Un coffret grand luxe célèbre le film ORFEU NEGRO et surtout sa renversante BO, acte de naissance du Brésil moderne.
[attachment id=298]En soi, la réédition en DVD d’Orfeu Negro ne devrait pas être considérée comme un événement. Cinquante ans après sa sortie, le film du Français Marcel Camus, qui transplante le mythe d’Orphée dans les favelas de Rio, reste un objet cinématographique mineur. Dans la forme, cette adaptation d’une pièce de Vinícius de Moraes affiche trop de défauts de construction et d’effets dramaturgiques grossiers pour qu’on lui accorde le bénéfice d’une réévaluation. Dans le fond, ça n’est guère mieux : Camus pose un regard d’une confondante naïveté sur les bidonvilles cariocas, présentés comme autant de paradis fauchés dont les habitants, portés par les souffles conjoints de l’amour, de la musique et de la danse, semblent vivre un état de grâce permanent.
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Aujourd’hui, on se demande comment un film aussi imparfait a pu générer un tel engouement à sa sortie. Couronné en 1959 par une Palme d’Or à Cannes et par l’Oscar du meilleur film étranger, Orfeu Negro est immédiatement entré dans la légende. Il a du même coup créé un malentendu durable entre le public occidental, séduit par cette carte postale envoyée depuis les tropiques, et la nation brésilienne, furieuse d’être réduite à l’état de gravure pittoresque.
Dans son livre Pop Tropicale et Révolution, Caetano Veloso, qui avait dix-huit ans lorsqu’il découvrit le film à Bahia, a clairement analysé ce décalage. « Pendant la projection, comme tous les spectateurs, honteux, je me suis moqué des contre-vérités contenues dans ce film, écrit-il. Sans aucune vergogne, ce réalisateur français s’était permis de créer un fascinant morceau d’exotisme. (…) Le charme opéra néanmoins parfaitement pour les étrangers : le film incarnait non seulement une version moderne, émouvante et populaire, du mythe grec, mais il révélait le pays paradisiaque où il avait été tourné. »
Veloso s’apercevra pourtant qu’Orfeu Negro a joué un rôle primordial dans la construction du Brésil moderne. Comme la kitschissime diva Carmen Miranda, qui dans les années 30 fut la première à exporter la richesse culturelle de son pays, le film de Camus a brodé un tissu de clichés dont nombre d’artistes brésiliens – Veloso et les tropicalistes en tête – se sont réappropriés les motifs. Surtout, il a marqué les esprits grâce à une bande-son dont la qualité, elle, ne souffre aucune discussion. Si ses images dépassent rarement le stade de la caricature, sa BO constitue une radiographie saissante du génie musical brésilien au mitan du XXe siècle.
C’est ce que rappelle aujourd’hui un coffret qui, outre le DVD du film et un copieux livret, propose sur deux CD l’intégralité du matériau musical enregistré pour Orfeu Negro – dont une très large proportion de plages inédites, récupérées au terme d’un incroyable travail de fouille.
Les précédentes éditions de cette BO se focalisaient sur les chefs-d’œuvre composés pour l’occasion par Vinícius de Moraes et Tom Jobim (A Felicidade) et le guitariste Luiz Bonfá (Manhã de Carnaval et Samba de Orfeu) : trois mélodies emblématiques d’une bossa-nova balbutiante mais déjà irrésistible, dont le charme se prolonge ici grâce à de renversantes versions réalisées par la chanteuse Elizeth Cardoso ou par le guitariste Henri Crolla.
L’immense vertu de cette BO revue et augmentée est de redonner une place prépondérante aux « musiques de situation » qui sous-tendent en permanence l’intrigue du film : marches de carnaval, airs de fanfare épousant les vibrations du frevo nordestin, batucadas fiévreuses des écoles de samba, chants et rythmes afro-brésiliens associés aux rituels de la macumba…
Mêlés dans un voluptueux va-et-vient aux harmonies raffinées de la bossa, ces documents bruts de décoffrage disent exactement ce qu’est le Brésil : un pays aussi noir que blanc, aussi ancestral que moderne, résolvant ses apparentes contradictions sous le patronage de la musique. Grâce à ces trésors sonores, le film de Camus prend in fine une autre dimension : derrière l’Orfeu d’artifice, projetant l’éclat factice d’un Brésil de pacotille, on découvre un véritable Orfeu de joie, révélant la vérité brûlante d’un Brésil dont la beauté torride n’a pas fini de nous aveugler.
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