Festival autant attaché à Metronomy qu’à Bill Viola, Art Rock célèbre à Saint-Brieuc les noces de l’art contemporain et du rock. Ecouter et contempler : les deux voies de la sagesse.
Si l’art et le rock ont toujours fait bon ménage, d’Andy Wahrol à Doug Aitken, de Christian Marclay à Xavier Veilhan…, les festivals de rock et les musées, galeries ou biennales restent le plus souvent attachés à leurs espaces propres, claquemurés derrière leurs barrières identitaires. Qu’il soit musical ou artistique, un événement festif s’attache à maintenir fermées ses frontières, comme si la porosité des champs disciplinaires n’avait pas lieu d’être. C’est précisément à rebours de cette tradition séparatiste que le festival Art Rock, créé il y a 34 ans à Saint-Brieuc par Jean-Michel Boinet, défend la possibilité d’élargir sa curiosité au champ de la création artistique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Si le principe des cartes blanches confiées à des créateurs (Olivier Assayas, invitant par exemple Sonic Youth, pour un concert marquant les annales du festival…) a longtemps été de mise, Jean-Michel Boinet a décidé depuis quelques années de se concentrer sur une thématique précise. Après la mode, les robots ou la peinture, les éléments naturels -feu, eau, terre, air – sans oublier un cinquième – le pixel, vieux tropisme d’Art Rock qui depuis ses débuts s’intéresse aux arts numériques – ont été mis au centre de la programmation. De Bill Viola, avec sa magistrale installation vidéo “Three Women“ – où l’eau est le symbole d’un passage entre deux mondes, celui des vivants et de l’au-delà – aux arches en parpaings de Vincent Ganivet, de l’installation de l’artiste allemand Julius Popp, “Bitt.Fall“ – un rideau d’eau qui donne naissance à une cascade de mots – à la pièce du Canadien Don Ritter, “Wet“, des photographies de l’Américaine Lynn Davis – des glaciers en formes de sculptures architecturales – aux grandes sculptures de l’Allemand Nils Völker, toutes les œuvres exposées s’attachent à déconstruire le système des éléments naturels pour lui conférer une sorte de magie surnaturelle.
Bill Viola, Three Women
Cette nouvelle édition 2017, “Fantastic elements“, confirme ainsi cette volonté d’associer, dans un même espace-temps, le plaisir de l’écoute musicale et la joie de la vision de l’art. Dégagés de tout esprit hiérarchique entre pratiques artistiques, curieux tout autant des prestations scéniques des groupes de rock les plus stimulants du moment que des installations et vidéos d’artistes plasticiens, les programmateurs d’Art Rock défendent cette idée d’une attraction commune. On peut évidemment supposer que la majorité des festivaliers viendront à Saint-Brieuc pour voir d’abord La Femme, Metronomy, The Kills, Cassius, Julien Doré, Archive, Jagwar Ma, Cléa Vincent, Parcels ou Bretrand Belin ; pour autant, le pari fait par Jean-Michel Boinet et sa fille, Alice, directrice artistique du festival, repose sur l’hypothèse d’une aspiration réciproque et d’une contamination de l’un par l’autre. “On ne sépare les genres“, s’explique Alice Boinet ; “on construit la programmation en partant de l’idée que Bill Viola et Julien Doré valent autant l’un que l’autre ; on ne sépare pas les genres ; on essaie de créer des rencontres, de mélanger les artistes et le public, d’ouvrir chacun à des horizons inédits“.
C’est cette dualité, devenant fusion, qui fait le prix, sans égal, de ce festival, dont l’échelle humaine (tout se passe en centre-ville) crée la possibilité d’une curiosité élargie. D’une scène à un théâtre, de la rue au musée, tous les gestes se mêlent, sans s’annuler. “C’est vrai qu’une part du public ne va jamais voir d’expositions“ souligne Alice Boinet ; “mais, à cette occasion, il s’ouvre précisément à l’art, mais aussi aux spectacles de rues, comme cette année avec “l’installation de feu de la compagnie Carabosse qui proposera au Parc des Promenades une création de feu, mais aussi au spectacle vivant, avec Pixel de la compagnie Käfig au Grand Théâtre, une œuvre vertigineuse du pionnier du hip hop Mourad Merzouki“.
Pendant que l’artiste Xavier Veilhan, installé à la Biennale de Venise, invite jour après jour des groupes de rock à venir jouer dans son studio idoine, le festival Art Rock invite jusqu’au 11 juin, de manière quasi symétrique, des artistes plasticiens dans l’antre de la musique live. Une célébration heureuse et audacieuse de deux mondes que rien ne sépare plus que l’indifférence paresseuse.
Jean-Marie Durand
Art Rock, “Fantastic Elements“, 34ème édition, 2/3/4 juin à Saint-Brieuc
{"type":"Banniere-Basse"}