Crooner Comme on n’a décidément rien sans rien dans la vie, il faudra, pour goûter la suave ivresse de cette musique, passer d’abord l’épreuve de la pochette, redoutable : un “vieux Neg” souriant en costard chic attablé, ravi, devant une bouteille de bordeaux, une baguette, quelques fromages et une grappe de raisin emblèmes “choisis” […]
Crooner Comme on n’a décidément rien sans rien dans la vie, il faudra, pour goûter la suave ivresse de cette musique, passer d’abord l’épreuve de la pochette, redoutable : un « vieux Neg » souriant en costard chic attablé, ravi, devant une bouteille de bordeaux, une baguette, quelques fromages et une grappe de raisin emblèmes « choisis » de la douceur épicurienne de notre bonne vieille France, on l’aura compris (les clichés ont la vie dure). Ajoutez à cela un titre grotesque et grandiloquent qui réveille quelques envies de meurtre enfouies dans notre inconscient cinéphile voilà pour l’emballage désastreux du dernier disque de Freddy Cole (le frère cadet du grand Nat « King » Cole, on le rappelle au passage) entièrement consacré aux chansons de Michel Legrand : difficile de faire pire dans le mauvais goût et le contresens. Car derrière cette accumulation de poncifs kitsch se cache une petite merveille d’élégance et de raffinement, une musique intemporelle toute en séduction, décontraction et sophistication légère. Il faut bien dire que ce Freddy-là n’a pas pour habitude de sortir ses griffes ; son style, c’est plutôt la patte de velours, caressante et duveteuse : un timbre doux, très légèrement granuleux, un phrasé souple, fluide, tout en inflexions tendres, une mise en place miraculeuse sur le rythme qui est le secret du swing, une façon unique de dire les mots sans jamais cesser de les chanter tout ça, avec un sentiment de naturel confondant qui est la marque de la plus extrême sophistication. Freddy Cole est sans doute l’un des derniers très grands chanteurs à détenir le secret de la ballade romantique, murmurée sur le ton de la confidence avec ce détachement apparent gorgé d’émotions tenues. Sur un répertoire dont on ne répétera jamais assez l’extrême qualité (quel compositeur peut se vanter d’avoir laissé après-guerre autant de chansons immortelles ?), Freddy Cole signe tout simplement un petit chef-d’œuvre de musique « facile » mais jamais futile.
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