Retour sur le festival Aquaplaning de Hyères, vrai lieu de découvertes électroniques, mais encore balbutiant. Comment concilier l’envie de faire découvrir ce genre de musique et n’en faire profiter que cinq cents personnes ?
Michel Houellebecq lisant ses poèmes au bord d’une plage sur fond de musique électronique, Aphex Twin pour une apparition exceptionnelle, les rares Leila et Herbert… Depuis trois ans, on entend de plus en plus parler d’Aquaplaning, festival défricheur des musiques électroniques. Pendant trois jours, en un lieu quasi unique, la mythique Villa Noailles, Aquaplaning s’impose sous le soleil comme le seul festival entièrement consacré à la musique électronique alors que se multiplient les festivals estampillés rock (les Eurockéennes de Belfort noyées cette année sous la pluie, les Vieilles Charrues de Carhaix un peu éclipsées de leur côté par le Teknival attenant, la Route du rock de Saint-Malo, etc.). Libération du 28 juin présente même Aquaplaning comme « le festival le plus sexy de l’été ». Allez, on fait la valise : huile solaire, maillots de bain, cigarettes qui font rire… Electronica riviera, nous voilà !
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On atterrit dans une petite ville de la côte, endormie sous le soleil, prête à recevoir sa déferlante annuelle d’estivants. Les lieux stratégiques du festival sont trop éloignés les uns des autres pour pouvoir « faire » le festival à pied. On doit louer une voiture. Surprise : on n’entend pas les bpm pulser au c’ur d’une ville dont la moyenne d’âge doit allégrement dépasser la cinquantaine. Il y a bien quelques affiches au centre pour rappeler l’existence du festival, mais aucune signalisation ne flèche le parcours. Premier rendez-vous de la journée : Le Coconut. Une plage qui s’avère introuvable. Même les Hyérois à qui on demande notre chemin ne connaissent pas. Après plusieurs fausses pistes, on finit par trouver une petite plage décevante. C’est ça le festival le plus sexy de l’été ? Une sono sur la plage, quelques transats La Cinquième, des gens qui ne doutent pas qu’ils sont over branchés… Beaucoup de pose sur une plage sans charme : pas de quoi affréter un charter.
On en aura le c’ur net le soir même en allant à la Villa Noailles. C’est là que sont programmés les morceaux de choix du line-up. Le clou de cette première soirée est la présence du très rare Vini Reilly alias Durutti Column, mais on apprend en arrivant au sommet de la route étroite qui conduit à la Villa qu’il a déclaré forfait. Déception.
Reste un site mythique : la Villa Noailles. Mais la scène est installée face au seul espace auquel on ait accès : un carré de pelouse assez banal d’environ 300 m2. Le bâtiment et ses dépendances, construits dans les années 30 par l’architecte Mallet-Stevens, sont interdits au public. La partie la plus belle du site est le jardin qui aurait donné un idéal chill-out, mais lui aussi est inaccessible. Certes, on est d’abord là pour la sélection musicale, toujours excellente (voir bilan p. 24), mais la programmation de quatre sets par soirée (soit cinq heures d’affilée) se révèle limite indigeste, d’autant que toute sortie est définitive. Dans ces conditions, difficile de respirer, de circuler, de s’approprier l’espace. D’autant que cinq cents personnes suffisent pour que la pelouse soit rapidement noire de monde. Pas évident d’avoir un sentiment hédoniste quand on est ainsi tassé sur un carré de pelouse.
On commence alors à se poser des questions. Comment a été conçu ce festival ? Quel est le public d’un festival de musique électronique mêlant Fad Gadget, To Rococo Rot et Isolée ? Le microcosme parisien des professionnels de la musique électronique ou la population vieillissante d’une petite ville de la Côte d’Azur ? Est-ce vraiment un festival ou simplement une vitrine, un laboratoire ? Le battage médiatique autour d’Aquaplaning est-il en proportion avec une réalité aussi microscopique ? Comment peut-on concilier l’envie de faire découvrir la musique électronique et, dans le même temps, n’en faire profiter que cinq cents personnes ?
Même pour Armand Thomassian, le créateur du festival, le concept ne semble pas très clair. La philosophie d’Aquaplaning, c’est la promotion d’une certaine musique, électronique. Mais la promotion auprès de qui : des professionnels ou du public ? Pour lui, cela ne fait aucun doute, c’est le public. « Le déclic, ça a été les Eurockéennes de Belfort, l’année où Radiohead est passé. J’y étais pour la première fois. Il faisait un temps épouvantable. J’ai été sidéré de voir que l’espace professionnel, ultra confortable, faisait la même taille que l’espace public où les spectateurs s’entassaient les uns sur les autres dans 40 cm de boue, collés contre le grillage à nous regarder. Ils ont payé, ils ont pris le train, ils se retrouvent dans un camping foireux, alors que c’est eux qui font que les artistes peuvent jouer ! Dans le train, de retour à Marseille, j’ai parlé avec deux mômes lessivés, épuisés, qui n’avaient pas dormi de la nuit, mais qui étaient heureux, ils avaient vu No One Is Innocent. Ça m’a bouleversé. En faisant mon jogging à Hyères le lendemain, j’ai vu les plages, le soleil… Je me suis dit que c’était l’endroit idéal pour faire un festival différent. »
Cette idée d’ouvrir les portes, de faire tomber la distinction entre public et VIP est généreuse. Pourtant, vu de la Villa Noailles, Aquaplaning semble être un festival élitiste, réservé à un public parisianiste d’accrédités. Thomassian s’agace : « Ce n’est pas un festival élitiste, tout le monde est logé à la même enseigne. Il n’y a pas de bar VIP. »
Quand on voit la capacité de la Villa Noailles qui culmine à cinq cents personnes par soir, on a forcément le sentiment d’un rassemblement de happy few. Dès lors, ne serait-ce pas tout le festival qui se transforme en carré VIP ? « On a voulu monter un festival à taille humaine, convivial. Le contre-exemple absolu, c’est le Sonar, à Barcelone : un centre commercial tapissé de faux gazon artificiel dans la journée, un immense hangar fermé à côté de la mer le soir, le carnaval Techno-parade avec déguisements façon Total Recall, il faut des jumelles pour voir les artistes sur scène… Ça ne correspond pas du tout à ce que je veux faire. Pour moi, la plus grosse jauge, c’est deux mille, deux mille cinq cents personnes : au-delà, on perd de la convivialité. » Mais des deux mille cinq cents personnes, on en est encore loin.
Après la Villa Noailles et ses cinq cents malheureuses places, on n’a pas d’autre choix que l’anonyme club local, Le Rêve, qui ne peut contenir plus de monde que la Villa. Il manque sérieusement à Aquaplaning une plage-club à ciel ouvert digne de ce nom. Armand Thomassian regrette lui aussi de ne pas avoir accès à un espace plus grand : « La mairie a été refroidie par une free party de 48 heures qui a eu lieu en 1997 sur un site militaire, au beau milieu d’un quartier résidentiel. Var-Matin s’est fait l’écho tous les jours pendant un mois de l’indignation des riverains. » Depuis, la mairie a donc des poussées d’urticaire à l’idée d’un rassemblement autour des musiques électroniques. On en arrive au c’ur du problème. La notion même de « musique électronique » est floue puisqu’elle n’a de réalité que dans une très grande diversité de genres : de l’hermétisme expérimental électroacoustique à la musique de dance-floor franchement festive, de la pop synthétique à la performance postmoderne…
Au sein de cette nébuleuse, le festival Aquaplaning s’est donné comme repères la qualité et l’indépendance. Il prend à bras-le-corps cette musique et en fait émerger les perles les plus sophistiquées. Armand Thomassian conçoit moins Aquaplaning comme un festival de musiques électroniques que comme un lieu de découverte d’une scène indépendante, un rassemblement d’amateurs éclairés, à l’image d’un festival de jazz. Dans ce cadre-là, Aquaplaning ne pourra jamais devenir un festival populaire, d’autant que la musique électronique est par nature insaisissable. Festival, défilé, parade, free, rave, Techno-parade, Teknival, Rendez-Vous Electroniques… qu’est-ce au juste qu’un rassemblement de musique électronique ?
Le festival Aquaplaning n’est que la partie visible et policée d’un mouvement musical de fond que la France semble ne découvrir, éberluée, qu’à travers son explosion sauvage en Teknivals et free parties. Sex, drugs & electro ? A en croire les médias, de Télérama à France Info en passant par les reportages de TF1, la musique électronique est davantage qu’un phénomène de mode, un véritable enjeu de société. A tort ou à raison.
L’electro, genre rapidement étiqueté festif et idiot, ne peut que dérouter les observateurs extérieurs avides de textes (de loi notamment). Les commentaires paternalistes et hypocrites se multiplient, à se pencher au chevet d’une jeunesse qui s’ennuierait, à grand renfort de discours bien sentis sur la drogue, frisant souvent le délire apocalyptique (de quoi ne parle-t-on pas pendant ce temps ?). Jacques Chirac lui-même, dans son intervention télévisée du 14 Juillet, a cru de son devoir de chef de l’Etat de faire une bonne fois pour toutes la distinction entre rave et free… on croit rêver !
Cette incompréhension médiatique et étatique, dont témoignent les atermoiements autour de l’amendement Mariani, rappelle la panique créée il y a quarante ans à l’apparition d’une autre musique : le rock. Comme le rock à ses débuts, la musique électronique est une nébuleuse « jeune » qui suscite beaucoup de fantasmes. Comme le rock, la musique électronique est plébiscitée par les jeunes, futurs électeurs. Mais comme le rock, elle est suffisamment protéiforme pour déjouer toute tentative de mise au pas.
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