C’est une love story aussi éclair qu’improbable… à première vue. Le rappeur de Chicago et le King de l’immobilier new-yorkais ont finalement plus d’un point commun. Retour sur une rencontre flippante.
“Donald Trump, c’est le genre de coup de pied aux fesses dont les gens avaient besoin.” Cette phrase, c’est John Lydon, autrement dit Johnny Rotten, ex-frontman des Sex Pistols, qui la prononce lors d’un entretien pour l’AFP, en 2017. Mais Kanye West aurait très bien pu en être l’auteur tant ses arguments en faveur du président américain semblent être forgés dans le même moule du politiquement incorrect. Johnny comme Kanye aiment le “faire” avec ostentation et bousculade, et se gaussent des visages horrifiés de la gauche américaine qu’ils jugent trop bien-pensante.
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Entre Kanye et Trump l’histoire d’amour a surpris, forcément. D’autant que le rappeur afro-américain est connu pour avoir reproché au président Républicain Bush de “s’en foutre des noirs” sur la chaîne NBC dans le cadre d’un concert de soutien aux sinistrés de l’ouragan Katrina. C’était en 2005, et Kanye disait tout haut ce que beaucoup pensaient déjà tout bas : il en aurait été autrement si la Nouvelle-Orléans avait été majoritairement riche et blanche. En 2013, il sample Strange Fruit de Nina Simone (1965), – fameux morceau dénonçant le lynchage des Noirs aux Etats-Unis (les “étranges fruits” qui pendent aux arbres) – sur la sublime Blood on the Leaves (2013), présente sur son album Yeezus. Mais voilà, l’entente avec Barack Obama ne se fait pas. Pourtant, Obama s’entoure d’artistes, du couple Jay-Z-Beyoncé que Michelle et lui invitent à plusieurs reprises à la Maison Blanche, à Kendrick Lamar, le rappeur de Compton aux paroles hautement politiques.
En 2008, Kanye a pourtant lui aussi apporté son soutien à sa candidature. Sauf qu’un an plus tard, il dérapait sur la scène des MTV Video Music Awards, interrompant le discours de Taylor Swift pour clamer que le prix du meilleur clip aurait dû revenir à sa pote Beyoncé. Quel rapport avec Obama ? Un mois plus tard, lors d’une interview télévisée pour CNBC, le président américain lâche, en off, que Kanye West est “un jackass”, “un idiot”. Des journalistes présents tweetent la sortie. Kanye se braque et tacle le chef de l’Etat dans diverses interviews. Une fois de plus, le voici ramené au rôle qui lui a trop souvent collé à la peau, celui du vilain petit canard tapi dans l’ombre, quand l’oie blanche, son meilleur ami Jay-Z, reçoit les faveurs des hautes sphères. Double camouflet : Obama moque la profession de star de téléréalité de Kim Kardashian. C’en est trop pour Kanye.
Est-ce là l’origine de son soutien à Trump ? Peut-être. Sûrement. Désavoué par la bien-pensance démocrate qu’incarnent à ses yeux Obama, sa famille et ses amis, Kanye préfère se tourner vers le bad guy, le troll, l’affreux jojo, le rejeton du fond de la classe, le marginal, en qui il voit un double. Lors d’un concert californien en août 2016, il choque l’assemblée en déclarant : “Si j’avais voté, j’aurais voté Trump !” Plus tard, il met un terme à l’un de ses concerts en s’en prenant à Jay-Z, Beyoncé et Hillary Clinton. C’est la fin d’une ère : West est hospitalisé pour épuisement. En vérité pour troubles psychiatriques. Et le Saint Pablo Tour est annulé.
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Une candidature “pas avant 2024” ? Promesse non tenue
Le 13 décembre 2016, c’est le grand comeback. Ce ne sont pas tant ses cheveux peroxydés qui estomaquent tout le monde que le lieu choisi pour cette résurrection médiatique : la Trump Tower, siège de l’entreprise Trump érigée par le business man en 1983 sur la Cinquième avenue, à New York. Les caméras sont de sortie et Twitter ne tarde pas à s’enflammer. Kanye est à l’origine de la rencontre, comme le confirme la porte-parole de Trump, Hope Hicks. “Ils ont eu une conversation très positive et productive”, résume-t-elle alors. Plus tard, Kanye explique sur Twitter : “Je voulais rencontrer Trump pour discuter de questions multiculturelles”, notamment de “harcèlement scolaire, des professeurs, de la modernisation des CV et de la violence à Chicago (dont il est originaire, ndlr)”. “Je pense qu’il est important de disposer d’une ligne directe de communication avec notre futur président si nous voulons un changement. #2024”, assène-t-il. Un autre de ses tweets expose une photo de la Une du Time où Trump est “l’homme de l’année”, dédicacée par ce dernier d’un simple mais efficace : “A Kanye, tu es un grand ami. Merci.” Les fans de musique qui louent le génie de West depuis des décennies s’étranglent : comment continuer à dissocier l’homme de l’artiste ? D’autres brandissent la bipolarité dont il serait atteint pour justifier un comportement que personne ne parvient à admettre.
franchement Kanye West et Donald Trump c'est une #FriendshipGoals pic.twitter.com/Z7paItSXFS
— Nova アート (@iamnovaato) December 13, 2016
Si West n’est pas convié pour chanter lors de l’investiture de Donald Trump en janvier 2017 (pas assez “tradi”), il ne lui en tient pas rigueur. Trump, lui, explique combien le soutien de Kanye lui a ramené des supporters afro-américains. En octobre 2018, il lui ouvre les portes du bureau oval pour une rencontre sur les thèmes de la criminalité et des difficultés économiques de Chicago. Elle s’avère désastreuse (ou bien s’agit-il d’une vaste opération visant à faire parler de soi coûte que coûte ?). West fait du grand West, s’enfonçant dans une logorrhée de dix minutes, coiffé d’une casquette rouge MAGA (Make America Great Again) qui le fait se sentir “comme Superman”. Les sujets s’enchaînent de façon décousue : de son mauvais diagnostic (il ne serait pas bipolaire mais atteint d’un grave manque de sommeil) au conflit avec la Corée du Nord en passant par l’avenir du Air Force One sans oublier de se comparer à un “bon vin” avec “des notes complexes”. Une fois la réunion terminée, silence dans l’assemblée. Trump aurait-il trouvé un concurrent au rayon des adeptes des discours à l’emporte-pièce ? Après quelques secondes, il réagit : “Je vais vous dire, c’était sacrément impressionnant.” West embraye : “Ça vient du cœur. Je l’ai juste canalisé.” Pas tellement canalisé, si ?
"Superman", "univers alternatifs" et "jet à hydrogène": le discours lunaire de Kanye West face à Donald Trump pic.twitter.com/77m0V21bKT
— BFMTV (@BFMTV) October 12, 2018
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Dans le même temps, sa compagne, Kim Kardashian West – qui aide désormais certains prisonniers à obtenir des remises de peine, tout en suivant des cours de droit -, est reçue à la Maison Blanche. Elle vient y défendre la cause d’Alice Marie Johnson, condamnée à la prison à vie à la fin des années 1990 pour son implication dans un vaste trafic de cocaïne. Victoire : peu après sa visite, Trump commue la peine. En 2018, Johnson sort de prison après 21 ans derrière les barreaux. Mais ce qu’il faut surtout retenir de ce déplacement des West à Washington, c’est qu’il y est d’ores et déjà question d’un Kanye à la Maison Blanche. Interrogé à ce propos par des journalistes, Trump dit qu’il ferait l’affaire. Kanye embraye : “Pas avant 2024.” Promesse non tenue.
Le 4 juillet, Kanye lâche Trump et annonce son intention de se présenter à la présidentielle américaine dans un tweet. Ses soutiens s’appellent Kim K. et Elon Musk, business man milliardaire ayant fondé Tesla parmi bien d’autres entreprises et s’étant épris de conquête spatiale. Lors de quatre entretiens disparates donnés à Forbes au mois de juillet 2020, West livre son slogan de campagne – “Yes !” (Oui !) – et le nom de son parti : The Birthday Party. Pourquoi ? Eh bien parce que lorsqu’il aura gagné, “ça sera l’anniversaire de tout le monde”, pardi ! Personne ne sait plus si c’est du lard ou du cochon, s’il s’agit d’une parodie à la Joaquin Phoenix ou d’un pétage de plombs en direct live.
La mégalomanie n’est bien sûr pas en reste : “Je ne dis pas que Trump est sur mon chemin, il peut faire partie de mon chemin. Et Joe Biden ? Sérieux mec, s’il te plaît. Tu vois ? Obama est spécial. Trump est spécial. On dit que Kanye West est spécial. L’Amérique a besoin de personnes spéciales qui dirigent. Bill Clinton ? Spécial. Joe Biden n’est pas spécial.” Ses tacles contre Trump ne vont pas plus loin : “Trump est le seul président que nous ayons eu depuis des années qui ait remis Dieu dans la conversation.” Plus loin, il estime qu’il s’agit “d’une forme de racisme et de suprématie blanche de dire que tous les gens noirs doivent être démocrates”. Et ajoute : “La raison pour laquelle je n’ai jamais voté avant, c’est que j’avais peur. On m’a dit que si je votais Trump ma carrière musicale serait terminée (…) C’est ce que les Démocrates font, émotionnellement, aux gens comme moi. Les menacer jusqu’au point où un homme blanc dit à un homme noir que s’il ne vote pas pour lui, il n’est pas noir.” Ailleurs, il affirme être “pro-Vie” (anti-IVG) et cite Dieu à foison.
Trump et West partagent une insatiable soif de revanche
Son premier meeting se tient le 19 juillet, en Caroline du Sud. Vêtu d’une veste pare-balles portant la mention “sécurité”, Kanye West s’égare dans un discours décousu. Le climax est atteint lorsqu’il se met à pleurer en tançant l’avortement, arguant du fait que si sa mère avait écouté son père, il ne serait pas en vie, et qu’il a lui-même “failli tuer sa fille” en y ayant recours avec sa compagne. Sur Twitter, les messages erratiques se multiplient avant d’être effacés. Bientôt, Kim Kardashian intervient sur Instagram en appelant à la compassion envers une personne malade : “Ceux qui sont proches de Kanye connaissent son cœur et savent que ses mots peuvent parfois dépasser ses pensées (…) Ceux qui comprennent la maladie mentale ou les désordres comportementaux savent que la famille est impuissante à moins que le membre de la famille ne soit mineur.”
Alors que tout le monde l’a oublié, Kanye West revient à la charge dans la nuit du 12 au 13 octobre avec un premier spot de campagne dévoilé sur Twitter, son réseau social préféré (puisque le moins contrôlé). Devant un drapeau américain flottant en noir et blanc, le voici qui déroule les bribes d’un programme conservateur axé sur la foi en Dieu et la famille. Entré trop tardivement dans la course pour figurer sur les listes de Floride, du Texas et du Michigan, West devrait tout de même apparaître sur celles de plusieurs Etats : l’Arkansas, le Colorado, l’Idaho, l’Iowa, le Mississippi, l’Oklahoma, le Tennessee, l’Utah et le Vermont.
https://twitter.com/kanyewest/status/1315766834046541825
Sans prédire l’élection de Kanye West, qui a tout de même très peu de chances de se faire, notons tout de même que certains se moquaient tout autant de la candidature de Trump à la présidentielle américaine. Quatre ans plus tard, on dirait que le schéma se répète, ou que l’élève cherche à courser le maître. Leurs points communs sont légion : fascinés par la célébrité et le spectacle, tous deux frayent de près ou de loin avec la téléréalité, les esclandres, les mises en scène. Biberonnés à l’American Dream, tous deux rêvent de “réussite” pécuniaire et ostentatoire. Mégalomaniaques, tous deux parlent d’eux-mêmes à la troisième personne et ne souhaitent finalement rien tant que laisser leur empreinte sur le vaste monde, seul gage d’immortalité. Enfin, moqués de tous, guignols du vaste cirque médiatico-culturel, Trump et West partagent une insatiable soif de revanche, l’envie de prouver qu’eux aussi peuvent faire partie de la cour des Grands, du cercle de ceux qui obtiennent le respect. Qui sont pris au sérieux.
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