Enregistrées à la maison, les nouvelles chansons de la chanteuse folk Laura Veirs épatent par leur sobriété et éblouissent par leur élégance : critique, écoute intégrale et interview au long cours.
Ta toute première expérience musicale ?
La toute première ? Mes parents qui me chantent une berceuse pour m’endormir, mon père faisait toujours ça ! Et puis la musique qu’on écoutait à la maison….mais ma première expérience en tant qu’artiste ou apprentie artiste, c’était une scène ouverte à Seattle, il n’y avait qu’une amie avec moi, l’ingénieur son était aveugle, mais j’étais tellement nerveuse ! J’ai maladroitement tenté de jouer Black Bird des Beatles, mais mes mains tremblaient tellement ! C’était vraiment mauvais (rires). Mais je me souviens d’avoir ressenti quelque chose de vraiment particulier. En général je suis quelqu’un qui réussit plutôt bien tout ce qu’il entreprend, si je me dis que je vais me mettre au foot, et bien j’arriverais à m’en sortir vraiment pas mal, mais là, pour la première fois j’avais un énorme challenge devant moi, c’était tellement motivant et en même temps frustrant !
Et entre cette première expérience et le premier album, à quoi a ressemblé le chemin ?
Des années à jouer, à m’entraîner, à faire scène ouverte sur scène ouverte, des petites scènes dans des cafés. Et à la fac, un groupe de filles, on était quatre, j’étais la guitariste et je faisais les chœurs, c’était tellement drôle, un genre de punk féministe (rires). Je crois qu’on a dû faire une vidéo un jour mais impossible de remettre la main dessus, il faut que je la retrouve et mettre ça en ligne, je pense que ça en ferait rire plus d’un ! Mais on était vraiment pas mal ! La chanteuse était immense avec des cheveux roux hyper courts et hurlait dans le micro, non vraiment c’était super drôle.
Tu as étudié quoi à la fac ?
La géologie et le chinois. La géologie parce que j’aime être en extérieur, toutes ces années à camper…partir à la découverte de la Nature. Mais j’ai décidé à peu près à mi-chemin, que je ne voulais pas être une scientifique, donc j’ai commencé le chinois après avoir été en Chine voir mes cousins qui étudiaient le bouddhisme, j’ai été immédiatement fascinée par cette langue, surtout l’écriture qui est magnifique, donc je m’y suis lancé, j’étais vraiment bonne mais depuis…j’ai tout perdu ou presque, ça fait dix ans que j’y ai pas mis les pieds !
Puis au moment où j’ai terminé mes études, j’étais vraiment fascinée et excitée par la musique, alors je suis partie pour Seattle, là où mon frère vit, j’ai trouvé une maison à louer et j’ai commencé à faire des concerts en solo dans des cafés, puis j’ai fait mon premier album, collaboré avec de plus en plus de musiciens, puis j’ai rencontré Tucker et on a fait notre premier album ensemble…
Ta première expérience en tant que songwriter ?
C’était probablement à l’âge de 19ans, mon frère m’a montré quelques trucs à la guitare et j’ai commencé à apprendre pas mal de chansons folk, et progressivement je me suis mise à écrire mes propres chansons, c’était des chansons assez drôles, légères, qui parlaient de mon chat qui n’avait qu’un œil, One-Eyed Jack Blues, une autre sur ma professeur de géologie, une autre sur le nez de mon copain de l’époque parce qu’il avait un super nez…enfin c’était vraiment pour m’amuser au départ, comme une genre de puzzle à résoudre, et ce n’est que plus tard que je suis devenue plus introspective, plus sérieuse.
Est-ce que tu as des thèmes de prédilection ? des choses sur lesquelles tu aimes écrire de façon récurrente ?
Pas vraiment, je préfère les laisser venir à moi, je ne force pas les choses. Bien sûr c’est pas mal de décider d’écrire sur quelque chose parce qu’après il suffit de se concentrer dessus, mais mon challenge aujourd’hui c’est plus d’écrire et voir ce qui se passe. Une fois qu’un thème se dessine je fonce dessus pour l’explorer mais je ne veux pas forcer les choses au départ. Pour une raison qui m’échappe un peu, mais qui paraît logique, tout ce qui touche à la Nature revient souvent. Mais en même temps beaucoup de songwriters parlent de nature, en particulier ceux qui touchent au folk…on est inspirés par la Nature, s’asseoir dans un parc et regarder les arbres, c’est quelque chose de primordial, ce rapport à la nature, la beauté des choses qui nous entourent, ça a quelque chose qui force à l’humilité, et ça se ressent dans la simplicité de la musique folk.
En termes d’influences, ou d’entourage musical, est-ce que tu as des artistes que tu admires, ou dont tu aspires à te rapprocher, ou avec lesquels tu sens une connexion particulière ?
Beaucoup de musiciens country/blues, comme Mississippi John Hurt, ont vraiment eu un énorme impact sur ma façon de jouer de la guitare. Et aussi Maybelle Carter et The Carter Family, Johnny Cash, j’adore tous ces « vieux » musiciens, et la force des femmes de cette époque ; dans la country et la musique folk il y a cette tradition de femmes de caractère, et c’est quelque chose de très inspirant, un genre de figure modèle, depuis longtemps les femmes jouent et composent de la très bonne musique. Dans le même genre Sister Rosetta Tharpe, une super guitariste et chanteuse gospel qui faisait des mouvements à la Elvis bien avant Elvis ! Et puis des gens qui font partie de ma vie, de ma communauté, qui m’inspirent, il suffit que je me retrouve dans un bar avec un groupe qui joue et qui a l’air tellement à l’aise avec leur son que j’en tire immédiatement une source d’inspiration et de motivation. J’ai vu Monsters of Folk l’autre jour, Jim James est tellement calme et relax et à l’aise avec sa voix que ça vous pousse vers le haut.
Si tu pouvais reprendre n’importe quelle chanson, tu choisirais quoi ?
Hum j’en ai fait quelques unes, sur le Two Beers Veirs EP l’an dernier, c’était juste Tucker et moi en plein milieu de la nuit, dans notre salon, c’était surtout de vieilles chansons country/blues, j’ai fait Freight Train d’Elisabeth Cotten. J’aime beaucoup les albums de Loney Dear, il était chez Bella Union (ndlr – son label) avant, un songwriter suédois…il faudrait que je trouve une nouvelle reprise à faire pour ma prochaine tournée…une bonne reprise en dit long sur l’artiste qui la réinterprète c’est un travail très intéressant à faire.
L’image de la songwriter à la guitare, c’est un peu un cliché folk, Joni Mitchell, Cat Power, Joan Baez…comment est-ce que tu te situes par rapport à cette mythologie de la chanteuse folk ?
À des moments ça a un côté très restrictif, ça ne laisse pas de place à l’originalité de l’artiste, « oh ok une fille avec une guitare…ça va être chiant ! », mais c’est pas juste du tout parce qu’on ne dresse pas le même parallèle pour un mec avec une guitare par exemple ! Un mec avec une guitare c’est cool, une fille c’est cliché. Mais la plupart du temps j’ai l’impression qu’il y a un vrai renouveau de la musique folk, des choses très intéressantes se passent, du coup c’est devenu acceptable d’être une fille avec une guitare et d’écrire ses propres chansons. Je travaille dur pour avoir un jeu de guitare intéressant, des mélodies originales, ce n’est pas juste de la musique folk dans sa plus pure expression, j’essaye d’ajouter mes trucs…j’essaye d’avancer à mesure de mes albums, élargir mon champ au lieu de le restreindre.
Quel regard portes-tu sur le monde de la musique aujourd’hui ?
Honnêtement il me rend nerveuse…il y a tellement de gens, des jeunes surtout, qui commencent à croire que payer pour de la musique est superflu, tu la chopes sur internet, tu l’écoutes dans ta voiture…c’est un peu comme un bonbon dont on ne prend pas le temps d’apprécier le goût, ça devient une activité de fond pour autre chose. Je regrette qu’on ne pense plus trop les choses différemment, acheter un album et l’écouter d’une traite sans aucune distraction que de jeter un coup d’œil aux paroles ou au livret…on dirait que ça s’est perdu cette culture, et en tant que personne qui s’investi dans cette logique, je ne peux m’empêcher de me demander vers quoi on tend…mais en même temps, je me dit qu’il y aura toujours une reconnaissance de la musique, et surtout un besoin de musique en live, les musiciens survivront bien sûr mais ça va devenir de plus en plus dur d’en vivre.
Peut-être en faisant les choses différemment…je trouve que construire une relation physique avec un véritable objet, que ce soit un CD ou un vinyle, est tellement différent de simplement télécharger un fichier immatériel sur un ordinateur, la relation tactile à la musique est importante et c’est une bonne tendance que de voir les gens revenir au vinyle par exemple, avec un code pour télécharger l’album en même temps.
Tu as monté ton propre label, Raven Marching Band Records, en quoi est-ce que cela t’aide dans ton processus de création ?
J’ai décidé que c’était un bon risque à prendre parce que j’avais déjà un public, un noyau de fans assez important en Amérique, et puis MySpace, Facebook, YouTube, mon blog…enfin il y a tellement de manières d’entrer en contact avec les gens maintenant, c’est vraiment une bonne chose cette proximité avec son public. J’aime bien me voir comme une fermière qui fait ses disques chez elle dans son jardin et puis qui sort les vendre sur le marché, c’est très direct comme processus et c’est vraiment agréable même s’il y a un risque, financier, trouver le financement pour enregistrer ces albums tout en ayant un risque d’échec. Mais la liberté que ça procure en comparaison pèse lourd dans la balance, et faire mes disques à la maison comme je l’entends avec Tucker, et puis pouvoir aider d’autres artistes qu’on aime bien si les choses marchent…je pense que c’est ça le futur, des artistes qui gèrent leur propre label, ont le contrôle de leur musique tout en ayant l’impression que c’est un commerce viable. Bien sûr je suis heureuse d’avoir un distributeur ici en Europe, ce serait très difficile pour moi de gérer les choses sur un marché différent, mais en Amérique c’est mon territoire, je sais comment gérer mon affaire, et puis j’ai un manager, un publiciste, un assistant…l’équipe est en place ! On vient tout juste de commencer, il y a quelques mois. Enfin, la structure existait déjà pour mes deux premiers albums mais c’était juste un site web, c’était un peu en sommeil.
Des tuyaux de bons disques à écouter en ce moment ?
Hum j’écoute pas mal de Skip James, et le nouveau Cass McCombs, oh et je suis fan du dernier Bill Callahan. J’ai toujours aimé écouter du Juana Molina, et le nouveau Thao Nguyen (ndlr – Thao With The Get Down Stay Down), cette fille est géniale ! J’ai redécouvert R.E.M. récemment aussi, j’essaye d’apprendre quelques parties de guitare de Peter Buck mais c’est tellement difficile, beaucoup d’arpèges à une vitesse assez folle !