C’est sous le pseudo de THE FIREMAN que l’on retrouve PAUL McCARTNEY dans les studios d’Abbey Road. Epaulé du producteur Youth, il se souvient de l’époque des Beatles, quand avant-garde et pop-music s’entendaient encore comme larrons en foire.
[attachment id=298]Nous sommes une vingtaine de journalistes à attendre Paul McCartney dans le studio 3, au rez-de-chaussée d’Abbey Road tout au bout d’un long couloir où des portraits des Beatles, de Pink Floyd, de Freddy Mercury accompagnent vos pas. Cet après-midi, après écoute de son nouveau projet, Paul nous rejoint et bien que discrète, les deux mains dans les poches comme s’il revenait de promener le chien, son entrée fait toujours son petit effet. Il est vêtu d’une chemise blanche, d’une veste en flanelle grise et d’un pantalon dans le même ton avec de grandes poches cousues sur le bas des cuisses. Il a l’air d’un monsieur tout le monde. Il ne l’est pas, évidemment.
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Parmi nous, certains auront ainsi le stupide réflexe de baisser la tête pour vérifier s’il n’arrive pas… pieds nus. Oui, comme sur la pochette d’Abbey Road, il y a quarante ans, celle où il traverse le fameux passage clouté. C’est qu’avec un Beatle, et Dieu sait qu’il n’en reste guère, s’efface d’un coup le clivage entre individu et star. Le moindre élément se rapportant à sa personne pénètre aussitôt dans le champ de la valorisation fétichiste. Pour info : Paul est chaussé de banals trainings avec des attaches velcro.
“Je n’ai jamais voulu être le prisonnier de ma propre célébrité, ça m’a toujours paru être la tragédie ultime”, peut-on lire dans Many Miles From Now, sa biographie. Pour échapper au piège, il lui a parfois fallu ruser comme un sioux. En mars 1966, entre l’enregistrement de Revolver et celui de Sgt Pepper, il traverse la France incognito à l’aide une fausse moustache et d’un nom d’emprunt, Ian Iachimoe, réalisateur d’avant-garde polonais tout ce qu’il y a de plus fictif. On lui connaîtra d’autres pseudonymes : Paul Ramon, Bernard Webb ou encore Percy Thrillington, qu’il utilise pour enregistrer une version instrumentale de l’album Ram en 1977.
Ce sens de la dissimulation ne l’a pour ainsi dire jamais quitté. Sa dernière falsification d’identité, The Fireman, remonte à 1994 lorsqu’il éprouva le désir d’enregistrer de la musique techno avec l’ancien bassiste du groupe Killing Joke, Martin “Youth” Glover. Le disque, Strawberries, Ocean, Ship, Forest, sera quatre ans plus tard suivi d’un second, Rushes, plus achevé. Et voici maintenant Electric Arguments, la troisième flambée d’une collaboration qui entre temps a beaucoup changé de nature.
“A l’origine, j’avais choisi ce nom The Fireman parce que j’ai toujours aimé aller dans les bois, m’occuper des arbres, les élaguer, brûler les branchages. C’est quelque chose que je fais régulièrement depuis une vingtaine d’années. Mais c’est aussi en référence à mon père, pompier bénévole (Fireman) pendant la seconde guerre mondiale. Dans cette catégorie musicale où nous nous sommes engagés avec Youth, la musique ambient et la techno, on utilise rarement son propre nom. On s’appelle Buddah Bar ou Beach Gurus. Si j’avais utilisé le nom de Paul McCartney à l’époque, les gens auraient considéré le résultat d’un autre œil. Il a fallu assumer cet anonymat parce que le premier album est passé complètement inaperçu. Sur le second, certains fans ont commencé à avoir des doutes et à me demander si j’étais le Fireman, ce que à quoi je répondais : “mais non voyons !” Mais comme la rumeur enflait avant la sortie de celui-ci, nous avons plus ou moins décidé de faire notre coming-out.”
De facture plus classique, Electric Argument abandonne en effet le domaine de l’instrumental à base de boucles et de rythmes digitaux pour présenter une somme hétéroclite de treize chansons qui vont du heavy-blues Nothing Too Much Just Out Of Sight (où il règle ses comptes avec son ex, Heather Mills) au new-age celtique Travelling Light ; et du spectorien Dance T’ill We’re High au néo-gospel Sun Is Shining. Universal Here, Everlasting Now étant relié aux deux précédents disques par sa trame hypnotique. “En général, je suis capable d’accéder à des humeurs différentes qui elles mêmes correspondent à des modes différents. Je peux même le faire à la demande. C’est quelque chose que j’ai conservé de l’époque des Beatles où on me demandait dans les clubs de chanter Kansas City et puis Till There Was You à la suite, où il fallait passer sans transition d’un morceau rock à une ballade.”
C’est en l’occurrence cette flexibilité dans l’instant que Paul a voulu mettre à l’épreuve sur ce projet, fruit d’une improvisation au jour le jour. “J ’arrivais le matin dans le studio et avec Youth, on décidait d’un groove et d’un genre musical en particulier. J’enregistrais les instruments et puis à la fin, je mettais des paroles que j’avais improvisées, un peu à la manière d’un atelier de théâtre.” Bien qu’inégal, le résultat offre un auto-portrait révélant à la manière d’un puzzle, saisissante et morcelée, la personnalité d’un musicien qui de sa vie n’a jamais choisi un style plutôt qu’un autre. Qui s’est montré capable d’écrire dans le même élan l’enfantin Yellow Submarine et l’immaculé Here There & Everywhere, tout en exploitant les ressources sonores d’un John Cage pour les introduire dans le paysage musical des Fab Four. Populaire et avant-gardiste, telle demeure sa ligne de conduite sur Electric Arguments.
“Parfois, je me fixe des repères ou je m’impose des structures. J’ai besoin de structures parce qu’elle me donne un cadre précis et parfois je laisse l’inspiration me porter vers des territoires dont je n’ai pas connaissance.” Quant à savoir d’où lui vient une telle empathie avec l’alpha et l’omega de la musique ? “J’ai toujours détesté les conflits de générations. J’ai toujours éprouvé de la peine pour les familles où parents et enfants s’affrontent”, se contente de répondre celui qui a écrit When I’m Sixty Four à 25 ans et qui conclut son nouvel album par le dératé Don’t Stop Runinng, prouvant qu’à 66, le feu de la création ne l’a pas encore déserté.
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