Premier jour de la visite guidée du Manchester de la fin des années 80 par Laurent Garnier. Le français se souvient des raisons qui l’ont poussé à traverser la Manche et de ses débuts dans le club mythique la Hacienda. Demain, il commente une playlist choisie sur 20 années de morceaux produits par Manchester devenus d’immortels classiques.
Comment et pourquoi es-tu venu vivre en Angleterre au début des années 80 ?
C’était en 1984, j’avais 18 ans. Je suis resté un an et demi à Londres et je suis arrivé en 1986 à Manchester, où j’ai vécu deux ans et demi. Car pendant l’été 88, je suis parti à l’armée. Puis je suis revenu pendant un an à Manchester pour y habiter et être DJ résident à la Hacienda. Début 91, je suis rentré à Paris pour de bon.
Pourtant, au départ, je ne voulais pas venir en Angleterre car pour moi, les Anglais, ce sont tous des fous. En France, on a des fois ce côté un peu chauvin. A l’époque, j’étais à l’école hôtelière, c’était la première fois que j’allais en cours et que je prenais du plaisir. Avant, jusqu’à la troisième, je détestais l’école, ce côté « nous, on vous enseigne quelque chose et vous, vous n’êtes vraiment que des petits cons« . A l’école hôtelière, ça a changé du jour au lendemain. Les profs nous enseignaient plein de choses, mais ils nous écoutaient aussi beaucoup. Arrivé cancre à l’école hôtelière, je suis sorti premier de ma promotion au bout de deux ans. Et un jour, mon prof m’appelle et me dit « Ecoute Laurent, je sais que tu n’as pas trop envie d’aller en Angleterre dans des restaurants et je te comprends. Mais j’ai une place pour toi à l’ambassade de France. Tu seras nourri, logé, blanchi. » J’ai dit « OK, je pars demain. » J’y ai appris plein de choses, j’ai eu la chance de servir la reine d’Angleterre, des politiciens… la belle vie pendant un an et demi. C’était joli, on était habillé en queue-de-pie. Et on sortait tous les soirs, c’était le début des warehouse-parties à Londres, mortel ! J’avais 18 balais, je me torchais toutes les nuits.
Et là, je suis parti à Manchester parce que je sortais avec une fille dont la s’ur possédait sept restaurants vers Manchester et ils m’ont promis une place. Donc, je suis parti là-bas et j’ai continué dans la restauration. Bien sûr, je continuais à sortir tous les soirs parce qu’il faut savoir que depuis l’âge de 14 ans, j’ai toujours voulu être DJ. Quand j’étais môme, dans ma chambre, c’était platines, boule à facettes, stroboscope, les lumières et tout le bordel. Je faisais danser mes parents.
A Manchester, j’allais quatre fois par semaine à la Hacienda. J’ai fait des pieds et des mains pour rencontrer des gens qui travaillaient là-bas. J’ai donné la bonne cassette au bon mec qui l’a fait passer à la bonne personne au bon moment. Et puis un jour, on m’appelle en me disant, « j’ai écouté ta cassette, c’est intéressant, j’aimerais bien qu’on se rencontre. » Je savais qu’un jour, j’allais avoir ma chance. Parce que j’avais mes disques, mes platines. On faisait des fêtes chez nous, des soirées de fous. Tout le monde disait « mais putain ! C’est génial ce que vous jouez. » Du coup, le jour où on m’a dit « on fait un essai avec toi dans trois semaines« , je n’ai jamais vraiment flippé.
Tout ce que je cherchais dans la nuit, dans la musique, dans la mode, dans la façon de s’exprimer, je l’ai trouvé ici. Ça a été génial. Il n’y avait plus que les Anglais pour moi. Je rentrais en France, je disais à mes copains : « mais vous êtes tous des aliénés, vous êtes des attardés total, vous êtes nuls, vous n’y connaissez rien… » Pourtant, Manchester, c’était plus dur que Londres, c’était moins drôle la nuit. Mais très vite, en 1988, la musique est devenue quelque chose de super important à Manchester. Avant, il y avait des clubs, il y avait des choses intéressantes mais en 1987, quand j’ai vu Derrick May, il n’y avait que cinquante personnes dans la salle. Par contre, l’explosion de l’acid-house a été beaucoup plus forte à Manchester qu’à Londres. Manchester a trouvé son truc peut-être grâce aux fans de football, au début de l’ecstasy. Les fans de Manchester City et de Manchester United n’arrêtaient pas de se mettre sur la gueule tous les week-ends et du jour au lendemain, ils ont commencé à s’embrasser, à tous être les uns contre les autres, « ouah, c’est cool, il n’y a pas de problème« . Parce qu’ils prenaient des pilules, ça a été le début du summer of love.
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Tout ce mythe autour du label Factory, ça faisait partie de ton parcours ?
Joy Division et puis après New Order, bien sûr. Aujourd’hui, je réalise que j’ai vraiment eu beaucoup de chance d’avoir grandi à Manchester, parce que j’ai vraiment grandi là-bas quelque part. Quand tu pars de chez tes parents, c’est là que tu commences vraiment à forger ton truc. Et le fait d’avoir rencontré les Happy Mondays, d’avoir vu danser les Inspiral Carpets et puis les Stones Roses avant qu’ils soient connus. J’ai vraiment évolué dans ce milieu avant que tous ces gens grandissent. Parce qu’on allait dans les mêmes bars. En fin de compte, j’ai évolué, j’ai grandi avec ces gens-là.
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