Voué à l’origine à la création contemporaine, le Jeu de paume se consacre désormais à des artistes reconnus. Ou comment une institution culturelle perd peu à peu toute audace.
Quelques jours après la rétrospective César, et quelques mois avant celle d’Arman, la galerie du Jeu de paume ouvre son espace à deux artistes, Emil Schumacher et Lee Ufan (jusqu’au 4 janvier). Très bien. Le premier est un peintre allemand né en 1912, composant des tableaux terreux où il intègre du sable, de la paille ou du fil de fer, jalon important d’une peinture allemande sur la voie qui mène à Richter, Anselm Kiefer ou Baselitz. Le second, né en 1936, est l’un des plus célèbres artistes coréens, il expose dans le monde entier une oeuvre accomplissant la rencontre du minimalisme et de la pensée orientale. Exposées l’une au-dessus de l’autre dans les deux étages du Jeu de paume, ces deux oeuvres forment un dialogue ouvert autour de la matière, et se livrent à un questionnement de l’acte pictural. Toujours très bien, même si certaines mauvaises langues vous diront de surcroît que Schumacher, à force de chercher l’épaisseur, a rencontré l’art du lourd et du pâteux. Et que Lee Ufan est à la philosophie orientale ce que Richard Gere est au bouddhisme : une version occidentalisée. Mais les mauvaises langues sont ce qu’elles sont et c’est aussi pour cela que, parfois, on aime bien les entendre.
Le problème qui nous agite est ailleurs, dans la programmation du Jeu de paume : voué dès l’origine à être un lieu de défense et illustration de la jeune création contemporaine, il se consacre désormais à la rétrospective d’artistes la plupart du temps déjà reconnus. C’est le contraire du risque et une dérive institutionnelle assez révélatrice : le Jeu de paume a cessé d’être une galerie et se vit comme un musée. On s’interroge sur ce manque d’audace : aurait-il quelque chose à voir avec l’idée, colportée par certains critiques d’art en pleine visibilité médiatique, qu’il n’y aurait pas grand-chose d’intéressant dans la création artistique actuelle ? Ou les sponsors et mécènes du Jeu de paume, AXA-UAP et Air France en tête, auraient-ils peur de cautionner une création plus dérangeante, politiquement incorrecte et où seraient éventuellement abordés avec lucidité les problèmes de la société contemporaine ?
Face à cette institution grippée, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris, qui ouvre certes ses portes à une rétrospective, fait souffler avec Gilbert & George un air nettement plus chaud, et prend au moins le risque de présenter parallèlement trois jeunes artistes, Michel Blazy, Ange Leccia et Elisabeth Ballet. A Grenoble, le Magasin donne carte blanche au critique Eric Troncy : en voilà un qui mélange avec une rare insolence César et Haim Steinbach, Andy Warhol et Alain Séchas, qui confronte les générations d’artistes plutôt que de les isoler ! A l’heure où certaines institutions locales sont de plus en plus menacées, et au moment où l’on a cessé de parler d’un nouveau lieu à Paris pour la jeune création contemporaine (où en est l’espace qui devait s’ouvrir dans le XIIIéme, rue Cantagrel ?), il est donc urgent d’ouvrir le dossier du Jeu de paume. Car pourquoi, en effet, irait-on construire un espace qui deviendrait dans dix ans un nouveau Panthéon ? Paris ne manque pas de lieux : ce qui est vrai des bureaux inoccupés l’est aussi de ces nouveaux Louvre.
Jean-Max Colard
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