Pour sa première expo perso en France, Ron Mueck présente à la Fondation Cartier quatre sculptures et un masque qui se jouent de la mesure.
On aperçoit « Wild Man » de la rue, juste derrière la vitre et planté là, dans le vide de la grande salle de la Fondation Cartier : le choc ne diminuant guère, on s’approche et s’approche encore un peu plus près, et l’on s’approprie doucement et visuellement cette « chose » haute de 2,85 mètres. Il s’agit d’un homme nu, assis sur un tabouret, le cheveu et regard hagards, la peau marbrée entre fêlure et engelure. Vu d’en bas, l’effet est saisissant : un frisson qui court en aller et retour. On s’attendrait même à voir le souffle de ce géant s’évacuer du tréfonds de sa poitrine et dessiner alentour le froid glacé de sa terreur géante d’être au monde. Plane partout alentour une étrange et dérangeante proximité d’humeur sous le sceau du rejet et de l’épouvante.
Pour tenter une autre explication que celle d’une banale identification à ce personnage au faciès absent accentué par le gigantisme de l’installation, on se détourne. Derrière, à quelques pas on découvre « Spooning Couple » : une femme et un homme, nus et minuscules, sont allongés l’un près de l’autre. Les yeux entrouverts, ils ne se frôlent qu’à peine, comme surpris dans un sommeil de fuite et de rigueur. Flagrant délit de la terne habitude sous le dévoilement indécent de leur intimité ? Vie délestée de tout désir ? Avec toutes ces questions, on est finalement guère mieux loti, juste à nouveau cerné par un profond désarroi.
On poursuit la visite : dans la salle de droite, il y a « In Bed », une quadragénaire de 7 mètres, allongée dans son lit, au creux de ses pensées. Devant elle et sur ses jambes repliées, les draps forment un monticule immaculé. Elle regarde par la fenêtre : plus précisément, la façade en verre côté jardin de la Fondation Cartier. Regard malade ? Pensées sidérales ? Une fois de plus, on n’en saura rien. Juste un malaise qui se précise. Plus loin, on découvre « Two Women », deux petites vieilles voûtées en manteaux sombres, ridées, bas mal tirés sur leurs maigres jambes où affleurent ici et là varices et affaissement du derme, papotent à mille heures du jour. Elles raillent. Se moquent.
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Au-delà de cette indéniable performance de mimétisme, quelle autre histoire peuvent bien raconter ces uvres à échelle aberrantes, rompant avec démesure de la mesure humaine ? L’exposition s’arrêtera là dans la présentation de ces arrêts sur âge et image de l’humaine condition contemporaine, Ron Mueck épargnant pour un temps à son spectateur d’autres dérangeantes sculptures de ses humeurs, l’inquiétante proximité ayant pour l’heure fait assez de remous intérieurs.
Ainsi, pour sa première expo en France, l’artiste australien Ron Mueck (né en 1958) expose donc à la Fondation quatre sculptures et un masque (en silicone et fibre de verre) qu’il a concoctés spécialement pour l’occasion ? on regrettera de ne pas découvrir celle dont l’image a beaucoup circulé dans la presse et montrant un homme fronçant les sourcils. Son travail tour à tour sur le modèle réduit ou le monumental avait déjà été repéré à la Biennale de Venise en 2001, avec ce même hyperréalisme de l’anatomie et de la carnation ; avec ces mêmes rougeurs sur la peau, veines à fleur d’épiderme, rides, poils et cheveux plantés un à un avec soin et « méticulosité » pathologiques. En fait, Ron Mueck se consacre à la sculpture depuis 1996, après avoir été créateur de marionnettes, et travaillé pour la TV, le cinéma (avec Jim Henson pour « Sesame Street », le « Muppet Show », le long métrage « Labyrinth » avec David Bowie), la pub.
Comme chez Gaetano Pesce, Raymond Hains ou Malcom Morley, le passage, chez lui, d’une échelle à une autre, colossale et miniature, bouleverse repères et hiérarchies ; comme chez John De Andrea, le réalisme saisissant place le spectateur au c’ur de l’intime. Le travail de Ron Mueck, jamais subjuguant, toujours troublant, porte de surcroît en lui un désordre de l’équilibre renvoyant au nostalgique : questionnement jusqu’à l’ambiguïté de l’âme au corps, le tout ourlé d’une grande mélancolie. Une de ses sculptures étant d’ailleurs encore actuellement visible à Mélancolie , au Grand Palais.
Humeur apathique ? Humeur créatrice ? Ron Mueck se plaît à sculpter nos vraisemblances et dissonances. Nos peurs aussi majuscules que minuscules.
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