Depuis le naufrage de son flamboyant House Of Love dans le jus de boudin, on avait perdu la trace de Guy Chadwick. Il revient avec Lazy, soft and slow, album doux, lent et indolent mais jamais paresseux, où il assume son âge et ses péchés, pour une poignée de chansons sans lieu et sans époque.Tout […]
Depuis le naufrage de son flamboyant House Of Love dans le jus de boudin, on avait perdu la trace de Guy Chadwick. Il revient avec Lazy, soft and slow, album doux, lent et indolent mais jamais paresseux, où il assume son âge et ses péchés, pour une poignée de chansons sans lieu et sans époque.
Tout le monde aurait mangé dans la main de House Of Love il y a sept ou huit ans. Mais à partir de 91, le nom s’effacera lentement, comme un graffiti au soleil, de la mémoire du rock, ce vieil amnésique. Ne reste aujourd’hui que quelques tubes The Beatles and The Stones ou Shine on et un vague cafard. Espoir déçu, rencontre ratée, promesses mensongères : on en voudrait presque au groupe pour ses faux bonds, pour avoir laissé entrevoir ses délices pour cruellement les soustraire ensuite. Les moins charitables d’entre nous ne pardonnent même pas à Guy Chadwick d’avoir aujourd’hui l’air si vieux, les épaules si voûtées et de les transporter sept ans en arrière. « Has-been », les entendra-t-on dire. Les chansons de Lazy, soft and slow sont à l’image actuelle de leur compositeur : vieillies pas vieillotes mais pourtant en forme, fragiles mais déterminées. « Quand House Of Love s’est séparé, après la sortie de notre quatrième album, Audience with the mind, j’étais dans un état psychologique désastreux, complètement déprimé, je n’avais aucune motivation, aucun enthousiasme. Il fallait que je m’arrête. Je suis resté au lit pendant deux ans. Je ne savais pas si j’allais refaire de la musique un jour. Je ne ressentais même pas le besoin de jouer ou de composer, j’étais juste terriblement déprimé. J’ai mis à peu près trois ans à m’en remettre, en lisant et en voyageant. Je suis pas mal resté au Moyen-Orient, Egypte, Jordanie mes parents vivent à Chypre. Dans un pays étranger, on vit très différemment, on ne pense pas à la musique, ni à l’Angleterre. Voyager m’a fait beaucoup de bien. »
Pas de chance ou mauvais sort, bonne musique au mauvais moment, on se demande encore comment le grand espoir du rock indé anglais de ces années-là a pu s’offrir une fin aussi déliquescente et minable. Avec un éclair doux amer dans le regard et une bonne dose d’ironie, Guy Chadwick reconnaît avoir eu dès l’enfance des prédispositions à une tristesse et une déprime chroniques un lourd petit baluchon pour démarrer dans la vie. Fils de militaire trimballé du luxuriant Singapour à la tristounette Angleterre à l’âge de 6 ans « J’ai été traumatisé, un vrai choc » , Guy Chadwick passe son adolescence en pension pour lui éviter les déménagements successifs. « A 14-15 ans, j’étais déjà très déprimé (rires)… Je n’étais pas un enfant normal, je n’étais pas heureux et je n’étais pas bon à l’école. Vers 16 ans, comme je voyais que je ne réussissais pas en classe, j’en suis parti. J’étais un adolescent solitaire et jusqu’à 20 ans, la vie fut très dure. Je ne faisais pas grand-chose. Enfant déjà, je ne savais pas ce que je voulais faire, j’étais un vase vide. » Jusqu’à ce que son oncle lui mette une guitare entre les mains. N’ayant rien de mieux à faire de sa vie, Guy Chadwick apprend à en jouer, commence à écrire et enregistrer des chansons « Je n’ai plus pensé à rien d’autre depuis. »
Curieusement, la petite teigne qui s’ignorait jusqu’ici dans les tréfonds de Guy se réveille au contact d’amis musiciens. « J’ai tout de suite vu que je pourrais trouver là une ambition que je n’avais jamais envisagée. J’ai beaucoup changé, je suis devenu sans pitié. Il faut être dur et cruel dans un groupe, il faut se faire entendre. J’ai donc rejoint ce groupe, foutu tout le monde dehors et recruté de nouvelles têtes. C’est drôle, non ? C’est comme ça qu’il faut agir, pas de salut dans la musique. » Un peu à l’image d’un vieillard faible et expirant qui fait pitié jusqu’à ce qu’on le voit frapper ses petits enfants mesquinement avec sa canne, Guy Chadwick paraît subitement moins désarmé que l’on aurait pu le croire et surtout plus rigolo.
Ainsi bien engagé dans une carrière de pop-star la dépression et l’arrogance étant des atouts non négligeables en musique , Guy Chadwick forme, par petites annonces, « de façon théorique et artificielle » House Of Love en 86. Signature chez Creation, bonnes rumeurs dans la presse, grandes ambitions, le terreau paraît fertile à la gloire. « Les deux premières années du groupe, très créatives, furent géniales. On s’entendait bien, on savait qu’on était bons, j’écrivais tout et j’étais confiant en ce qu’on faisait. » Déjà pourtant, quelques ombres hantent les pensées dorées de Guy. « Quand notre premier album est sorti, je n’étais pas satisfait des réactions, ni de nous-mêmes. On aurait pu faire mieux plus tôt. A l’époque, on avait déjà perdu un membre très important, Andrea Heukamp, qui donnait une énorme personnalité au groupe. Quand elle est partie, j’ai été très déçu et à la sortie de l’album, je savais que si on n’avait aucun succès, ce serait la fin. On avait déjà sorti deux bons singles qui n’avaient pas marché. Ne faire que des premières parties, c’est difficile. J’ai souvent été découragé par ce côté sombre et sordide de la musique. »
Creation n’ayant à l’époque pas les reins assez solides pour assurer la promotion, les investissements, le gîte et le couvert « On était au chômage, tous fauchés » d’un groupe en pleine ascension, House Of Love se vend à Fontana après un album. « On se croyait puissants, on avait un public et on pensait qu’on pourrait très bien se débrouiller dans une grande maison de disques. Le type qui nous a fait signer avait sa petite idée quant au genre de disque que l’on devait faire qui n’était pas notre idée. Il avait tort, il aurait dû nous autoriser à être nous-mêmes, ce n’était pas la peine d’envisager une carrière américaine. Notre créativité est morte à ce moment-là et le groupe est devenu malheureux. » Mécontent de l’enregistrement de son deuxième album, dans lequel la maison de disques a mis son grain de sel et même les pieds dans le plat, House Of Love ne profite même pas de la gloire naissante quand un Shine on relifté s’offre un triomphe tardif. De l’extérieur, tout paraît pourtant rose : l’album au papillon se vend bien, le groupe tourne sans relâche, la presse demeure fidèle. L’envers du décor : « A l’époque, on a tout fait faux, en sortant une compilation juste après le deuxième album, des singles en même temps… Malgré le succès, ce fut une période horrible. On ne gagnait pas un rond, on avait déjà perdu notre guitariste, Terry Bickers, et on était crevés. Ce qui nous a permis de continuer, c’est notre succès en France. C’est à ce moment-là que les choses auraient dû décoller. En 1991, on y a tourné, c’était presque un nouveau départ, un peu d’air frais. Cette année-là, géniale. J’y ai écrit les chansons de Babe rainbow, qu’on a ensuite fini en un mois. Puis la maison de disques nous est tombée dessus… « Où sont les guitares ? que se passe-t-il ? c’est nul. » Et je suis resté trois mois de plus en studio, à fumer des tonnes de dope, à faire n’importe quoi pour justifier d’être là. »
Dernier sursaut dans une logique de l’échec qui a très vite enchaîné découragements et dépressions, Babe rainbow n’est quand même pas le naufrage annoncé, qui aurait pourtant facilité les titres de la presse à l’époque quelque chose comme Babe rainbow warrior. Mais le mal est fait : la rancoeur, la fuite de l’inspiration, la démoralisation et les frictions assassinent le groupe à feu doux mais âcre. « Une atroce sensation de noyade. » Avant de fermer définitivement sa Maison d’Amour, Chadwick bâcle l’ultime album, Audience with the mind, « histoire d’en finir avec cette maison de disques qui avait foutu en l’air notre carrière ».
Après le lit et la cure de remise en forme au Moyen-Orient, Guy Chadwick continue de bouder l’Angleterre et s’exile en Belgique. Là, il tente de se remotiver musicalement comme on fait de la rééducation fonctionnelle après un accident, fait quelques essais pour mettre au point de nouveaux groupes, pâles fantômes de l’idée de ce qu’aurait dû être House Of Love. Parmi ces projets étouffés à la naissance, The Madonnas. « Avec les Madonnas, j’essayais de récupérer ce que j’avais eu et perdu avec House Of Love, mais je n’ai jamais retrouvé cette électricité. Je n’avais pas encore coupé le cordon entre House Of Love et moi, j’étais un peu… absent. Je recherchais un vrai groupe et celui-ci n’était pas le bon, la combinaison entre eux et moi ne marchait pas. » En deux ans, Guy Chadwick écume cinq batteurs, change de guitariste tous les deux jours. Quand on évoque son caractère de cochon, il jure pourtant ne jamais être difficile. « Sauf à l’époque où j’étais bourré tout le temps et où je prenais trop de dope. Là, j’ai dû être odieux. Et il faut être directif quand même : après tout, c’est moi le compositeur, je sais où je vais et si la chanson n’est pas jouée comme je l’entends, pour moi, elle est foutue. »
Guy Chadwick ne se relèvera de l’aventure qu’en oubliant prétentions et regrets. En cessant de diaboliser son entourage. En effaçant les pensées de ce qui aurait pu être et n’a jamais été. En essayant de ne plus jamais retrouver en d’autres personnes ce qu’il voyait en House Of Love. A lui seul de trouver l’étincelle. « Il fallait aller de l’avant et j’ai maintenant la force pour le faire. Il s’est écoulé suffisamment de temps pour voir les choses calmement telles qu’elles se sont passées j’en ai fini avec House Of Love, la déprime. Repenser au groupe m’a même redonné de l’agressivité, une envie de combattre, je suis à nouveau en colère. Lazy, soft and slow fut malgré ça un album difficile à faire. Quand j’ai commencé à travailler avec Keith Cullen, du label Setanta, il a été très critique sur le genre de chansons que j’écrivais, m’a dit d’oublier ce que j’avais fait et d’écrire des pop-songs, des chansons d’amour. Ça me prenait un mois pour écrire une chanson, ce fut très lent et méthodique. Mais ça m’a fait du bien, c’était une discipline toute nouvelle pour moi et j’ai commencé à percevoir à nouveau un petit quelque chose dans ma façon d’écrire. J’ai appris que je pouvais ne plus dépendre de personne, que tout devait venir de moi-même. Je crois que j’ai grandi, ce disque m’a libéré. J’ai enfin réussi à restaurer ma confiance en moi. J’ai recommencé à aimer mon écriture. »