Avec un premier album qui fait le grand écart entre Salt N’ Pepa, ESG et Spank Rock, les deux pétroleuses de Yo Majesty, Floridennes, lesbiennes et chrétiennes, prennent à rebours les canons du hip-hop actuel. En concert cette semaine dans le cadre du festival Les Inrocks iDTGV.
[attachment id=298]Un défi aux canons du rap américain : c’est ce que l’on a ressenti la première fois que l’on a entendu Kryptonite Pussy de Yo Majesty, duo de hip hop composé de Shonda et Jwl, deux lesbiennes originaires de Tampa, Floride. Ce premier single dynamitait et subvertissait en quelques minutes tous les étalons du rap US : bagnoles, fric, biyatches, guns. Affirmation identitaire, sport de combat, le rap de Yo Majesty donnait tout à coup la sensation que les trop oubliées Salt N’ Pepa avaient fusionné avec la furie revendicatrice et riot d’une Kathleen Hanna ou d’une Beth Ditto pour, en quelques minutes fulgurantes, rendre la monnaie de sa pièce au hip-hop et plus généralement à un monde où les hommes fixent les règles.
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Avant de devenir un groupe, Yo Majesty était, depuis le début des années 2000, le projet solo de Shunda K (de son vrai nom Lashunda Flowers), une jeune femme athlétique élevée dans une famille extrêmement religieuse du Sud de la Floride. “C’est un nom qui exprimait mon respect de Dieu, de moi dans cette relation avec Dieu”, explique Shunda en avalant ses mots, avec une voix et un débit qui semble tout droit sorti d’un épisode de la série américaine The Wire. Quelques années plus tard, elle rencontre l’imposante Jwl, une rappeuse formée au gospel, dans un club lesbien de Floride.
Les deux femmes écument tout les open mics du coin et se livrent à des impros pendant lesquelles leurs raps ultra-rapides (le phrasé de Shunda n’est pas sans rappeller celui de Spank Rock) et très crus. “J’ai eu tout d’un coup conscience de la responsabilité que ça impliquait d’être Yo Majesty, explique Shunda, de ce que nous devions mettre en avant. Je me suis dit “Non, nous n’allons pas parler de Dieu mais de ces chattes, de baiser des filles”. Maintenant je m’en veux un peu, mais je crois qu’en tant que femmes noires dominées, nous devions en passer par ce processus d’opposition et d’affirmation.”
En 2003, le duo marque une longue pause, Shunda décidant tout à coup d’épouser le prêtre de son église d’origine pour faire cesser le conflit interne et alors insolvable entre sa foi et son homosexualité. Elle divorce en 2005, prie de longs mois pour que Dieu lui envoie une femme – qu’elle reçoit – et enregistre un premier maxi avec Jwl, qui ne laisse aucun doute sur leur talent. Une prestation scénique déchaînée au festival South By Southwest en 2007 attire l’attention de Domino (l’excellent label anglais de Franz Ferdinand, Arctic Monkeys etc.) qui les signe dans la foulée, faisant un pas de côté par rapport à son background rock et blanc.
Fort de cette nouvelle visibilité, le duo s’attelle à la réalisation de Futuristically Speaking… Never Be Afraid, un premier album brut, passionnant, produit en partie par Basement Jaxx, Radio Clit ou Chris De Luca (ex-Funkstörung). S’ouvrant sur la très électrique Fucked Up, le duo se montre capable de briller sur plusieurs registres, du hip-hop old-school, en passant par des ovnis qui mêlent crunk et esthétique riot, ou encore des titres de pure transe, dans la lignée d’ESG (Club Action, petite bombe et meilleur titre du disque). Seul regret : le relatif manque de concision du disque, qui aurait gagné en puissance et en efficacité avec un tracklisting plus resserré. Mais le potentiel du disque déjà largement plébiscité par la presse anglaise, pourrait promettre le duo à un brillant avenir. A condition que le groupe veuille bien continuer à exister.
Sur sa page Myspace, Shunda, qui semble avoir sombré dans un jusqu-au-boutisme religieux un peu flippant, explique en effet qu’elle ne sait pas encore combien de temps perdurera son association avec Jwl. “Je ne peux compromettre mes valeurs. Transmettre la parole de Dieu dans mes chansons est plus important pour moi qu’être un entertainer. Je me définis comme un pasteur de la liberté.” Les voix du seigneur sont impénétrables.
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