Près de trente ans après Raw Like Sushi, Neneh Cherry n’a rien perdu de son énergie. Elle le prouve avec Broken Politics, un album engagé qui mêle “sons nouveaux” et “fragments du passé”.
En 1989, Madonna sort “Like A Prayer”, son quatrième album. De l’autre côté de l’Atlantique, une Suédoise exilée à Londres cartonne avec Raw Like Sushi, un premier album de “hip-pop” hyper catchy, hyper flashy, porté par le single Buffalo Stance. Elle s’appelle Neneh Cherry, a 25 ans, a claqué la porte de l’école à 14 ans, quitté New York et son trompettiste de beau-père, Don Cherry, pour traîner avec la mouvance post-punk emmenée par The Slits, puis vivre une grande histoire d’amour avec le producteur Cameron McVey, avec qui elle coécrit la plupart de ses chansons.
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Vingt-neuf ans plus tard, Neneh Cherry a 54 ans, vit toujours avec Cameron, à Londres, n’a aucun mal à parler de ses grands succès qu’elle reprend toujours en live, et prouve que l’on peut se réinventer sans faire table rase du passé.
Une des meilleures surprises de l’année
Son cinquième album, Broken Politics, enregistré à Woodstock, constitue l’une des meilleures surprises de l’année. Loin d’être prétentieux, vieillissant, surjoué, surinterprété ou nostalgique, Broken Politics est libre, enthousiaste, conscient, politique, dansant, honnête, complexe, une grande bouffée d’air frais doublée d’un clin d’œil provocateur, à l’image de son auteure dont l’envie déborde, transpire, clignote sur ce fameux grain de beauté qu’elle porte telle une signature au-dessus des lèvres.
“La nostalgie consiste à penser à une époque révolue en considérant qu’elle était meilleure que celle que l’on vit, alors que toute époque a du bon et du mauvais. Je suis très consciente de mon parcours, de sa richesse. Vieillir te permet d’être un peu plus prétentieuse, du genre : ‘Oui, je suis toujours là et j’ai fait quelques petites choses !’, balance-t-elle dans un grand rire. J’ai eu ma ménopause, je me suis sentie peu désirable, un peu finie… Et puis je me suis dit : ‘fais chier, je n’ai pas fait tout ça pour en être là et me sentir merdique !’”
« Les sons sont nouveaux mais ont des fragments de passé.”
L’auteure de Woman est toujours bien là, devant nous, en T-shirt blanc, de grandes créoles aux oreilles, deux chaînes en or autour du cou. Même style, même rire, même voix qu’avant, et pourtant Neneh est incroyablement ancrée dans le présent. Outre Cameron McVey, elle s’est adjoint le génie de Kieran Hebden alias Four Tet, déjà à la production de Blank Project, son précédent album sorti en 2014 avec le duo RocketNumberNine. “Kieran le décrit comme ‘un album élégant’, ce qui est mignon je trouve. Nous voulions tous les deux quelque chose de plus profond. Certains sons me rappellent mon enfance, la musique que faisaient mes parents. Il y a des beats hip-hop ici et là. Kong a une connexion avec Manchild et Seven Seconds. Les sons sont nouveaux mais ont des fragments de passé.”
Autre présence rétro-futuriste : celle de 3D de Massive Attack, qui remet le trip-hop de Teardrop au goût du jour sur le grand single de l’album, Kong. “L’idée de m’asseoir dans une pièce et d’essayer de répéter Buffalo Stance ou Manchild, que j’avais écrits sur un tout petit clavier, ça ne m’intéresse pas. Quand j’écris, je me souviens souvent de ces morceaux, ce qui peut être fun mais aussi très ennuyeux si j’ai l’impression d’écrire quelque chose que j’ai déjà fait… On a tous un désordre répétitif, un schéma dans lequel on fixe les choses. C’est pourquoi j’aime bien travailler avec d’autres gens.”
Né d’un séjour dans la jungle de Calais
La mort du styliste punk anglais Judy Blame le 19 février a laissé un grand vide dans le cœur et la vie de Neneh Cherry, qui travaillait avec lui depuis des années. Elle contacte alors par mail le photographe berlinois Wolfgang Tillmans. Il déboule à Londres et la shoote dans son quartier le temps d’un après-midi. La tenue est signée Martine Rose, le collier, extravagant, appartenait à Judy. Ainsi naît la pochette de Broken Politics, simple, presque dénudée, terre à terre, si ce n’est la présence électrique de Neneh, dominant l’espace, debout, jambes écartées, cheveux dressés. “Je ne voulais pas d’un grand photo shoot. Cette image est tendre. Intimidante aussi.”
Broken Politics est né d’un séjour dans la “jungle” de Calais, où Neneh Cherry était partie servir des repas avec une amie. “J’ai pleuré pendant des heures quand je suis repartie. Ça m’a fait prendre conscience de beaucoup de choses. L’Occident nourrit sa colère en vendant des armes à des pays que les habitants fuient pour venir en Occident, où on leur refuse l’entrée !” Et d’embrayer : “Tous les jours, on entend 200 promesses se briser. C’est la merde. Je ne voulais pas dire aux gens quoi penser, paraître dogmatique. Je voulais juste parler d’humanité. C’est une colère positive.” Le soir-même, Neneh Cherry présente son album dans un Café de la Danse blindé, à Paris. Elle a détaché ses cheveux, s’éclate, rit, danse, va trop vite, ralentit, tâtonne, ne s’en cache pas, recommence. Heureuse, tendre, sincère.
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