Laurence Louppe signe le premier grand ouvrage de référence sur la danse. Magistral.
La danse contemporaine a un côté ET : surgie de nulle part, elle accompagne les soubresauts d’un siècle finissant et se développe, protéiforme, sans se soucier d’offrir la moindre homogénéité. Cela explique sans doute, en partie, qu’aucun corpus théorique n’ait jusqu’ici tenté une analyse spécifique qui décortique en profondeur ses tenants et ses aboutissants. Quelques biographies de chorégraphes contemporains : voilà à quoi se résument les écrits sur cet art singulier. C’est pourquoi la sortie de l’ouvrage de Laurence Louppe, Poétique de la danse contemporaine, est un événement.
Historienne de la danse, critique de danse à Libération dans les années 80, puis à Art Press, Laurence Louppe enseigne ici ou là et ses cours voient affluer toujours plus d’apprentis danseurs ou chorégraphes. Voix fluette qui rechigne à abandonner sa part d’enfance, Laurence Louppe captive son assemblée dès qu’elle ouvre la bouche et étaye sa passion pour la danse d’une réflexion nourrie d’un immense savoir dans les domaines de l’esthétique, de la philosophie et des sciences humaines.
Le premier des bienfaits de la lecture de son livre est de rendre caduque l’opposition ô combien réductrice entre ballet classique et danse contemporaine. Non, les danseurs ne sont pas redevables de la tradition classique et n’ont pas à se justifier d’une quelconque rupture. Au contraire, ce qui définit la danse contemporaine, c’est son absence de tradition : « Aucune autre modernité artistique ne connaîtra cette absence d’héritage, dans la filiation d’une discipline donnée, fût-ce pour la réfuter. Ce sera là le destin singulier d’un art orphelin ne pouvant s’enfanter nulle part. Obligé de se trouver, peut-être de s’inventer une ascendance lointaine, erratique. C’est d’abord dans l’histoire des corps-sujets, au sens où cette histoire fut projetée par Michel Foucault, qu’il faut y voir beaucoup moins que des signes, des indices. L’histoire du sujet, dans les catégories de son savoir, de son énonciation de la « pratique de soi » comme l’avait annoncé L’Histoire de la sexualité. Mais aussi l’histoire du corps-objet tel qu’il apparaît à l’interstice des juridictions diverses, médicales, punitives. « Dès la fin du xixème siècle, la bourgeoisie occidentale avait définitivement perdu ses gestes », affirme Giorgio Agemben. (…) La danse va chercher à réparer la perte des gestes, mais aussi à « consigner » cette perte même. »
Raison pour laquelle Laurence Louppe parle de la danse contemporaine en terme de « projet » et propose une analyse de sa poétique en différenciant bien les « outils » dont elle dispose : corps, temps, espace, flux, composition…
Le plus remarquable, dans le regard qu’elle porte sur la danse, reste cette attention à transmettre ce qui relève souvent de l’indicible : comment le danseur donne à lire, lors d’une création, la « matière de soi » qui se sculpte dans l’espace-temps de la représentation. Ce livre est le meilleur antidote contre la lecture bornée et descriptive qui prétend aujourd’hui parler de la danse.
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Laurence Louppe Poétique de la danse contemporaine (Ed. Contredanse), 350 pages, 135 f.
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