occasion de voir depuis des années. Brian Wilson dans le corps de Keith Moon : chez les frères White, les pages de l’encyclopédie du rock ont été déchirée et recollées à la sauvette.
Empty at the end est ce soir joué à tombeau ouvert, dans la plus jouissive, bête et grandiose tradition de la power-pop. Une chanson parfaite pour laquelle Supergrass ou les Posies iraient jusqu’à vendre leurs mères. Logiquement, ces garçons lettrés dédicacent le rock têtu et hypnotique de There’s a silence à George Harrison, mort dans la journée. Une version d’un quart d’heure, comme remixée par Can, pendant laquelle le groupe ouvre ses vannes et se laisse emporter, sauvage, psychédélique. Dans ce flot, on entend aussi bien le Autobahn de Kraftwerk, que le groupe remonte tous feux éteints et en sens inverse, que les Stooges, Metallica ou Elliott Smith. Pas étonnant que l’on finisse à ce point hébété après cette chanson mouvante, vénéneuse, imprévisible. Après le concert, on discute avec le paternel White, un néo-quadra cultivé et fin, qui nous avoue sa passion ardente pour la Grande Bibliothèque parisienne : on sait au moins, désormais, d’où les deux fistons tiennent cette passion pour l’archivage, la consultation de grimoires anciens, l’ivresse du savoir. Marrant de constater comment, déjà, chacun en coulisse revendique la paternité d’un gloire très proche : untel en se souvenant comment il fut le premier à inviter les deux frères, alors même pas âgés de 15 ans, à parler de leur premier album à la radio. Un autre en se souvenant comment il organisa, à la même époque, le premier concert des White Brothers. Un signe qui ne trompe pas sur la certitude que tout le monde partage : ce groupe finira haut. D’ailleurs, pendant son concert, en fond de scène, le groupe a tendu un gigantesque photo d’un escalier en colimaçon. Pour les frères White, cet escalier ne peut qu’être à sens ascendant.
Demain : récit du retour des James sur scène à Brighton
{"type":"Banniere-Basse"}