Tant que les acteurs de l’art contemporain en France seront persuadés de la nullité de la création actuelle, Paris sera toujours Paris : un désert.
« Paris, c’est no future », confiait récemment au journal Le Monde un punk tardif et inattendu : Michel Durand-Dessert, galeriste à Paris depuis plus de vingt ans. Il commentait ainsi la décision de quelques-uns de ses collègues (Philippe Rizzo, Ghislaine Hussenot, Catherine Thieck de la galerie de France) d’ouvrir des sortes de succursales à Bruxelles, en compagnie d’autres galeristes belges, dans deux bâtiments d’un quartier sordide dont ils espèrent bien faire le Soho européen. Qu’on se rassure (ou s’en désole) : ils conservent à Paris les « maisons mères ». Pendant ce temps, la très belle exposition « Sunshine and noir », consacrée à trente ans d’art contemporain à Los Angeles, continue son périple et ouvre ses portes au château de Rivoli en Italie près de Turin, après être passée au Danemark, en Allemagne, et avant d’embarquer pour l’UCLA, Museum of Art de Los Angeles. Pas d’escale parisienne pour cette exposition historique donc, qui resitue les oeuvres de Mike Kelley, Paul McCarthy, Chris Burden, Ed Rusha, Jim Isermann et tant d’autres dans la perspective géographique de la ville qui jouxte Hollywood. Le Sid Vicious de la rue de Lappe, magnifique oracle qu’on aurait pourtant mieux imaginé aux côtés de Gérard Depardieu dans le rôle du barde, avait bel et bien raison. Il y a quelques années déjà, « Post human », exposition décisive pour l’art actuel orchestrée par le toujours inventif Jeffrey Deitch, n’avait jeté l’ancre dans aucun port français, pour mouiller plutôt en Allemagne, en Suisse, en Grèce, aux Etats-Unis. C’est à peine si Paris a pu récupérer au vol dernièrement une petite part de l’exposition Bruce Nauman, dont la présentation au Centre Georges Pompidou fut unanimement saluée comme un consternant et indigne pet foireux.
Au « no future » de l’ancêtre, Le Nouvel Observateur répondait par un dossier spécial intitulé « Les 101 champions de l’Europe ». On y dressait l’inventaire des hommes et des femmes qui feraient l’an 2000, toutes disciplines confondues : sciences, politique, arts. Au titre des porteurs de l’espoir d’un « futur » pour ce qui est des arts, parmi les chefs cuisiniers, chorégraphes, cinéastes, écrivains, philosophes, on repérait quand même deux artistes. Miracle, l’un d’eux était français. De qui pouvait-il s’agir ? Xavier Veilhan, Philippe Parreno, Pierre Huyghe, Alain Séchas, Bertrand Lavier, Dominique Gonzalez-Foerster, Pierre Joseph ? Non. Aux côtés de Gerhard Richter, c’est Pierre Soulages qui incarnait pour le fameux hebdo les forces vives à même d’édifier l’Europe, l’an 2000, que sais-je encore ? Quand Jean Baudrillard déclarait que « l’art contemporain est nul », il enregistrait aussi, simplement, cet état de nullité où l’art contemporain est maintenu, en France, non par des forces électro-magnétiques façon X-files, mais par un réseau serré d’opérateurs séniles agissant à tous les niveaux. Pas étonnant dans ces conditions que Colette fasse autant d’effet sur le milieu de l’art.
Eric Troncy
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