Plasticienne.
Difficile de commencer cet entretien sans évoquer les attentats du 11 septembre dernier à New York, où vous vivez.
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Je regarde CNN à chaque seconde. Non pas que je considère qu’ils détiennent la vérité universelle, mais au moins sont-ils rapides. J’essaie de m’en tenir aux faits, de ne pas trop m’exposer au lavage de cerveau des uns et des autres. Ce qui m’inquiète, c’est la suite des événements, aussi bien ceux dont les Etats-Unis pourraient être victimes que ceux dont ils pourraient être les auteurs. J’ai l’impression que si chacun réfléchit aux causes, alors une réponse réfléchie peut suivre, et pas seulement une réponse furieuse. Evidemment, les monuments visés n’ont pas été choisis au hasard. Personnellement, je n’ai jamais été amie avec les symboles, donc sans doute encore moins aujourd’hui qu’avant.
Dans cette démarche critique, quels plasticiens vous ont influencée ?
Avant même de découvrir l’art conceptuel, j’ai été très impressionnée par les peintres abstraits : Rothko, Barnet Newman. Ensuite, étudiante, j’étais attirée par l’idée d’utiliser le langage plutôt que de construire des objets. C’est là que j’ai découvert la démarche de Joseph Kosuth, qui lui aussi préférait le sujet à l’objet, le contenu au contenant. Pour moi, son travail était évident. La violence qu’on vient de vivre ces derniers jours, par exemple, je pourrais écrire ce qu’elle m’évoque, pas en faire des images. D’ailleurs, c’est la différence entre mon travail et celui de Kosuth justement. Lui fait beaucoup référence au monde de l’art, alors que je préfère m’inspirer des faits réels qui agitent le monde.
Vous n’êtes pas la seule à avoir cette démarche.
Je me sens effectivement très proche d’artistes comme Lawrence Weiner. J’adore sa théorie selon laquelle n’importe qui peut faire de l’art. Et aussi sa manière d’inclure le public dans le processus créatif. Moi-même, quand je soumets l’autorisation de projeter sur les monuments mes aphorismes sur les viols ou les tortures de femmes, ça ne me déplaît pas que ce soit lu par des figures religieuses ou des politiciens. J’ai aussi un rapport très fort aux dessins au crayon de Sol LeWitt. Pour moi, c’est la représentation de l’architecture de l’esprit. Je trouve ça beau, simple, réconfortant, rassurant. Son travail m’apaise les jours où j’ai besoin de clarté, d’évidence.
Vous travaillez sur le langage : quels écrivains appréciez-vous ?
J’en mets un seul loin au-dessus de tous les autres : Samuel Beckett. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il est mon dieu, mais il est certainement mon modèle. J’aime l’idée qu’il aille droit à l’essentiel, sans fioritures inutiles, stupides ou laides. Et en plus, il est drôle. Rien à jeter ! En vous répondant au téléphone, je regarde une photo de lui qui est épinglée au-dessus de mon bureau. J’aime beaucoup regarder son visage. D’autres écrivains ? Marguerite Duras peut-être… Mais qui citer après Beckett ? Non, vraiment, il est cent coudées au-dessus des autres.
Vous avez collaboré avec Helmut Lang pour la Biennale de l’art et de la mode de Florence : vous considérez la mode comme un art ?
Je ne connais pas bien la mode. Mais j’ai rencontré Helmut Lang qui est quelqu’un de passionnant. Son travail est très réaliste : il essaie de faire des vêtements qui montrent les gens, pas des armures ou des déguisements. Il est honnête avec le corps. Moi qui ai passé ma vie à éviter le corps, forcément, ça me passionne.
Quelle musique écoutez-vous ?
Dans la guerre Beatles/Stones, j’étais clairement du côté des Stones. John Lennon, ça allait, mais Paul McCartney, je le détestais trop. Les Stones avaient ce côté obscur irrésistible. Mais je dois avouer que j’ai bien décroché en musique. Aujourd’hui, j’écoute ce que met ma fille, j’aurais du mal à citer des noms. Le dernier disque que j’ai acheté, ce doit être un album d’un groupe de rap des débuts, genre Niggers With Attitude. Depuis, je suis devenue un dinosaure.
C’est pareil avec le cinéma ?
Oui, d’autant que j’ai longtemps habité à la campagne. Mais encore une fois, je ne travaille pas en référence à la musique, au cinéma, ou même à la littérature. Je réagis en fonction des événements de la vie réelle. Et c’est pourquoi je regarde autant CNN. Je dors avec CNN : je soupçonne les événements d’infiltrer inconsciemment mon cerveau ! Et puis, je voyage beaucoup, je regarde les gens dans la rue. Je suis très poreuse à la réalité.
Vous ne vous sentez jamais menacée par le poids de réalité des événements sur lesquels vous travaillez ?
Si, bien sûr. C’est pourquoi j’éprouve le besoin de rester entièrement seule le plus souvent possible. Et puis je me défends, quand je projette mes textes sur les monuments, c’est toujours une violente critique de la réalité.
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Installation de Jenny Holzer dans la Chapelle Saint-Louis de la Salpêtrière du 20 septembre au 4 novembre, dans le cadre du Festival d’automne. Ses projections sur des monuments de Paris, prévues à partir du 20 septembre, sont reportées à cause du plan Vigipirate. Enfin, on peut encore voir son installation au CAPC de Bordeaux jusqu’au 30 septembre.
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