Le meilleur groupe electro des années 2000 a donné son concert d’adieu au Madison Square Garden. Dress code : noir et blanc. Tempo : envoûtant. Récit.
Il l’avait dit à plusieurs reprises : il arrêterait quand il aurait 40 ans. On préférait ne pas y penser. Et puis, c’est arrivé. Après à peine trois albums (d’ores et déjà cultes), dix ans d’existence et arrivé à l’apogée de son art, savant mélange de rock furieux et d’electro hypnotique, James Murphy a officiellement mis fin à l’extraordinaire aventure de LCD Soundsystem. Un jour maudit de début février, le chanteur a posté sur son blog un mot d’adieu : “On arrête, on passe à autre chose…” Fin du groupe electro le plus important des années 2000.
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Dans la foulée, il annonçait un ultime concert avec “ses amis et sa famille” au Madison Square Garden de New York. “Pour une dernière soirée, nous jouerons des choses que nous n’avons jamais jouées avant, histoire de ne pas partir sans bruit.” La nouvelle fit le tour de la toile et les places, bon marché, disparurent en quelques secondes… pour être revendues sur le net à des sommes astronomiques. L’affaire fit polémique, Murphy insultant les “brokers” de tickets : “Allez vous faire foutre, espèces de parasites !”
Il décida finalement d’ajouter quatre concerts de chauffe, dans la salle du Terminal 5, les jours précédant le grand soir, pour les milliers de fans qui s’étaient retrouvés sur le carreau. En ce samedi soir, c’est donc avec une impatience fébrile qu’on attendait l’ouverture des portes. “Venez habillés de noir, ou de blanc. Ou de noir et blanc”, avait suggéré Murphy. Un code vestimentaire respecté à la lettre : aucune couleur dans la foule. Cravates blanches sur chemise noire, vestes, costards : les références au chanteur sont claires. Des hurluberlus sont même déguisés en pandas, comme dans la vidéo Drunk Girls, signée Spike Jonze.
20 h 40, on pénètre dans le gigantesque Madison Square Garden. Après une première partie des vétérans Liquid Liquid, LCD Soundsystem apparaît. Dance Yrself Clean déclenche les hostilités. Tous les instruments, dont une gigantesque console où trône le synthétiseur de Nancy Whang, sont d’un blanc immaculé. Au premier plan, ce qui fait l’ADN du groupe : trois batteries. Murphy, costard noir et pompes blanches, est en retrait derrière Pat Mahoney. “C’est un moment très étrange pour nous et j’espère qu’il en sera de même pour vous”, lâche-t-il.
Dès Drunk Girls, la salle entière est debout. La magie LCD est là : ce son qui se déploie peu à peu, ce tempo qui s’accélère au fur et à mesure, envoûtant. Mon voisin de gauche, Howard, 60 ans, cheveux longs et petite barbe blanche, est de tous leurs concerts. “Ils ont cette façon de bouger”, explique-t-il en faisant des pirouettes sur lui-même, pris d’hystérie quand résonne Daft Punk Is Playing at My House. 21 h 30. Phil Mossman, guitariste de la première mouture de LCD Soundsystem, rejoint le groupe sur scène pour Too Much Love. Impossible de ne pas sentir la fumée de marijuana qui flotte.
Pendant la pause, une vidéo est projetée sur deux écrans géants. Tom, le frère de Murphy, commente la performance de son cadet : “Je pense que, jusqu’à présent, James assure.” 22 heures. Début du deuxième acte. Sur une plate-forme à gauche de la scène, une quinzaine d’hommes argentés forment une chorale. A droite, des projecteurs éclairent deux vaisseaux spatiaux, l’un octogonal, l’autre rond. Dans chacun, un personnage peinturluré, aux allures de robot. Howard, qui a capté mon accent français, me demande si, à mon avis, ce ne serait pas les Daft Punk. Il s’agit en fait de Shit Robot et de Juan MacLean, deux acolytes de longue date de Murphy, signés sur son label DFA.
Ils entament le sidérant 45:33, qui s’étale et se déconstruit, magnifique, tandis que les robots lunaires délivrent des messages subliminaux, d’une voix métallique. Quand le performeur Reggie Watts entre sur scène et se met à hurler dans un charabia incompréhensible, on se demande si l’on n’assiste pas à un pétage de plombs collectif. “Il y aura des surprises, des choses étranges”, avait prévenu Murphy. Celui-ci continue à danser, d’une façon de plus en plus saccadée, presque burlesque, comme dans un film muet de Charlie Chaplin ou de Buster Keaton dont se serait emparé un VJ inspiré.
23 heures. Dernier acte d’une soirée inouïe. Changement de décor : une gigantesque boule à facettes a été accrochée au-dessus de la scène. Ces types ont-ils pris des amphétamines ? Leur énergie est inépuisable, à l’image d’un Pat Mahoney dont la batterie s’emballe, à une vitesse que seule une boîte à rythmes semblait capable de soutenir. Murphy entame Us v Them : “The time has come today.”
23 h 10. Un type déguisé en panda est poursuivi par des flics. Il tente d’atteindre la zone VIP, mais est rattrapé avant. 23 h 15. Murphy présente ses choristes pour North American Scum : “trois musiciens originaires du Canada” qui ne sont autres que les garçons d’Arcade Fire ! Sur Bye Bye Bayou, la soirée dégénère en rave, des flashs rouges lumineux balaient la salle, rivalisant avec les guitares saturées. 23 h 30. Ce ne sont plus neuf ou onze minutes que dure chaque morceau, mais quinze. Le morceau qui avait révélé le groupe, Losing My Edge, commence comme une boucle hypnotique. La machine LCD nous propulse dans le futur de la musique, une expérience qui consiste à repousser sans cesse ses propres limites.
23 h 50. Bodysurfing. Un homme monte sur des épaules et se jette dans la mer humaine. Il y a 19 000 personnes au Madison Square Garden et chacune d’entre elles semble prise d’une frénésie de folie douce. Et puis, noir total dans la salle. Nancy Whang joue les premiers accords de la BO de Twin Peaks ; Murphy encourage à applaudir chacun de ses musiciens, qu’il présente tour à tour, comme pour s’assurer de sa succession. “C’est un peu tragique, là, c’est la fin”, ajoute-t-il, tâchant de rigoler. D’un coup, Murphy fait penser à Sinatra, fragile devant son micro, qu’il tient au plus près, à deux mains.
Il ferme les yeux pour un dernier morceau, New York I Love You…, éloge doux-amer d’un temps révolu. Des milliers de ballons blancs tombent du ciel, cachant le groupe qui quitte la scène. Megan Steinmnan, fan de la première heure, commente cette soirée magique : “Il y a eu ce moment sur Jump into the Fire, où chaque instrument s’ajoutait au-dessus de l’autre jusqu’à que l’on soit pris dans une gigantesque vague de son. Le LCD se sépare, mais leur musique va continuer d’exister à travers leurs différents projets. Ce n’est pas triste, c’est excitant.”
Dès ses origines, la fin du Soundsystem était inscrite dans la raison d’être du groupe. Au fond, James Murphy a eu la chance d’avoir du succès sur le tard : il ne s’est jamais bercé d’illusions quant à son destin de rock-star trentenaire. Toute son oeuvre est traversée par cette incertitude, “la déception et l’ennui”, qu’il a souvent avoué ressentir dans une industrie de l’entertainment de plus en plus prévisible. “Il est temps de s’en aller”, se justifiait-il déjà dans Time to Get away. Le lendemain, une femme, habillée en noir, dans un restaurant du Lower East Side. En partant, on aperçoit son sac avec la tête du panda de LCD Soundsystem. Elle aussi pourra dire : “J’y étais.”
L’intégralité du concert peut se voir sur YouTube, notamment à cette adresse.
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