Deuxième jour de la visite du Manchester de la fin des années 80 par Laurent Garnier. Le français commente une playlist de morceaux choisis sur 20 années de classiques immortels produits par Manchester.
Joy Division, Love will tear us apart…
(Il chante)… La bonne musique pour se suicider. Sublime, intouchable. Il ne faut jamais que quelqu’un touche à ce titre là. C’est une merveille. Comme New Order mais avec des couilles. J’adore la musique dépressive. J’aime Catpower, c’est dépressif à mourir.
Et oui, Joy Division, c’est grandiose, on va dire même inégalé. Voilà. Il y a des choses comme ça. Comme le titre de Bauhaus, Bela Lugosi’s dead. Inégalé. Sur mon dernier album, je voulais qu’il y ait des voix tristes, mais ça n’a pas pu se faire. Je voulais Catpower et Joseph Arthur.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Buzzcocks, What do I get
Buzzcocks ! Putain ! Je vais te raconter une anecdote. Le mec des Buzzcocks, aujourd’hui, il vend des coccinelles. Il habite dans la banlieue de Manchester et il s’appelle Mister Beetle. Et j’ai acheté ma deuxième voiture au batteur des Buzzcocks. Pour moi les Buzzcocks, c’est Mister Beetle ! J’ai découvert leur musique à Manchester, le lundi soir dans un club qui s’appelle le Ritz, où il y a un DJ complètement défoncé à la bière. C’est vraiment le rock’n’roll parfait avec blouson noir et tout. Et j’allais tous les lundis au Ritz pour écouter les Pistols, les Clash, Joy Division et tout ça. Et c’est vrai qu’il affectionnait un petit peu plus les Buzzcocks. J’ai toujours la vision de ce mec, ce DJ avec sa banane. A cause de lui, j’ai déboîté mon épaule et après j’ai eu plein de problèmes. En dansant sur la musique des Escadrons du ciel, cette espèce de série américaine. Ça, c’est mythique dans ce club le lundi soir. Tout le monde s’attrape, tout le monde court autour de la piste, comme des malades parce que la piste est super grande. Il y a des mecs qui te font des croche-pattes donc tu tombes. Forcément, il y en a qui te tombent dessus. Enfin, c’est un truc de barjot. Quand tu es pété à deux heures, c’est à mourir de rire. Et j’ai toujours la vision de ce DJ qui met plein de disques et à un moment, il arrête la musique et il fait : « Buzzcocks ! » et là il balance le disque.
New Order, Blue Monday
Là, on revient dans la cour des grands. Je suis fan de New Order. Blue Monday, c’est leur plus grand tube, mais ils ont fait des choses encore mieux que ça. L’autre jour, je suis aller écouter un DJ. Il a commencé à jouer Blue Monday et juste avant la chanson, il a coupé le disque et ça, ça m’a frustré. D’ailleurs, les gens dans la salle ont sifflé. C’est la plus grosse connerie qu’il ait fait de sa vie. Blue Monday, mythique, on ne coupe pas. A la Hacienda, leur bassiste Peter Hook était toujours dans la cabine en train de rouler des pétards : »Yeah, man, it’s cool. It’s cool !« . A Manchester, il y a ce côté convivial que tu n’as pas à Londres. Là-bas, les gens te font comprendre rapidement qu’on est tous pareils, on va tous aux toilettes et il n’y a pas de hiérarchie. C’était pareil quand on a fait le nouvel an avec New Order il y a deux ans. Il n’y avait vraiment pas ce côté VIP pour New Order et nous, on était les cinquième roues du carrosse. Donc, très rapidement, je suis redescendu sur terre à Manchester, avant même de jouer. J’ai rencontré plein de gens que j’adulais et c’est devenu très normal.
The Smiths, How soon is now
J’ai découvert les Smiths quand j’habitais à Londres, où je les écoutais énormément. Bizarrement à Manchester, les Smiths sont autant adorés que détestés. Morrissey n’a pas une super bonne réputation. Je suis vraiment arrivé à Manchester aux début de la house et on n’a plus trop entendu parler des Smiths. Les Smiths, c’était tous les étudiants, j’ai un peu décroché quand je suis arrivé à Manchester. Quand je sortais beaucoup à Londres, j’allais dans les clubs où on écoutait aussi du rock, les Smiths et toutes ces choses là. Ce que j’ai aimé dans les Smiths, c’est que Morrissey était super décalé, avec une voix incroyable. Les Smiths, c’est un grand moment pour moi quand j’avais 18-20 ans. J’adorais ce côté flagellation avec les fleurs.
A Guy Called Gerald, Voodoo ray
Gerald, c’est un mec génial. Déjà, je le connais très bien. Je l’ai rencontré à Manchester, je l’ai vu en concert. Il a été un des plus grands compositeurs de musique techno au début. Il a fait Voodoo ray. Après, il a fait plein de trucs techno d’une pure finesse. Ensuite, il s’est barré dans la drum’n’bass. Aujourd’hui, il fait encore des choses super nouvelles. Gerald, il est toujours resté vrai, il ne s’est jamais compromis. Voodoo ray, c’est un classique, un classique de classique. Intouchable, un classique Manchester. Alors ça, c’est quelqu’un qui contrairement aux Smiths a peut-être plus marqué Manchester : il n’y a pas les pour et les contre, tout le monde adhère. Voodoo ray, c’est comme New Order, c’est comme Joy Division, c’est vraiment ancré, toute la ville a vibré là-dessus. Et puis, c’était le début de l’ecstasy, le début des raves. C’était le début de « on va faire des fêtes dans des champs« . Ca me parle un peu plus, ça représente mes 20 ans. Alors que Joy Division, c’était avant. J’étais encore chez mes parents, il y avait encore un côté rebelle. New Order, Joy Division et les Smiths, c’était le côté rebelle. A Guy Called Gerald, c’est mon côté liberté. J’étais libre, je n’avais plus à dire : « je rentre à telle heure« .
Happy Mondays, Wrote for luck
C’était quand même super grave les Happy Mondays. Il y a eu une période, quand je suis rentré en France, où je me sentais un peu obligé de jouer ça. J’avais vécu tellement de choses et on avait côtoyé tous ces gens-là… Ils venaient au café Dry – où je bossais – les dimanches matins, complètement en vrac. On préparait le breakfast et tout. Et comme j’étais persuadé que j’étais Anglais à l’époque, je me sentais un peu obligé de jouer cette musique là. Happy Mondays, c’était le côté rock de la techno. A Guy Called Gerald me parlait beaucoup plus parce qu’il était beaucoup plus noir dans sa musique. Happy Mondays, c’est vraiment le côté blanc des raves. Le côté génial, c’est que ça a tout de suite ouvert de grands espaces, ça a vraiment ramené tout une nouvelle culture, plein de gens sur la scène. C’est vraiment eux qui ont vraiment fait le pont entre les Blacks qui sortaient à l’ Hacienda le vendredi soir, qui n’écoutaient que de la house, et les Blancs qui sortaient le samedi soir et qui écoutaient autre chose.
808 State, Pacific state
Le premier groupe de techno à Manchester. Pour moi, c’est Ibiza. On est partis à Ibiza avec eux et avec un autre groupe qui s’appelait K-Class. C’était mortel, K-Class. Et je me rappellerai toujours quand 808 State a joué…C’était quand même assez noisy par rapport à la techno de l’époque. Il y avait Pacific state qui était soft. Mais ils avaient des choses beaucoup plus dures. Et je me rappellerai toujours de cette réflexion qui m’a un peu gêné à l’époque. C’était eux les stars du truc et après il y a K-Class qui avait joué. J’ai enregistré les deux concerts, j’ai toujours les cassettes. Et franchement, j’avais préféré le concert de K-Class, parce qu’il y avait plus de finesse dans leur techno. Et je me rappelle qu’un des membres de 808 State braillait : »This is not techno, this is shit, man ! You know, this is not music! We’re doing real techno ! » Et j’ai regardé le mec et je me suis dit : « mais pour qui tu te prends pour dire ça, tu n’as pas à dire ça. » Mais Pacific state, c’est génial. 808 State, ils ont fait sept titres de bon sur dix albums. Ils ont fait un titre qui est intouchable, le reste c’est super discutable. Le nom a dépassé de loin le groupe. De loin.
Stone Roses, Fools gold
L’image que j’ai des Stone Roses, c’est un concert que je suis allé voir où il y avait plein de petits groupes techno, dont 2ForJoy, Dream Frequency. Et comme Happy Mondays, mais en beaucoup plus fort, c’était un lien entre la scène rock, anglaise, tous les étudiants, et la scène black. Ils ont été le lien. Les Stone Roses, c’était les Happy Mondays mais au niveau national, parce que Happy Mondays c’est quand même toujours resté très Manchester. Même pas Manchester, mais Madchester. Tandis que les Stone Roses, ça restera un grand groupe anglais. Les Roses, c’étaient vraiment des jeunes qui venaient de la scène rave, qui ont pris des guitares et qui se sont dit : « bah, voilà, on va mélanger les deux« . C’était les Chemical Brothers dix ans avant.
{"type":"Banniere-Basse"}