Le Casino tente depuis deux ans d’initier les Luxembourgeois aux plaisirs de l’art contemporain.
Un pinceau à la main, une araignée achève de faire briller sa toile. Un insecte silencieux et patient, la peau blanche comme du lait sous sa chevelure rouge. Simone Decker achève de tisser les rubans adhésifs de De quoi s’occuper : un noeud compact de bandes rouge, jaune et bleu, plaquées au mur d’une pièce devenue impraticable, coupée du monde extérieur par cette occupation multicolore. Travail obsessionnel et quasi autistique, qui rappelle une précédente installation de la jeune Luxembourgeoise : une paroi de bonbons agglutinés les uns contre les autres, dûment léchés par l’artiste. « C’est tellement obsessionnel et tellement absurde », explique-t-elle, c’est le genre de boulot que j’aime bien faire. Un travail sur la frustration et l’occupation d’espace. J’ai pris ma place. » Non pas une performance mais « quelque chose de très familier, comme la répétition des tâches ménagères ».
A quelques mètres de là, elle a dressé une cabane en papier collant. Une fois à l’intérieur des quatre murs transparents, le visiteur se retrouve piégé comme une mouche, les pieds fixés au sol par une glu invisible. Un piège à insectes pour humains, sournois et angoissant, méchamment intitulé Pavillon. « Ici, chacun a son pavillon de chasse », un symbole du confort et de la tranquillité du pays. « Il n’y a pas plus conservateurs et plus bourgeois que les Luxembourgeois. » Bienvenue à Luxembourg. Car les pièges de Simone Decker attendent leur proie au Casino, centre d’art d’une ville bordée de banques et de sièges de compagnies d’assurances. Loin de toute radioactivité artistique notable.
Le Casino-forum d’art contemporain s’est ouvert il y a deux ans à Luxembourg, dans un pays dépourvu jusqu’ici de musée d’art moderne. Et pour cause : dans un Etat aussi petit, rien ne différencie un artiste local (sculpteur sur verre, peintre du dimanche) d’un artiste national. John Armleder, « star » de l’actuelle exposition du forum, est suisse. Lorsqu’il parcourt les salles du Casino, il secoue la fine natte qui lui longe le dos et sourit. Autour de lui, les murs rigolent et les parois crissent. Des rangées de pois, de cibles sphériques, de silhouettes de rat jurent avec le pull grenat et les petits canards de la cravate de l’artiste. Cette rétrospective de Wall paintings fait le tour de 30 ans de peintures murales, depuis les premiers murs blancs sur fond blanc des années 60 aux tout récents Smileys (en référence ironique au travail du Britannique Damien Hirst). « Au début, je travaillais sur le mur comme surface. Ici, mon travail est plus ornemental. Ces Wall paintings posent le problème du décor, de la superficialité du signe. Comme la vitrine d’un magasin. Ou comme un catalogue de papiers peints, avec ce malaise : on ne sait pas comment le motif se répétera. » Fin provocateur et épris d’absurde, John Armleder poursuit un travail subtil oscillant entre le kitsch le plus cynique et la retenue la plus austère, l’imperceptible. « J’ai repeint les murs d’une galerie de la même couleur, en Suisse, sans le dire. C’est important car je suis toujours confronté aux extrêmes de ma pratique. Une oeuvre n’existe que si elle est partagée. C’est absurde de faire un travail qui ne se voit pas. C’est fascinant. Parce que la plupart des choses que nous faisons passent inaperçues. Ce qui en fait de l’art, c’est l’affichage des intentions. » En plein centre-ville, à quelques mètres de la vallée de la Pétrusse, encaissée et brumeuse comme dans un conte de Grimm, John Armleder se prend à rêver. Et évoque « quelque chose d’inapprochable, quelque chose qui n’existe pas, le n’importe quoi absolu : ce serait idéal pour un artiste professionnel de décider de devenir amateur, un peintre du dimanche ».
Jade Lindgaard