Quoi de commun entre les Waterboys chevaleresques de 82, accueillis comme dee messies avec leur album débutant, et les Waterboys troubadours d’aujourd’hui? Mike Scott, la belle gueule de sauvageon mystique qui refusera de devenir star pour aller prendre racine en Irlande, s’enfermant dans un silence de plus de quatre ans. Seuls les disques parleront, lui deviendra mystère. Mystère de simplicité discuté lors de ce tout premier rendez-vous. Dublin, août 90.
Mike Scott : J’ai grandi en Ecosse, à Edimbourg, où j’ai eu un groupe pendant plusieurs années. Mais on n’y arrivait pas. Alors je suis venu à Londres au début des années 80, à la recherche de la fortune.
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Que signifie ne pas y arriver ?
C’était un groupe totalement différent des Waterboys, Another Pretty Face. C’était moi et mon ami écossais, John Caldwell… Nous avions besoin de nouveaux musiciens. Nous n’avions pas de succès, nous étions en train de croupir. Nous faisions toujours la même chose. Nous avions besoin d’air frais, d’un nouveau regard sur la vie. Tous les deux, nous sommes partis pour Londres, où nous avons trouvé des musiciens anglais. Nous avons joué ensemble pendant un an avant de nous séparer. John est retourné en Ecosse. Moi, je suis resté à Londres où j’ai formé un nouveau groupe qui est devenu les Waterboys.
Etait-ce musicalement différent ?
La même merde (rires)…
Etais-tu en contact avec les autres groupes écossais ? Au début des années 80, il y avait une scène musicale très importante en Ecosse, symbolisée par le label Postcard.
Non, je n’en faisais pas du tout partie. Je vivais à Edimbourg alors que les types du label Postcard vivaient à Glasgow ou à côté. Moi, je ne les connaissais pas. Et musicalement, je ne ressentais pas vraiment d’identité écossaise.
Lorsque tu es arrivé à Londres, as-tu ressenti que quelque chose de nouveau pouvait arriver, que ce serait plus facile ?
Oh oui ! C’était bien d’être plongé dans un nouveau monde, un nouvel environnement. C’était excitant. Je me suis intéressé à de nouvelles choses. Ma vie a changé. C’était juste le moment pour moi de changer.
Londres semble très triste comparée à l’Ecosse. Qu’espérais-tu y trouver ?
Room to roam (rires)… (Le titre de son nouvel album, littéralement
de l’espace pour flâner ). Peu importe si c’est en déclin ou si c’est une mauvaise décennie, Londres est une ville historique formidable. Elle est un peu mystique, de grands écrivains, beaucoup d’énergie à prendre.
N’étais-tu pas attiré, comme beaucoup d’Ecossais tels les Proclaimers, par une sorte de rêve américain ? Par une sorte d’idéal, une idée de l’Amérique ?
Oh oui ! Le Velvet Underground, Patti Smith, Johnny Thunders, Television, la musique new-yorkaise. L’Ouest aussi, un peu. J’aime bien les Doors, à petite dose. Et les Beach Boys. Mais tout le monde, en Ecosse, aime le Velvet. Il s’est infiltré partout. D’ailleurs, Roddy Frame ne ressemble-t-il pas étrangement à Doug Yule ? Les Velvets sont des héros en Ecosse.
amoureux du violoniste
Comment as-tu connu l’Irlande ?
J’y suis venu pour la première fois pendant les vacances, lorsque j’avais dix-onze ans. J’avais beaucoup aimé le pays. Un jour, en 86, j’ai dû quitter mon appartement londonien, qui allait être revendu. Je ne savais pas où aller. Steve Wickham, qui deviendra le violoniste des Waterboys, m a dit de venir à Dublin pour quelques mois. J’y suis donc parti et ne suis jamais revenu. L’Irlande m attirait, mais je n’avais jamais imaginé aller y vivre. Et j’en suis totalement tombé amoureux, immédiatement et éperdument… Ça a été total ! (Rires)… Je suis d’abord tombé amoureux du joueur de violon (rires)… Au bout de trois semaines, je suis tombé amoureux d’une fille… Et de la musique irlandaise, de l’ouest de l’Irlande. C’était absolu. Je suis un cas désespéré.
C’est définitif ?
Je ne sais pas. Pour toujours’, c’est long, tu sais. Mais c’est ici que je vis. C’est mon chez moi, c’est ma maison, je me suis marié à une Irlandaise. Je ne pense pas partir. Je suis vraiment heureux ici, plus heureux que partout ailleurs.
Faut-il faire des efforts particuliers pour être accepté ici ?
Les Irlandais sont très faciles d’accès. Tu te sens comme chez toi. Je ne sais pas si tu es venu auparavant en Irlande, mais ils t’accueillent merveilleusement bien. C’est un pays très chaleureux.
Aucun problème en tant que britannique ?
Non. C’est vrai que c’est étonnant après ces siècles pendant lesquels les Anglais ont été très cruels avec les Irlandais. Tout a été pardonné.
Sauf dans le Nord. Mais ici, les Anglais sont les bienvenus, comme
tous les autres.
Tu n’avais donc rien à prouver ? Dès le premier jour, tu étais comme chez toi ?
Etrangement, ils vous connaissent rien qu’en vous regardant (rires)…
La Grande-Bretagne te manque-t-elle ?
J’ai beaucoup appris depuis que je suis en Irlande. Je vois la Grande-Bretagne très différemment, mais je l’aime beaucoup. C’est vraiment mon pays natal. L’Ecosse me manque, même l’Angleterre. L’Irlande est un pays très décontracté. Je peux voir les changements en Grande-Bretagne dans la mesure où j’ai plus de distance. Elle change beaucoup. Je vois énormément de choses d’ici, de l’autre côté de la mer.
Est-ce pour une raison géographique que l’Irlande est un pays décontracté ? Lorsque j’ai pris l’avion, j’ai vu la mer, la côte. J’ai senti que l’Irlande était très en retrait, comme protégée, à l’écart du monde. C’est un pays qui semble intouché.
Oui. C’est un pays qui existe par lui-même. Il est entouré par la mer. Lorsque vous vous connaissez bien, vous pouvez être plus décontracté. Il y a une grande connaissance de soi en Irlande. Le pays se connaît très bien, mieux que l’Angleterre. Les influences de l’extérieur ont tendance à être absorbées. Les Vikings sont venus, les Français, les Anglais. Ils ont tous été absorbés par le grand esprit irlandais, ou l’âme irlandaise. C’est une âme très forte.
Sur le troisième album des Waterboys, on avait déjà un sentiment de départ.
Exact. Ce n’était pas le fait de ne pas aimer vivre en Angleterre, mais j’avais des problèmes de relation avec le music-business à Londres.
Il fallait sans arrêt aller voir sa maison de disques ; donner des interviews, tout le temps ; faire des shows télévisés, tout le temps.
Je ne devais faire les choses qu’en fonction du music-business. Je ne pensais pas que c’était réaliste. Je n’étais donc pas satisfait. Mais à part ça, j’étais très heureux à Londres, en Grande-Bretagne. A l’époque, je ne croyais pas que j’aurais pu la quitter un jour. Je n’y pensais pas… Pourtant, mes amis écossais me manquaient beaucoup. Ce qui me manquait, c’était une vie sociale. Je passais tout mon temps à travailler pour ma carrière et pour le business de la musique. Lorsque je suis arrivé en Irlande, la première chose que j’ai eue soudain, c’est une vie sociale, des amis.
Dans des morceaux comme Medicine bow ou This is the sea, il y avait déjà l’idée de départ, de rupture avec le passé, de découverte de quelque chose de nouveau.
Je pense, oui. Je ne peux pas me rappeler tout ce qui se passait dans ma tête, mais Medecine bow était plus un état d’esprit que la désignation d’un endroit géographique. C’était de la joie, de la satisfaction. Je ne pensais pas devoir quitter Londres.
Plus jeune, avais-tu déjà cette envie de départ, de fuite ?
J’ai toujours voulu aller dans de nouveaux mondes, me balader, partir à l’aventure. C’est ce que j’aime.
Tu disais bien aimer l’Angleterre. Il y avait pourtant sur This is the sea une chanson très agressive, Old England.
J’aime l’Angleterre. Or j’avais le sentiment qu’elle allait dans la mauvaise direction, qu’elle devenait très égoïste. L’argent devenait plus important, aux dépens de l’idée de communauté, de l’amitié. C’est le sentiment que laissent les années 80. J’avais l’impression que l’esprit de communauté anglais était sacrifié. Tout allait de travers. Il y avait beaucoup de problèmes de drogue dans le pays, de l’héroïne dans toutes les cités et même dans ma ville, à Edimbourg. Dans toute l’Europe, c’est à Edimbourg qu’il y avait le pire problème d’héroïne. Je me disais Mais merde, pourquoi est-ce que personne ne fait rien ?? Pourquoi le succès compte-t-il plus que le fait de préserver un esprit de solidarité,
de garder les gens en bonne santé ? C’était dur à vivre au quotidien…
Je ne suis pas très bon pour formuler ce genre de choses… Tout était fait pour gagner de l’argent, pour s’enrichir, pour le prestige. D’où vous veniez, ce que vous pensiez, ce que vous aviez dans le c’ur ou ce dont vous étiez capable n’était pas très important. L’important, c’était combien d’argent vous arrivez à gagner, à quelle vitesse vous parvenez au sommet.
Avais-tu l’impression de pouvoir faire quelque chose contre ça ?
Pas vraiment. J’ai juste écrit les chansons.
Avec l’espoir qu’elles puissent sonner l’alarme ?
Non, non. Peut-être que certaines chansons l’ont fait. Si vous commencez à écrire des chansons pour ça, ça devient dangereux, on se met vite à prêcher, on risque de péter plus haut que son cul… J’écris la chanson parce que je la ressens. En l’écoutant, on peut en effet dire que c’est une chanson furieuse. J’en avais marre et j’ai écrit la chanson, mais sans me dire Ce que j’écris va changer quelque chose.? J’ai simplement chanté des chansons. Les valeurs d’autrefois, l’hospitalité, l’amitié, la compréhension, la solidarité, sont des choses qui devraient être toujours présentes. Mais je ne pense pas pour autant que ça fasse de moi un conservateur.
Des plumes dans la poche
Pour le premier album, il n’y avait que moi et Anthony Thistlethwaite, le saxo, plus une équipe qui venait de temps en temps. J’expérimentais différents musiciens. Je n’avais pas les moyens d’avoir un groupe à temps complet. Mais, pour le second album, on a commencé à faire des tournées. On a alors déniché Karl Wallinger et Kevin Wilkinson.
Pourquoi ne pas avoir démarré une carrière solo tout au début ?
J’avais l’impression que je devais avoir ce groupe, les Waterboys, que j’en avais besoin. J’étais tombé amoureux du nom, The Waterboys. Il vient du Berlin de Lou Reed, à la fin de The Kids. Je ne sais pas de quoi il parle, mais j’aime le mot.
Lou Reed est donc le père des Waterboys… Dans quelles conditions as-tu enregistré le premier album ?
Il y avait assez de chansons pour quatre albums. Je suis allé en studio et j’ai enregistré cinq ou six chansons en deux jours. Un mois après, j’y suis retourné et j’en ai fait quatre de plus. Un mois plus tard, encore trois ou quatre. J’ai répété ça pendant un an environ. Il y avait une trentaine de morceaux parmi lesquels j’ai choisi avec le type de la maison de disques. Pour A pagan place, nous avons enregistré sur deux périodes : en novembre 82, seize chansons à Londres et en septembre 83, cinq autres au Pays de Galles.
Où sont passées les autres chansons ?
A la cave ! J’aimerais bien faire un album des chansons qui ne sont pas sorties. Il y a une version de This is the sea très rapide, avec Tom Verlaine à la guitare. Elle est formidable. Des guitares qui tuent (rires)… Il existe des milliers de morceaux des sessions de Fisherman’s blues : on allait en studio et on jouait live, on enregistrait parfois dix chansons en un jour.
N’as-tu pas l’impression que d’enregistrer sur une aussi longue période peut affecter tes albums, qu’ils manquent d’unité ?
Oh oui ! C’est arrivé à Fisherman’s blues et à A pagan place. Le dernier album n’a pas eu à en souffrir.
Il y avait une esthétique particulière qui se dégageait des Waterboys, notamment avec ces pochettes intriguantes : on voit ton visage, mais ça reste flou.
C’est une coïncidence. J’avais un certain contrôle, mais il n’était pas absolu. Et si j’étais seul sur toutes les premières pochettes, c’est que j’étais le seul à être en permanence dans le groupe. Les autres membres ne venaient jouer que de temps en temps, excepté Anthony. La maison de disques m a poussé en avant comme si j’agissais seul, mais je n’étais pas à l’aise avec ça. Je voulais avoir un groupe. Il y a donc eu un compromis. Ils me voulaient sur les pochettes, moi je ne voulais pas de pochettes qui me mettent trop en avant. Celle de This is the sea a été choisie parce que c’était une photo formidable : je mettais ces plumes dans la poche de ma veste et c’était comme si j’étais prêt à partir pour Medecine Bow.
Tu avais ton propre label au début ?
Chicken Jazz… Well, ce n’était pas vraiment le mien, c’était le label qui appartenait à mes amis et à moi, avant que je vienne à Londres. Lorsque j’y suis arrivé, j’ai signé sur le label Ensign, qui m a laissé conserver mon label Chicken Jazz. Malgré ça, je n’avais pas carte blanche, ils avaient des idées sur les chansons qui devaient figurer dans l’album, sur celle qui ferait un single, ce que serait la vidéo, combien d’interviews devaient être faites, quel show télévisé faire. On discutait, même si c’était de manière amicale… Mais ils investissaient de l’argent et du temps : ils voulaient qu’on ait du succès. Dans les années 80, il fallait qu’on ait du succès le plus vite possible, l’important était le rendement. Les agents et les compagnies vous poussaient le plus vite possible aussi loin qu’ils le pouvaient. Je ne voulais pas jouer leur jeu, entrer dans les projets des compagnies de disques.
Je pensais qu’au début, tu pouvais faire ce que tu voulais.
Ils ne m imposaient pas les chansons qu’il fallait faire, mais ils discutaient sur le choix, je n’avais pas carte blanche pour choisir. Les deux premiers albums auraient été complètement différents si j’avais eu plus de liberté. This is the sea était totalement de mon propre fait. J’ai tout décidé sur cet album : un contrôle à 100%. Mais sur le premier et sur A pagan place, je n’avais que 60%. Il y a des chansons qui n’y figurent pas, qui pourtant l’auraient mérité. Et d’autres n’auraient pas dû s’y trouver (rires)…
Le succès des Waterboys, à leurs débuts, ne t’a-t-il pas donné suffisamment de plaisir et de confort moral pour faire ce que tu voulais contre le music-business ?
Oh si ! Je faisais ce que je voulais, mais c’était dur. J’ai toujours fait la musique que je voulais faire. Mais avec le premier single, j’ai eu plus de succès en France qu’ailleurs. A Girl called Johnny n’a pas été un hit en Grande-Bretagne, pas du tout : 80e dans les charts ou quelque chose comme ça. Le premier album s’est très peu vendu. C’est seulement avec This is the sea que nous avons eu du succès en Grande-Bretagne. Dès lors, ma liberté s’est beaucoup accrue.
Avant This is the sea, tu n’étais pas capable de décider, de faire ce que tu voulais ?
Si, mais j’ai toujours eu à batailler. Toujours négocier avec les gens, les situations. Avant This is the sea, l’influence des gens était beaucoup plus grande sur moi. C’était plus dur. Il n’y a rien de meilleur que d’avoir du succès auprès du public. Cela vous rend plus fort.
A l’époque des trois premiers albums, on accordait aux Waterboys et à Mike Scott le potentiel de stars. Les Waterboys étaient considérés comme l’un des grands espoirs du début des années 80.
Oui.
A partir de ce moment-là, tu as refusé de jouer le jeu du pop-business.
On essayait de me faire faire beaucoup de trucs qui n’avaient pas grand chose à voir avec la musique. C’était dur. Ce n’est pas que je ne voulais pas devenir une star… Je voulais bien être une star.
N’as-tu pas évité le succès volontairement ?
Pas du tout, pas du tout… Ma musique a pris la direction que je voulais. J’ai simplement fait ce que je sentais devoir faire. Après This is the sea et The whole of the moon, on a beaucoup joué avec des claviers électriques, du gros rock. Si on avait continué, la maison de disques aurait voulu en faire la promotion et des vidéos. Moi, je ne voulais pas… Je n’ai pas peur du succès. Je ne voulais tout simplement pas faire toutes ces choses. Je suis venu en Irlande par hasard et j’ai entendu une autre musique. Je me suis intéressé à la country, au gospel, au folk, des choses auxquelles je m étais intéressé plus tôt mais que j’avais oubliées depuis longtemps. Je me suis plus intéressé à la guitare acoustique qu’à l’électrique. Beaucoup de mes valeurs ont changé. Donc la musique a changé. Ce n’est pas aussi commercial, mais je n’y peux rien, c’est la musique. Pour le plaisir d’avoir du succès, il faut s’adapter à des objectifs. Ça, je ne peux pas.
Ta musique, au début, était puissante et accessible. Ce n’était pas de la musique underground. Est-ce qu’une part de mystère te manquait ? Avais-tu peur d’être trop accessible ? Trop accepté ?
Pas du tout. J’ai toujours fait de mon mieux avec ce que j’avais à portée de main. Toutes les limites à la musique des Waterboys, c’est moi, mes qualités sont celles des Waterboys. Tu vois ce que je veux dire ?… Je fais tout simplement ce que je peux. Je ne dis pas ?Ça va être trop commercial ou trop acceptable … Non, je fais vraiment de mon mieux.
C’est grâce au succès de This is the sea que tu as pu faire ce que tu voulais, notamment passer à Fisherman’s blues sans pressions.
Si tu n’avais pas obtenu ce succès, aurais-tu accepté de tomber dans l’anonymat ? Aurais-tu été prêt à jouer dans les bars, comme la plupart des musiciens irlandais traditionnels’, à oublier la scène rock ?
Je ne comprends pas… Personne ne sait ce qui serait arrivé. Ce qui arrive, arrive.
Vous êtes le seul groupe, à l’exception des Pogues et de Van Morrison, à jouer une musique aussi traditionnellement irlandaise devant 3 000 personnes sur le continent. Tu as beaucoup de chance dans la mesure où tu peux jouer ta musique, la musique irlandaise, et conserver le large public du rock.
Je sais. J’ai toujours voulu jouer de la musique qui pouvait, si possible, me donner une grande audience. Mais je ne joue jamais de la musique que je n’aime pas dans le but d’avoir un plus gros public. Et puis chaque album a vendu beaucoup plus que le précédent… Si le prochain n’est pas aussi efficace que Fisherman’s blues, je serais déçu. J’aime que les choses avancent. J’aimerais jouer dans des endroits de plus en plus grands.
Le fait que tu n’aies pas parlé à la presse depuis des années fait qu’il existe un certain mythe autour des Waterboys. Comment réagis-tu à ce mystère ?
C’est pour moi très difficile de le percevoir, car je n’ai pas de distance.
Mike Scott, l’homme qui ne parle jamais’ : dans le monde musical, tu es l’un des plus célèbres pour ne jamais parler.
C’était important pour moi d’arrêter les interviews, je voulais arrêter ça. (Il souffle)… Ma vie a énormément changé, très vite. J’avais beaucoup à apprendre, beaucoup à faire, je ne voulais pas passer mon temps à parler. Je voulais aller ailleurs et apprendre. Maintenant, je suis revenu et prêt à parler.
Je suis sûr qu’on perçoit la musique des Waterboys différemment parce que c’est un groupe mystérieux, qui ne parle pas. Cela ajoute quelque chose à la musique, quelque chose de farouche.
J’en suis conscient mais je ne sais pas où ça s’arrête, ce que c’est. Je ne suis pas si intelligent que ça (rires)… Je ne voulais pas d’interviews qui soient centrées sur la musique. Je ne voulais pas me voir parler de musique. J’ai eu l’impression que c’est ce qui se passait. Ou bien je disais des choses stupides, comme tout le monde (rires)… Je fais attention à ce que je dis. Je fais vraiment attention. Et puis nous n’avons pas de manager. J’en ai eu un pendant un an seulement, en 85. Je n’en ai eu ni avant, ni depuis.
Le manager est une protection. Ne pas en avoir est une manière de s’exposer davantage. Aimes-tu, d’une certaine façon, faire face à tous ces problèmes ?
Mais j’aimerais bien en avoir un ! (Rires)… Je n’aime pas faire face à tout ça. J’aime avant tout la musique, j’aime beaucoup jouer.
Je ne veux pas me préoccuper de ce que disent les pubs… Je ne veux pas que les choses redeviennent trop dingues pour moi. Car elles l’étaient.
Je dois faire attention aux choses. Je pense que je ne suis pas assez solide en moi pour faire beaucoup d’interviews.
Que veux-tu dire par pas assez solide ?
Je suis un musicien. Je fais des tournées dans le monde entier.
C’est ma préoccupation n°1. Je considère que les interviews sont vraiment des choses à part. Les mauvaises interviews peuvent déprécier la musique. On me parle et me harcèle à propos de choses que je ne comprends pas, ou dont je ne veux pas parler. Lorsque Fisherman’s blues est sorti, je suis parti pour la première fois sur la route depuis deux ans et demi. Je ne savais pas si les gens allaient encore prêter attention aux Waterboys. Je n’avais pas de manager, je devais mener à bien tout l’équipage, avec un groupe de taille importante. Je devais tout organiser, tout faire. J’ai donc décidé de ne me consacrer qu’à la musique. Lorsque j’ai décidé de ne plus donner d’interviews, il y avait une décision consciente : Je ne parlerai pas de la manière dont je fais
la musique . Et si du mystère apparaît, tant mieux. Je ne voulais pas parler de mes chansons. Je me souviens de ce que je ressentais très fortement : une chanson est une chanson. Tout ce dont on a besoin est déjà dans la chanson. Parler d’une chanson, c’est brouiller les cartes.
Pourquoi, cette fois-ci, acceptes-tu de parler ? Est-ce pour des raisons commerciales ou crois-tu devoir quelque chose au public ?
Aucune des deux raisons. Ça me manquait. Ça me manque de rencontrer des gens… Retrouver un peu le monde extérieur.
C’est ma première interview en quatre ans. J’aimerais bien revenir en France, j’ai des projets pour la France. J’ai passé de très bonnes vacances à Paris, en avril. Je me suis marié il y a quelques semaines et juste avant, au printemps, nous sommes allés à Paris. C’était formidable.
On sent que lorsque tu es arrivé en Irlande, tu as enfin pu prendre plaisir à chanter sans analyser.
Oh ouais !!!
Ça a toujours été un trait de ton caractère ?
Oh non ! Je suis toujours en train d’analyser. C’est terrible. J’analyse tout, tout le temps. Beaucoup trop. Mais plus autant qu’avant.
Beaucoup de gens avaient l’impression que Mike Scott agissait comme un enfant gâté, que tu avais de beaux jouets entre tes mains mais que tu ne voulais pas en payer le prix, que tu n’acceptais pas de prendre en compte le business un minimum.
Personne ne doit ça au business. Je ne dois rien à personne. Je ne m’estime absolument pas gâté. C’est complètement faux, complètement faux (rires)… J’étais enfant unique. Donc je ne sais pas
si j’étais gâté.
Que gardes-tu de ces années ? Il se dégage de tes albums une espèce de nostalgie. Est-ce une nostalgie de ces années-là ?
Je ne sais pas. C’est ton impression. Je ne peux pas dire si de la nostalgie ressort de ma musique.
Quelle impression gardes-tu de ton enfance ?
Des centaines, des millions de choses. Je peux me rappeler de tout. J’ai une mémoire formidable pour les années, les mois, les endroits. J’ai tellement de souvenirs… J’ai eu une enfance heureuse… Oh oui !… Du bon temps. C’était vraiment du bon temps. J’ai toujours été assez heureux. Pas de traumatismes. Pas toujours merveilleux, mais ça allait bien. Pas de problèmes.
La musique a-t-elle à l’époque vraiment changé ta vie ?
Oh, bien sûr ! Bien sûr. J’aime les musiciens. Pour moi, ça a commencé au début des années 60, avec les Beatles, She loves you. J’avais quatre ou cinq ans. J’ai commencé à acheter des disques plus tard, avec Sgt Pepper. J’ai été très impressionné par Bob Dylan, plus que par quiconque.
Ses mots et sa musique sont fantastiques mais ses mots n’appartiennent qu’à lui. J’aime beaucoup ses mots. Je n’ai pas vécu sa période mid-sixties. C’est vers 71-72 que j’ai connu Blonde on blonde, Highway 61, Bringing it all back home, Freewheelin’… J’ai tout découvert six ans après, lorsque j’étais assez âgé pour apprécier. Et j’y suis resté fidèle.
Es-tu parfois effrayé par le déclin, la perte d’inspiration ?
Cela m arrive lorsqu’il me semble que je n’ai rien à dire et que je n’ai pas de chansons qui viennent. Cela m’est déjà arrivé de temps en temps.
Je me sens devenir plus vieux, c’est sûr. Mais si vous travaillez dur, ça vient à vous. Je pense que si vous mettez d’autres choses avant la musique, vous perdez un peu en musique. Mais si vous conservez le caractère pur de la musique, alors vous y êtes. Il y a un écrivain anglais, Robert Graves, un poète… Il a écrit The white Goddess, un livre formidable sur la mythologie, une sorte d’encyclopédie de la mythologie. Graves disait que toutes les décisions importantes de sa vie étaient bénéfiques à son écriture. Je suis certain que la plupart des décisions majeures prises par Bob Dylan ont eu une influence sur son écriture. Les grands écrivains prennent des décisions qui les rendent capables d’écrire des choses formidables.
Toujours le bon moment
Tous les albums des Waterboys étaient non pas prétentieux mais… sophistiqués. Le nouveau, Room to roam semble beaucoup plus simple.
Il ressemble à un album solo, le groupe est très en retrait. C’est beaucoup plus intimiste.
Nous l’avons enregistré très vite, en trois ou quatre mois. Contrairement à Fisherman’s blues, qui a nécessité une très longue période. Il y a eu tant de changements entre This is the sea et Fisherman’s blues. Toute la musique que nous jouions a changé, les violonistes se sont joints à nous. Notre vie a changé.
Etait-ce aussi parce que tu es excessivement exigeant ?
Oh non ! Mon Dieu !… Si j’avais su ce que je voulais, Fisherman’s blues serait sorti beaucoup plus tôt (rires)… On a commencé à faire des dizaines de choses nouvelles. On avait suffisamment de musique country-western pour en faire un album, ou assez de piano pour en faire un album de blues, ou un album de folk traditionnel, ou de folk-rock. On aurait pu en faire quatre. Je ne savais pas quoi faire.
Room to roam est un disque plus sage.Ton trajet est comparable à celui de quelqu’un comme Van Morrison, un homme en colère qui devient plus serein.
Vous jouez d’une manière plus agressive lorsque vous êtes plus jeune. Vous faites tout de manière plus sauvage et agressive. Et puis le punk était apparu. Tout était assez agressif. Ça faisait partie de mon passé… J’étais un grand fan de Clash.
Les Pale Fountains, en activité à l’époque des débuts des Waterboys, expliquent leur échec par le fait qu’ils étaient arrivés au mauvais moment, que l’environnement n’était pas propice. Il existait également un fossé entre ta musique et l’atmosphère synthétique de l’époque.
Tout était parfait pour les Waterboys. La mauvaise musique pour le mauvais moment, ça n’existe pas. C’est toujours le bon moment. Je me demandais toujours ce que Spandau Ballet faisait dans les charts, il y avait tous ces groupes… Duran Duran…. Je me disais alors Mon Dieu, je suis arrivé au mauvais moment.? Puis, plus tard : Je dois pouvoir passer outre cette époque. Objectivement, je ne vais pas être n°1 cette année (rires)…
Aimes-tu cette hostilité, être un peu à l’extérieur ?
Non. Non. J’aimerais bien être Bruce Springsteen (rires)… Le rêve !
Des millions de gens qui achèteraient mon disque, me permettant absolument ce que je veux, les albums que je veux, de jouer exactement la musique que je désire jouer ! Ça m irait.
Beaucoup de musiciens passent par les Waterboys puis repartent. Cela signifie-t-il que tu n’es pas fidèle ? Est-il difficile de rester avec toi ?
(Rires)… Beaucoup de musiciens qui jouent avec les Waterboys sont partis de leur plein gré. J’en ai viré d’autres parce qu’on n’avait plus besoin d’eux, en tant que musiciens, à ce moment-là. La musique du groupe a changé. Mais Anthony est dans le groupe depuis toujours.
Tu écris tout, tu as une forte personnalité. Ce n’est peut-être pas évident pour les gens autour de toi.
Je ne le pense pas. Tu peux les questionner. On s’entendait bien, nous sommes presque tous encore amis… Mais la musique du groupe change.
Si on établissait une liste, ils seraient au moins vingt-cinq à être passés par les Waterboys.
Oh mon Dieu ! Il y a probablement vingt-cinq autres personnes que tu ignores (rires)… En 83-84, j’avais dit que je voulais avoir un groupe qui change tout le temps. C’est ce que j’ai, ça change tout le temps. J’aime les changements. J’aime changer.
Tu ne ressens aucune tristesse lorsque les gens partent, quittent la famille ?
Parfois. Mais si on reste amis, ça va. Quatre membres des Waterboys viennent de partir, après l’enregistrement de Room to roam. Tous les musiciens traditionnels sont partis, tous les instruments ethniques. Sont restés la guitare, la batterie, le saxo, le piano, la basse et l’orgue. C’est donc plus rock. Lorsqu’on viendra en France, les gens peuvent s’attendre à entendre All the things she gave me, Savage earth heart, Be my enemy, beaucoup de rock.
Désirais-tu le retour au rock ?
Non (rires)… J’avais prévu de jouer de la guitare, plus de guitare sur Room to roam, notamment sur Island man ou Life on sunshine. Il y a un peu de guitare électrique et j’ai été assez heureux d’en jouer. Et puis les instruments traditionnels ont quitté le groupe. Il était évident que ça allait changer. La guitare électrique était pour moi l’instrument à jouer.
Est-ce que le caractère rock te manquait ?
Non. Je me focalisais sur le folk et la musique irlandaise. J’aime toujours la musique irlandaise. Je voulais vraiment faire cette musique. Ce nouveau changement est dû à un désir et à des raisons pratiques. Notre violoniste est parti car il sentait revenir le rock. C’est un retour de fait. Je n’avais pas le choix.
Archives du numéro 25 (septembre 1990)
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