Le lundi 9 février, Vincent Delerm jouera à La Cigale. Pierre Siankowski nous explique pourquoi il ira au Buffalo Grill à la place. Un pavé bien saignant dans la mare ?
Vincent Delerm je peux pas. « Ah Vincent Delerm mon pauvre mais tu peux pas écouter ça tu vas tomber malade», voilà ce que je dis quand on me parle de lui. Mais le pire c’est que je n’avais jamais vraiment « écouté-écouté » Vincent Delerm comme on dit. J’avais juste vu ou entendu quelques chansons à la télé, la radio ou sur des compils des Inrocks ; et dans le désordre j’avais fait un malaise vagal, une otite, et un début de panaris. Et je restais sur un truc de mauvaise foi totale genre j’aime pas à la base et je surjoue le truc à fond pour faire le malin. Je disais : « Han j’ai connu un mec il a écouté Vincent Delerm et il est mort ». Ou : « Han j’ai vu un clip de Vincent Delerm et j’ai mon bras qui s’est cassé ».
Tout le monde me disait « oh arrête t’es nul » en plus si tu le rencontrais Vincent Delerm tu l’aimerais bien il lit L’Equipe tous les jours (il paraît même que le type est capable de vous envoyer des SMS fous avec des joueurs de foot oubliés style Jean-Louis Bérenguier ou Pierre Haon, ce qui est un signe positif en effet). Une fois j’ai passé tout un match à côté de Vincent Delerm (Lille-Manchester United au Stade de France à l’époque ou ces clampins de Lillois jouaient la Champions League sans avoir de stade digne de ce nom ; ceci dit ils n’en n’ont toujours pas mais au moins ils ne jouent plus la Ligue des Champions comme quoi Claude Puel) et donc pour revenir à ce qu’on disait, je n’ai pas osé lui parler à Vincent Delerm, et d’ailleurs je me souviens qu’un collègue m’avait dit « tes vraiment un pleutre Pierrot » et j’ai trouvé qu’il avait raison.
Ouais bon je suis un pleutre c’est vrai mais comme ma santé est plutôt bonne en ce moment (je dis ça mais je suis sûr que j’ai un truc dans le fond) donc j’ai décidé, pour ne pas dire n’importe quoi (enfin pas totalement) dans cet article, d’écouter Vincent Delerm une bonne fois pour toute pour être sûr. Ça m’est venu l’autre jour quand j’ai vu l’affiche de son concert à La Cigale je sais plus où. Je me suis dit « mon dieu mais plutôt finir tout seul dans un Buffalo Grill à se saouler à la manzana en attendant de se faire virer par le gérant franco-portugais que d’aller là-bas ». Et en me disant ça je me suis dit que j’avais un truc à régler avec Vincent Delerm sans doute. Alors j’ai écouté ses disques et pour vous dire la vérité c’est bien pire que ce que je pensais. Et j’ai compris pourquoi moi et Vincent Delerm on serait jamais copains d’oreille. C’est parce que chez Delerm, il y a cette volonté un peu mélancolique de reconstruire le monde par petites touches.
Ses chansons comme ses albums fonctionnent comme des petits mécanos nostalgiques. C’est : un peu de filles de 1973 + un petit souvenir de Fanny Ardent + la première fois que j’ai été acheté un lit chez Ikéa avec une meuf + mes souvenirs d’échanges linguistes en Angleterre + les jambes de Madame Ropert ma prof de Sciences Nat au Lycée Edouard Herriot + les films de Louis de Funès que je regardais avec mon pépé + la première sélection de Didier Deschamps contre la Yougoslavie.
Il n’y a aucune vision chez Vincent Delerm, comme il peut y en avoir chez des types comme Dominique A ou Julien Baer, ou plus largement chez des Houellebecq ou des Despleschins (qui sont d’ailleurs tous les deux certainement foncièrement moins sympathiques que Delerm, et vraiment pas le genre à vous envoyer un texto avec Patrick Cubaynes écrit dessus). Tout est dans le rétro, rien ne se perd, mais absolument rien ne se transforme, on est dans une reconstitution brute de l’existence un peu ennuyeuse d’un trentenaire mou du genou. Et c’est cet enfilage petit bras de perlouzes vintage qui me pose problème.
On peut aimer ça chez Georges Pérec, parce qu’il y a une vraie exigence de style, qui est malheureusement absente chez Delerm. Le gars Vincent joue toutes les chansons sur le même mode, en chantant avec sa petit voix souffreteuse style « je me remets d’une angine », tournant en boucle et en rond dans son univers suranné et reconstitué. Ecouter Vincent Delerm, c’est comme feuilleter tous les jours son vieil album photo, recevoir ses amis de fac et écouter ce sempiternelle morceau de Pulp qui vous faisait kiffer à l’époque, aller toujours au même resto et prendre toujours le même plat, se repasser toujours la même scène d’Il était une fois dans l’Ouest en se disant han elle est était bien Claudia Cardinale quand même. Il y a un truc figé. Vincent Delerm ne s’appelle pas demain. Ils seront certainement beaucoup à l’applaudir à La Cigale, je serai peut-être tout seul au Buffalo Grill. Et dans le fond je ne sais toujours pas qui a raison.
Lire la réponse de Christophe Conte à propos de Vincent Delerm: Vincent Delerm plutôt que le Buffalo Grill.