Une foule bronzée et élégante, des litres de vin, des pas de danse extatiques et beaucoup de bonheur. Comme chaque année, Calvi on the rocks a servi des magnums de souvenirs inoubliables à quelques milliers de festivaliers. En marge de son succès, l’événement a eu un impact indéniable sur la population locale.
C’est un sentiment difficile à décrire. Souvent, lorsque le bonheur paraît proche, le cœur se crispe, l’estomac se noue, et l’on reste hébété, craintif. Cette sensation, les habitués de Calvi on the rocks connaissent. Heureusement, la peur paralysante de la joie totale est rapidement lavée par des beats suaves et quelques verres de rosé.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Photo Calvi On The Rocks
Après une marche rapide, pieds nus dans la pinède, on traverse un chemin de fer où glisse la Micheline, petit train pittoresque chéri par les touristes en sandales, avant d’atterrir sur une des quatre plages muées en dancefloor à ciel ouvert pour l’occasion. Là, sur le sable fin, dans une eau paradisiaque, des centaines de jeunes gens aux sourires béats, beaux comme dans un numéro de Vogue Italie, dansent, flirtent, boivent et nagent sans penser au lendemain.
En fond, dans la baie de Calvi, la citadelle, imposante et magnifique, bâtie par les Génois au XVe siècle donne un sentiment d’authenticité à ce bourg du nord-ouest de la Corse. Ce cadre fou a vu défiler depuis 2003 le gotha de la musique électronique mondiale. Sur la plage, on se souvient du live-massage cardiaque de Nicolas Jaar, caressant après trois jours de liesse une foule froissée par les excès. On se souvient de Pedro Winter, et sa tradition de pousser ses troupes à l’eau au son de l’hymne de Justice, Panthom Pt. II.
Vintage on the rocks / Photo Calvi On The Rocks
Puis on voit passer les fantômes de Kate Moss, en lune de miel, de Birdy Nam Nam et leurs gamins qui barbotent et surtout de James Murphy, flânant dans les ruelles. Pendant des années, le leader de LCD Soundsystem était abonné au festival qu’il ait une promo à assurer ou non. En 2007, il révélait : « J’ai une règle : tous les ans je dois aller au Japon. Et tous les ans je dois aller à Calvi. Ça te ramène à la vie. »
Pè a Corsica
Dans la vidéo teaser, les membres de LCD Soundsystem parlent du cadre de ce festival loin de la bouffe de cantine et des flaques de boue. La Corse, son cadre, son art de vivre, c’est ce que les fondateurs du festival, Jean-Marie Tassy et sa tante Pierra Simeoni, originaires de Calvi, ont toujours cherché à promouvoir. C’est du moins ce qu’assure leur assistante, Xavina Acquaviva.
Elle reconnaît pourtant que l’événement est souvent vu par les locaux comme « un festival de Parisiens ». Il faut dire que pour beaucoup, le vrai visage d’On The Rocks est celui de Lionel Bensemoun, ancien co-organisateur et fondateur du Baron, le célèbre club privé parisien dont l’équipe de DJs officiait comme quasi-résidente du festival pendant des années. Les « accusations » de parisianisme s’accentuent au début des années 2010, alors que l’événement, victime de son succès commence à perdre son cachet intimiste et familial.
« Jean-Marie s’en est rendu compte et a décidé de tout miser sur l’esprit corse et la dolce vita. On a ralenti le rythme sur les plages l’après-midi, pour monter crescendo. Ça a eu un prix, mais ça a ramené les habitués. » explique Xavina Acquaviva
Dans cette optique de corsisation, les éditos du festival sont ponctués de quelques mots en langue corse. Des formules faciles telles « À prestu » (à bientôt) ou « Ghuventù, ghjuventù, una volta é po’ mai più » (Jeunesse, jeunesse. Un fois puis plus jamais). En 2013, Tassy décide aussi de tuer une critique dans l’œuf en programmant plusieurs artistes issus de la scène électronique corse. Une expérience renouvelée à chaque édition.
Photo Julien Weber
Patron du premier label indie de l’île, Sons of Beaches, Arnaud Castelli et son groupe AFDC & The Magpies transpiraient sur leurs synthés le 9 Juillet dernier au théâtre de verdure. Là où les héros belges de Soulwax bastonnaient la foule quelques nuits plus tard. Pour le jeune producteur, l’apport de Calvi à la culture musicale est immense :
« Calvi a permis à mes oreilles de bourrin fan de Led Zep de voir que la musique pouvait se faire d’autres façon en procurant les mêmes émotions. C’est un déclencheur de pouvoir assister à un live de Metronomy, de LCD Soundsystem. Pouvoir découvrir ça jeune, dans une île où l’offre musicale reste pauvre, ça ouvre des horizons. »
Exemple plus frappant encore de l’influence du festival, le cas de Jean-Patrick Simonetti et Anthony Ferrando, alias Les Petits Pilous, groupe phare de feu la scène MySpace. Aujourd’hui en solo, sous le nom de Workerz, « Jean Pat » se souvient de son « premier Calvi », en 2006 :
« J’étais à la rivière chez moi dans le cap Corse et j’avais vu que Para One jouait dans un festival que je ne connaissais pas du tout. Nous sommes partis en maillot de bain sans trop savoir à quoi s’attendre. Ce fut une vraie surprise : un cadre idyllique, des gens détendus, beaucoup d’anglophones, quelques odeurs de weed à moins de deux heures de mon village. »
En se rendant à Calvi par hasard, Jean-Patrick ne se doutait pas que sa vie allait changer. « Para One était implacable. Dès la fin de l’événement j’ai décidé de faire de la musique, ça a été un élément déclencheur. J’ai pris une vraie gifle. J’avais 18 ans et 10 ans plus tard je produis toujours de la musique, j’ai eu l’occasion de rencontrer des gens incroyables, de mixer dans de nombreux pays et de vivre de ma passion. »
Fantasmes et craintes
Si Arnaud et Jean-Patrick sont reconnaissants, Calvi on the rocks peine pourtant à séduire l’ensemble de la jeunesse corse. À chaque printemps, on débat encore dans les bars de Bastia ou Ajaccio de « monter » ou non à Calvi. Certains y sont carrément opposés, voyant dans la manifestation une sorte de conférence pour drogués. Un écueil qu’Ange Santini, maire de Calvi et ancien président UMP de l’exécutif à l’Assemblée de Corse, balaie avec flegme :
« On fantasme beaucoup sur Calvi on the rocks. Il y a, c’est vrai, quelques difficultés liées à une jeunesse qui est là pour s’amuser, mais pour en avoir parlé avec les forces de l’ordre et à l’hôpital, on ne peut pas dire qu’il y ait eu des difficultés insurmontables. »
Autre critique : la pollution des plages. Des images de débris de canettes d’Heineken flottant dans l’eau attiraient récemment l’ire des réseaux sociaux. Mais Xavina Acquaviva se défend :
« Nous sommes corses, on aime tous la nature. Les patrons des bars sont catégoriques : ils veulent rendre les plages dans le même état qu’avant le festival. À la fin de la journée, il y a forcément des mégots et des verres qui trainent, mais tout est nettoyé et le lendemain allez-y, c’est nickel. »
Selon Xavina Acquaviva, le souci d’attractivité sur l’ensemble des Corses est plus abstrait.
« Les gens qui ne sont jamais venus pensent qu’il s’agit d’un simple concert où l’on va boire une bière. Non. Il y a un travail de scénographie, des techniciens et des artistes connus mondialement, même s’ils ne parlent pas forcément à tout le monde. »
Photo Calvi On The Rocks
En gros, ceux dont la culture est trop éloignée de celles des amateurs de nu-disco norvégienne ont parfois du mal à faire le pas. Fréquenté par un public aisé, pointu et qui pense son look de festival des semaines à l’avance, Calvi peut impressionner. Dans le sillon d’On The Rocks, plusieurs festivals à taille humaine ont été lancés par des grognards des nuits d’ivresses calvaises. Plus destinés aux locaux, le Cargèse Sound System, le Porto Vecchio Festival et le Widen Festival, à Bastia ont tous pour but de promouvoir la culture électronique sur l’île.
Fille de François Sargentini, militant indépendantiste et élu à l’Assemblée de Corse, Lulina Sargentini fait partie de l’organisation du Ballà Boum Festival, dont la première édition réunira en août slow food et Flavien Berger. Pour elle, le « modèle Calvi » n’est pas le plus à même pour attirer la frange de la jeunesse corse encore réticente à la culture électronique.
« On a envie que tout le monde soit intégré, que les gens se sentent à l’aise. Ballà affiche une volonté de s’amuser dans un cadre bucolique, sympathique, intimiste. Comme à Cargèse Sound System où beaucoup de locaux sont allés dès la première édition. On voulait démontrer que nous étions capables d’amener de la bonne musique tout seul. »
Malgré la différence de moyens, l’époque et des détails sur la démarche, Calvi on the rocks et les nouveaux festivals corses ont le même objectif : faire danser, rêver, jusqu’à redouter l’arrivée imminente du bonheur total.
{"type":"Banniere-Basse"}