Prodigieux dialogue entre musiciens anglo-saxons et congolais, à base de chansons frétillantes, d’electro dévergondée et de pop cosmique.
Il y a deux ans, on nous aurait pris pour des fous. Voir en Kinshasa la ville miroir de notre futur relevait encore de l’élucubration. Mais depuis, crise financière, chaos social et désastre écologique aidant, la lubie semble plus crédible. Aujourd’hui, la capitale congolaise n’est pas loin de devenir l’épicentre de tous les séismes contemporains, avec moins de 5 % d’habitants sur six millions qui perçoivent un salaire régulier, un adulte sur cinq déclaré séropositif, le système D érigé comme mode d’existence exclusif, ses usines désaffectées et ses magasins pillés transformés en églises et lieux de cultes prophétiques.
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Sans oublier ses névroses collectives aussi effarantes que perverses, comme cette croyance littérale en Harry Potter qui conduit à la chasse, parfois au sacrifice, d’“enfants sorciers”, en qui certains voient la cause de tous leurs maux. Or si la mégalopole africaine réalise au quotidien un grand nombre de nos cauchemars, on y relève aussi quelques miracles.
Comme la réjouissante rédemption du Staff Benda Bilili, ces handicapés sans logis devenus stars mondiales de la world-music. C’est un fait : dans son entêtement à survivre coûte que coûte, dans sa quête d’un réenchantement permanent face à la modernité catastrophique, le Kinois s’est mis à produire certains des sons les plus essentiels, les plus vitaux de ce début de XXIe siècle.
Comme vient l’illustrer cette fantastique double compilation qui fait entrer dans la transe congolaise toute une diaspora de dissidents de la scène rock ou electro. Le principe est simple : chacun des vingt-six artistes sollicités adapte à sa sauce personnelle un morceau de Konono n° 1, Kasaï Allstars, Basokin ou Kisanzi Kongo, ensembles les plus emblématiques du courant tradi-moderne, qui régurgite la musique traditionnelle à travers des instruments modernes (certains, comme le likembé électrifié, symbolisant le pur génie local pour le recyclage des résidus industriels).
Loin de verser dans le néocolonialisme ou de céder à l’habillage trendy à la Fool’s Gold, les invités donnent libre cours à leur imaginaire au coeur d’une luxuriante jungle sonore, absorbant au passage la vitalité hypnotique de ces rythmes comme ils se laissent absorber par elle.
D’une manière ou d’une autre, tous se métamorphosent en Alice dans un pays où les merveilles seraient à dénicher sous un tas d’ordures. Le premier volume est un poil pop avec Deerhoof, Animal Collective, Andrew Bird ou Glenn Kotche de Wilco, qui miniaturise un thème de Konono en le passant au travers du mécanisme d’une boîte à musique. Le second, un tantinet electro, propose des interventions assez tribales de Shackleton, de Micachu & The Shapes ou des Vénézuéliens Bear Bones et Lay Low.
Pendant deux heures et demie fusionnent ainsi réminiscences dub et krautrock, flashes beefheartiens, phasing reichien, étude satienne (Sylvain Chauveau), comme si tout ce qui fut, est ou sera contemporain devait nécessairement sortir de cette fange primitive. A l’évidence, le petit monde hétéroclite convoqué ici a pris un vrai grand plaisir à y patauger. Sans même y songer, le voilà qui réalise la promesse de John Berger selon laquelle “toujours, inlassablement quelque chose de nouveau, quelque chose de beau, peut renaître des ordures, des plumes éparses, des cendres et des corps brisés”.
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