La musique a ceci d’incontestablement supérieur aux autres formes d’expression artistique, elle peut se mouvoir dans l’espace.” A l’évidence, cette réflexion de Stravinski trouve sa plus juste illustration, en tout cas pour ce qui concerne le rock, dans l’œuvre de l’architecte Mark Hollis. Effaçons d’un revers de manche les balbutiements néo-romantiques de Talk Talk, oublions […]
La musique a ceci d’incontestablement supérieur aux autres formes d’expression artistique, elle peut se mouvoir dans l’espace. » A l’évidence, cette réflexion de Stravinski trouve sa plus juste illustration, en tout cas pour ce qui concerne le rock, dans l’œuvre de l’architecte Mark Hollis. Effaçons d’un revers de manche les balbutiements néo-romantiques de Talk Talk, oublions tout, y compris le It’s my life multi-tubesque chez nous, et dont la simple évocation du pompier Such a shame pourrait légitimement nous dégoûter de prêter une oreille à ce qui suit. C’est-à-dire le très ambitieux Spirit of Eden et, maintenant, ce Laughing stock qui pousse encore plus loin la conquête de l’espace cher à Maître Igor.
Six chansons, enfin, morceaux (pièces ? mouvements ?) totalement hors-normes et qui ne supportent ni la fragmentation, ni la précipitation. A déguster d’une seule traite mais, surtout, plusieurs fois, afin d’en saisir les infimes nuances et la prodigieuse virtuosité. Une fois admis ce mode d’emploi draconien, Laughing stock livre toute sa singularité et Mark Hollis apparaît comme l’un des plus inspirés barioleurs d’atmosphère que le rock ait donné à entendre depuis les glorieuses années Can-Soft-Machine, à l’époque où l’on qualifiait de progressifs’ les groupes qui s’aventuraient le plus avant dans l’hystérie psychédélique. Rien à voir, donc, avec les pachydermes qui vinrent ensuite polluer de leurs graisseuses paluches de techniciens bornés la jeunesse léthargique des seventies. La vérité de Talk Talk est ailleurs, forcément. Entre Ravel et Tim Buckley, Kandinski et Mingus, ou encore au-delà. Mais, de grâce, pas entre Barclay James Harvest et Eric Serra. Si Hollis se permet, au beau milieu d’une floconneuse quiétude, d’éreinter la gamme avec des dissonances, là où tant d’autres auraient distillé un solo de guitare scolaire, c’est justement par souci de coller au plus juste avec cette fascination pour l’abyme propre à toute œuvre contemporaine digne. S’il ponctue sa musique de silences et de bruits accidentels, c’est pour mieux goûter ensuite à la rondeur d’un orgue, à l’amère mélancolie d’un violoncelle, à la chatoyante complicité des cuivres. Hollis laisse à sa musique l’entière liberté de se mouvoir dans l’espace : comme les papillons indomptables et les oiseaux couleur arc-en-ciel qui encombrent son imaginaire (voir les pochettes), il n’est que l’exécutant d’une création qui le dépasse. Et si de temps en temps, il parvient à prendre dans le creux de ses deux mains fermées un rien d’éternité, c’est juste pour le pervers plaisir d’écarter ensuite doucement les paumes et de le voir se mutiner.
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Cristophe Conte
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